Publié le 29 Jan 2014 - 23:57
TAFSIR THIOYE (MEMBRE DU COMITÉ DIRECTEUR DU PDS)

«Au Sénégal, on a besoin des gens qui ont des milliards»

 

Qu’est-ce que vous pensez de l’affaire Aïda Ndiongue accusée de s’être enrichie illicitement à hauteur de 47 milliards?

C’est avec le cœur meurtri que je réponds à cette question. Le Sénégal, comme l’ont dit les avocats de Mme Aïda Ndiongue, est en train d’écrire les pages les plus sombres de son histoire judiciaire. Sur ce dossier, je ne voudrais pas dire plus que ce qu’en disent les hommes de droit. Sur le principe, le sentiment le mieux partagé, c’est que le procureur de la République a violé la loi, le secret de l’instruction.

Deuxième chose, comment un  procureur de la République peut-il se prononcer sur un dossier qui est entre les mains du juge d’instruction en prétextant que c’est au nom du droit à l’information ? Je suis d’accord que la Constitution nous donne des droits à l’information, mais on ne doit pas servir de la désinformation et de la désintoxication aux populations.

Ça ne doit pas venir d’un procureur de la République chargé de gérer l’ordre dans notre pays. Si on prend en compte les réponses données par les avocats de Mme Aïda Ndiongue, nous sentons que le procureur a voulu gérer l’opinion. Il n’avait pas le droit de divulguer certaines informations, fussent-elle vraies. On se rend compte que ce sont de fausses informations...

N'êtes-vous pas dans la contradiction : autant vous reprochez au procureur de garder injustement des gens en prison, autant, selon vous, il ne doit pas parler de ces dossiers ?

Le procureur a déféré Mme Aïda Ndiongue en prison et a transmis le dossier au juge d’instruction. Il devait s’en laver les mains et continuer ses enquêtes, en attendant le jour du procès. Comment le juge d’instruction, qui a demandé des enquêtes supplémentaires, peut manquer d'être informé et que le procureur puisse donner une conférence de presse pour informer la population ? C’est ça la question. Au regard des informations données par les avocats de Mme Aïda Ndiongue, le juge d’instruction, au moment d’entrer dans la salle, n’était pas en possession des résultats de l’enquête.

Pourquoi devrait-on croire aux paroles des avocats et non à celles du procureur ?

Parce que le procureur a fauté. On ne peut plus lui faire confiance. Si les avocats de Mme Aïda Ndiongue disent que le procureur n’avait pas à faire ce qu’il a fait, nous les croyons... C’est la Constitution qui nous garantit la présomption d’innocence, la liberté, le droit à la propriété. Vous ne pouvez pas, sur un dossier pendant devant la justice, aller faire une perquisition, prendre mon argent et me jeter à la vindicte populaire.

Elle pouvait être tuée par les Sénégalais qui lui disent : ‘’Vous avez détourné notre argent’’. Aujourd’hui, nous avons une justice domestiquée. Le procureur spécial près la CREI et le procureur de la République sont des instruments utilisés pour décapiter un parti.

On peut néanmoins s’étonner d'une fortune si immense, même pour une femme d’affaires.

Aïda Ndiongue, je ne la connais pas très bien pour savoir si elle avait des entreprises ou pas. Mais je sais que c’était une femme d’affaires et qu’elle gagnait des marchés depuis longtemps. Je l’ai entendue dire qu’elle a fêté ses premiers milliards en 1993 avant la dévaluation. On peut prétendre que cette femme puisse avoir de l’argent. Je ne vais pas entrer dans des détails que je ne maîtrise pas. Mais sur le principe, le procureur a fauté. Qu’Aïda Ndiongue ait de l’argent, ce n’est pas un délit ! Au Sénégal, on a besoin des gens qui ont des milliards. C’est ce qui fait la richesse d’une nation.

Cette hargne à défendre la dame, différente de celle consacrée à Aziz Diop et consorts, ne crédite-t-elle pas l'hypothèse qui dit que c'est elle qui tenait les cordons de la bourse libérale ?

Si le procureur avait fait une conférence de presse pour accuser Aziz Diop ou pour parler de quoi que ce soit… Nous sommes pour le principe. Je suis pour la transparence et la bonne gouvernance pour avoir été secrétaire exécutif du Réseau des parlementaires pour la promotion de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Je suis profondément attaché à ces valeurs.

Notre parti aussi. C’est nous qui avons inscrit dans le préambule de la Constitution les principes de bonne gouvernance et de transparence. Mais la bonne gouvernance et la transparence n’ont de sens que si l’Etat respecte les lois du pays. Aucun membre de l’Etat n’est au-dessus de la loi fût-il le président de la République. Si ceux-là qui sont chargés d’appliquer la loi la viole, nous sommes obligés de réagir.

Nous ne sommes plus en sécurité car on bafoue nos droits et libertés. Si à la fin de la procédure judiciaire, on se rend compte que Aziz Diop et tant d’autres qui sont en prison ont fauté, ils n’ont qu’à payer pour les fautes qu’ils ont commises. (…)

Vous êtes allés voir le porte-parole de la confrérie tidiane afin qu’il intercède pour la libération de Karim Wade. N'est-ce pas une confusion de rôles ?

Depuis qu’on a commencé la traque des biens mal acquis, nous dénonçons le caractère illégal et anticonstitutionnel de la Crei. Nous pensons que c’est de l’acharnement, de la chasse aux sorcières, ce qui est inadmissible dans un pays comme le Sénégal. Si nous partons voir les chefs religieux, nous pensons pouvoir leur dire notre opinion sur la marche du pays. Aujourd’hui, le Sénégal n’étant pas dans le droit chemin, nous devons les sensibiliser pour qu’ils puissent parler en tant que leaders d’opinions. C'est une bataille d’opinions.

Qu'en est-il de la séparation des pouvoirs ?

La séparation des pouvoirs n’a rien à voir avec ça.

Quand Abdou Aziz Sy ‘’Al Amine’’ demande au président Macky Sall de libérer Karim Wade…

(Il coupe). Qui a mis Karim Wade en prison ? Ce n’est pas le procureur spécial ? Qui lui donne des ordres sinon le ministre de la Justice ou le président de la République ? Le procureur spécial dit : «Je poursuis Karim Wade pour délit d’enrichissement illicite.»

Mimi Touré dit que notre régime a volé 3 000 milliards. Elle renforce le procureur pour qu’il poursuive les gens du PDS. D’ailleurs, la première mise en demeure remise à Karim a fait 6 mois en instruction. Jusqu’à présent, rien. Sur le même délit, on remet une nouvelle mise en demeure. C’est une aberration. Ils sont bloqués, c’est l’impasse totale. (…)

DAOUDA GBAYA

 

 

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