Quand l’Etat viole la loi
La loi n° 2014-08 du 5 février 2014 (qui autorise l’OFNAC à recevoir les déclarations de situation patrimoniale) ainsi que les décrets d’application de la loi sur l’OFNAC et de la loi relative à la déclaration de patrimoine ne sont toujours pas publiés au Journal officiel, à ce jour : Ce qui est une violation des règles qui gouvernent l’applicabilité des lois et des actes à caractère règlementaire.
L’Assemblée nationale a adopté en 2012 et en 2014 trois textes majeurs :
- le 19 décembre 2012, la loi portant création de l’Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC), promulguée le 28 décembre 2012 sous le n° 2012-30 ;
- le 24 Janvier 2014, la loi n° 2014-08 du 5 février 2014 portant modification de l’article 3 de la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’OFNAC; et
- le 21 mars 2014, la loi relative à la déclaration de patrimoine, promulguée le 2 avril 2014 sous le n° 2014-17.
Comme nous le savons, après leur adoption par l’Assemblée nationale, les lois sont promulguées par le Président de la République. Toutefois, pour être applicables sur le territoire de la République, les lois promulguées ainsi que les actes administratifs à caractère règlementaire ou individuel doivent respecter les conditions déterminées par la loi n° 70-14 du 6 février 1970, modifiée par la loi n° 71-07 du 21 janvier 1971. Ainsi, selon la loi du 6 février 1970 précitée :
-premièrement, pour être applicables sur le territoire de la République, les lois promulguées doivent être publiées au Journal officiel ;
-deuxièmement, au moment de la diffusion du Journal officiel dans le public il doit être déposé contre récépissé un exemplaire au Secrétariat général du Gouvernement (et l’original du récépissé est publié au Journal officiel suivant et des copies sont adressées au Ministère de l’Intérieur, au Ministère de la Justice et aux archives nationales où elles peuvent être consultées par toute personne intéressée;
-troisièmement, sauf dispositions expresses reportant leur entrée en vigueur à une date ultérieure, les lois promulguées et les actes administratifs à caractère règlementaire ne deviennent exécutoires dans la région de Dakar et dans les communes de Diourbel, Kaolack, Saint-Louis et Thiès que le 3ème jour suivant la date du dépôt au Secrétariat général du Gouvernement du Journal officiel dans lequel ils sont insérés, et dans le reste du territoire, le 5ème jour suivant la même date..
Toutefois, en cas d’extrême urgence, les actes susvisés peuvent être transmis, avant publication au Journal officiel, télégraphiquement ou par messager dûment commissionné aux maires et aux chefs de circonscriptions administratives.
Notre propos ne sera pas de faire ici le procès des lois précitées, puisque nous comptons revenir, dans une contribution séparée, sur l’analyse critique de certaines dispositions de ces lois. L’objet de la présente contribution est défaire ressortir que les règles qui gouvernent l’applicabilité des lois et des actes administratifs à caractère règlementaire auraient été violées en ce qui concerne la loi n° 2014-08 du 5 février 2014 portant modification de l’article 3 de la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’OFNAC et en ce qui concerne les décrets d’application de la loi portant création de l’OFNAC et de la loi relative à la déclaration de patrimoine.
1) La loi n° 2014-08 du 5 février 2014 qui autorise l’OFNAC à recevoir les déclarations de situation patrimoniale n’est pas officiellement portée à la connaissance de tous à ce jour, ce qui est une violation des règles qui gouvernent l’applicabilité des lois.
La loi du 5 février 2014a introduit un point 5 à l’article 3 de la loi qui crée l’OFNAC en vue d’autoriser ce dernier à « recevoir les déclarations de situation patrimoniale… », Mais, elle pose deux problèmes.
Premièrement, on remarque que la promulgation de la loi en question est survenue le 5 février 2014 avant celle de la loi relative à la déclaration de patrimoine qui n’est intervenue que le 2 avril 2014, d’où un problème de chronologie dans l’adoption des deux lois par l’Assemblée nationale. Une erreur technique de rédaction a été faite ici en évoquant, dans la loi du 5 février 2014, l’article 2 d’une autre loi qui n’interviendra que deux mois plus tard d’où un problème de nullité qui pourrait s’y attacher.
Deuxièmement, la loi du 5 février 2014 n’est toujours pas publiée au Journal officiel, ce qui est une violation des règles qui gouvernent l’applicabilité des lois. En effet, les recherches effectuées jusqu’ici, dans les journaux officiels mis à la disposition du public et parus entre le 6 février 2014 et le 22 novembre 2014, n’ont pas permis de retrouver la publication de la loi du 5 février 2014. À partir du moment où la loi en cause n’est pas publiée, elle est présumée inconnue du public.
En passant, faisons deux constats :
Premièrement, la loi portant création de l’OFNAC est publiée au Journal officiel sous un numéro spécial 6706 Bis du 31 décembre 2012, ce qui laisserait supposer qu’il s’agit sans aucun doute d’une publication antidatée.
