Publié le 4 Sep 2013 - 12:35
ME SIDIKI KABA (PRÉSIDENT HONORAIRE DE LA FIDH)

 "L'État doit dépénaliser l'homosexualité"

 

 

Dans cet entretien réalisé par France 24 le 8 janvier 2009, le président honoraire de la Fédération internationale des droits de l'Homme, Sidiki Kaba, estimait que la condamnation d'homosexuels sénégalais à huit ans de prison est contraire aux conventions internationales signées par Dakar.

 

 

Le tribunal de Dakar a condamné neuf jeunes sénégalais à huit ans de prison pour homosexualité. En tant que président honoraire de la Fédération internationale des ligues de droits de l'Homme, quel regard portez-vous sur ce verdict ?

Cette décision est grave et extrêmement sévère. Elle montre qu’il existe une vive répression de l’homosexualité au Sénégal. La sévérité du jugement est d’autant plus surprenante que le procureur avait requis cinq années d’emprisonnement. Ce qui, en soi, constitue déjà une lourde condamnation. En prononçant une telle sanction, le tribunal a voulu frapper pour l’exemple et faire peur aux autres. Au Sénégal, il existe une forme de pression sociale qui pousse la justice à sévir fortement. Elle est notamment le fait des islamistes et d’une partie de l’opinion publique hostile aux personnes ayant des orientations sexuelles différentes.

 

Le Sénégal se targue d’être le pays le plus démocratique de la région. N’estimez-vous pas que cela est contradictoire avec le verdict prononcé aujourd’hui par la justice ?

Il y a une contradiction entre l’image démocratique et d'Etat de droit que le Sénégal cherche à projeter dans le monde et la réalité du terrain. S’il veut être crédible et en conformité avec les conventions internationales des droits de l’Homme qu’il a lui-même signées et ratifiées, le gouvernement doit changer d’urgence la nouvelle loi qui condamne les homosexuels. Il faut savoir qu’au Sénégal, l’article 319 du code pénal ne mentionne pas directement l’homosexualité mais parle plutôt d’"actes contre nature". Autrement dit, d’actes entre deux personnes du même sexe et de zoophilie. En réalité, c’est une qualification "fourre-tout" qui permet à la justice de condamner les homosexuels plus facilement.

 

Que font les organisations de défense des droits de l’Homme pour éviter que les homosexuels ne fassent l’objet d’un acharnement judiciaire et social au Sénégal ?

Les Sénégalais ne découvrent pas l’homosexualité. Elle existe depuis longtemps. D’ailleurs, on qualifie cette catégorie de personnes de "goor jigéén", ce qui signifie "homme-femme". Les Ligues des droits de l’Homme sont plus que jamais interpellées. Elles doivent être le fer de lance de la reconnaissance des droits des homosexuels qui vivent des moments durs. Certaines personnes sont même contraintes de quitter le Sénégal pour échapper à la loi et à la vindicte populaire.
Les députés doivent également se saisir de cette question au nom de la liberté sexuelle. Quant à l’État, qui se targue de défendre la démocratie et les droits de l’Homme, il vaudrait mieux qu'il s’engage sur le chemin de la dépénalisation de l’homosexualité.

 

 

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