Tout d’abord, comment expliquer que la loi portant Code général des Impôts soit publiée avant la loi portant création de l’OFNAC, qui la précède du point de vue chronologique ?
Ensuite, le Journal officiel numéroté 6707 du 5 janvier 2013 qui suit celui numéroté 6706 Bis ne publie pas l’original du récépissé du Journal officiel n°6706 Bis, comme l’exige la loi du 6 février 1970 citée plus haut, d’où une disposition légale a priori non respectée.
Enfin, à ce jour, on remarque deux ans après sa parution que le numéro spécial 6706 Bis n’est toujours pas posté sur le site www.jo.gouv.sn.
De ce qui précède, on pourrait déduire qu’il s’agit sans aucun doute d’une publication antidatée et qu’en conséquence la loi portant création de l’OFNAC aurait été mise en application, pendant un laps de temps, en violation des règles qui gouvernent l’applicabilité des lois.
Deuxièmement, s’agissant de la loi relative à la déclaration de patrimoine, on peut remarquer qu’elle n’a été publiée que le 8 novembre 2014 au Journal officiel n° 6817, soit sept mois après la date de promulgation (2 avril 2014), ce qui voudrait dire que ladite loi n’était pas, avant cette date, devenue exécutoire.
Comme pour les lois promulguées, les actes administratifs à caractère règlementaire doivent faire l’objet d’une publication par voie d’insertion au Journal officiel, ce qui n’est pas encore le cas pour les décrets d’application prévus par la loi portant création de l’OFNAC et la loi relative à la déclaration de patrimoine.
2) Les articles 8, 18 et 20 de la loi portant création de l’OFNAC et l’article 7 de la loi relative à la déclaration de patrimoine ne sauraient entrer en vigueur, tant que les décrets d’application qu’ils prévoient ne sont pas à leur tour publiés au Journal officiel.
Concernant la loi qui crée l’OFNAC, les décrets d’application concernés sont :
- celui prévu à l’article 8 qui fixe « la rémunération et les avantages en nature du Président, ainsi que le montant des indemnités et les avantages en nature du vice-président et des autres membres de l’OFNAC » ;
- celui prévu à l’article 18 et destiné à compléter les règles d’organisation et de fonctionnement de l’OFNAC ; et
-celui prévu à l’article 20 (dernier alinéa) et relatif au régime financier de l’OFNAC.
Ces trois décrets ne figurent dans aucun des journaux officiels de l’année 2013.Ils ne figurent pas non plus dans les journaux officiels de 2014 édités à ce jour (à noter que les numéros 6781, 6784 et 6818 ne sont pas encore édités par l’Imprimerie nationale), d’où une autre violation de la loi si les dits décrets ne sont toujours pas publiés au Journal officiel.
S’agissant de la loi relative à la déclaration de patrimoine, la date d’entrée en vigueur de ses dispositions opérationnelles nécessitait, comme mesure d’accompagnement, la prise d’un décret pour fixer « la liste des personnes assujetties en fonction du critère relatif au niveau des opérations financières qu’elles effectuent » (voir article 7 de la loi), ce qui est fait avec le décret n° 2014-1463 du 12 novembre 2014, non encore publié au Journal officiel. Une autre violation des dispositions de la loi du 6 février 1970, s’il n’a toujours pas été publié.
En conclusion, l’occasion est saisie ici pour déplorer le fait que les députés considèrent que le rôle du législateur s’arrête après le vote d’une loi. Non, le législateur doit s’intéresser au contrôle de l’application des lois votées. C’est pourquoi les commissions compétentes de l’Assemblée nationale doivent veiller à la promulgation et à la publication dans les délais des lois votées et, en plus, utiliser leurs pouvoirs pour diligenter la prise des textes d’application des lois votées ainsi que leur publication au Journal officiel.
À l’heure actuelle, l’OFNAC n’est pas dans une situation juridique confortable du fait que toutes les règles qui gouvernent l’applicabilité des lois et des actes à caractère règlementaire ne sont pas respectées en ce qui concerne la loi n° 2014-08 du 5 février 2014et les décrets d’application de la loi sur l’OFNAC et de la loi sur la déclaration de patrimoine. Par conséquent, le Gouvernement doit veiller à la publication au Journal officiel de la loi en cause et des décrets d’application concernés pour que la démarche de l’État soit irréprochable.
Dans ce cadre, pour éviter de mettre les pouvoirs publics dans une situation non défendable, l’attention de ces derniers devrait être attirée sur ces genres de manquements qui seraient un jour de nature à mettre l’État dans des situations contentieuses. C’est pourquoi, le Gouvernement séparément, ou en relation avec l’Assemblée nationale, devrait prévoir les mesures nécessaires pour corriger ces anomalies.
. Mamadou Abdoulaye SOW
Inspecteur principal du Trésor à la retraite, Ancien