Publié le 24 Feb 2015 - 12:29
RECRUDESCENCE DES VIOLS AU SÉNÉGAL

Un phénomène endémique pire qu’Ebola !

 

Des jeunes enfants ou femmes qui se sentent en danger permanent, des personnes souvent désagréables avec leur entourage et capables du pire ont, pour la plupart, été victimes de viol. Certaines ont le courage de dénoncer, d’autres se taisent. Au Sénégal, au moins 3 600 cas de viols ont été décelés en une année.

 

Le viol, un sujet qui suscite un intérêt général, continue à éberluer plus d’un dans notre pays. Une étude récente a décelé 3 600 cas de viols en un an au Sénégal. Une preuve tangible, pour les auteurs de l’étude, de la progression d’un phénomène endémique. ‘’Les cas passés sous silence dépassent ces estimations‘’, confie la psychosociologue Mme Ndèye Ndiaya Ndoye.  La raison ‘’plusieurs cas sont réglés à l’amiable. Sous l’influence d’une forte pression, des victimes, encouragées par leur famille, continuent à étouffer l’affaire pour une question d’honneur et de réputation. On fait miroiter à d’autres un projet de mariage qui n’aboutit jamais’’, explique-t-elle.

Pour d’autres, il faut considérer qu’au moins 2 femmes sur 10, dans notre pays, sont victimes d’agressions sexuelles. ‘’Elles ne brisent le silence que dans un cadre très restreint où elles se sentent en sécurité. D’habitude, elles se culpabilisent pensant que c’est de leur faute si elles ont été violées’’, confie une militante des droits de la femme.

Le comité de lutte contre les violences faites aux femmes (Clvf), une organisation qui regroupe des Ong de femmes, a répertorié, sur le territoire national, 384 cas de viols, avec 806 femmes victimes d’agressions en 2014. Ces trois dernières années, ce sont plus de 2862 cas de violences qui ont été soumis au Clvf aussi bien à Dakar que dans les autres régions.

Dans un rapport d’Onu femmes en date d’avril 2012, il est mentionné que le nombre de cas de violences faites aux femmes enregistrés dans les tribunaux des 8 régions de l’étude a plus que doublé en l’espace de 5 ans, passant de 157 cas, en 2006, à 371 cas, en 2010 ; d’une année à l’autre, on a une augmentation du nombre, le seul infléchissement étant celui entre 2007 et 2008.

Témoignage d’un informateur d’un commissariat de police repris dans le rapport : ‘’Avant, il était très rare qu’on soit saisi d’un cas de viol ou d’inceste ; si un cas d’inceste arrivait, on en parlait pendant des années. Au poste de police, tu pouvais rester une année et n’avoir qu’un ou deux cas de viol. Mais, maintenant, on peut avoir jusqu’à 4 ou 5 cas, voire plus, de viol, d’inceste ou de pédophilie par mois.’’

A Dakar, des statistiques recueillies au tribunal hors-classe font état, au cours de ces cinq dernières années, d’une évolution croissante des cas de viols : on est passé de 12 cas, en 2006, à 22 cas, en 2007, pour arriver à 178 cas, en 2010. On retrouve la même tendance, en ce qui concerne les coups et blessures volontaires, à en croire toujours le rapport d’Onu femmes.

Pour Zeynab Kane, Docteur en droit et adjointe de la vice-présidente chargée des programmes de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), ‘’c’est très dommage pour le pays quand même, si on prend en compte les autres cas qui ne sont pas révélés’’.

Des séquelles psychologiques

En se confinant dans le mutisme, la plupart des victimes s’enlisent dans une phase dépressive. Le viol, une expérience déstabilisante, engendre souvent, selon des spécialistes, ‘’des flash-back et des cauchemars envahissants qui hantent la victime, par l’évitement des situations pouvant rappeler à la victime l’événement traumatisant, et par une hyper vigilance’’.

La femme victime de viol a souvent tendance à percevoir le monde autrement, ses rapports avec les autres peuvent également en pâtir, si elle ne dispose pas d’une prise en charge médicale adéquate. La raison : ‘’avoir été gravement agressé dans son intimité, c'est très violent. L'humeur peut changer du tout au tout’’, explique un psychologue. Pour d’autres,  ‘’on peut voir la vie en noir, penser à la mort et même laisser venir des idées suicidaires, ou aller jusqu’à se suicider par profonde déprime’’. Ou encore, la victime change de partenaires sexuels selon ses humeurs. Elle multiplie les expériences sexuelles, allant parfois même jusqu'à la prostitution. Ça peut paraître étrange, mais le but est d'essayer d'effacer le viol en le recouvrant d'expériences multiples. Il peut aussi s'agir de chercher à prendre le contrôle de sa sexualité sur l'autre, de devenir chasseur plutôt que victime. Cette manière de réagir rend souvent extrêmement malheureux et mal dans sa peau.

Quelles solutions efficientes pour lutter contre ce phénomène ?

Malgré de nombreuses mesures de représailles, le viol a la peau dure au Sénégal. ‘’La recrudescence de viols me fait penser aux solutions ou réponses apportées à ce phénomène. Quelles sont leurs efficiences ou leurs efficacités ? Je pense qu’il faut évaluer tout cela et prendre au sérieux ce problème avec une dimension holistique’’, tient à préciser le docteur en droit, adjointe de la vice-présidente chargée des programmes de l’Association des juristes sénégalaises, Zeynab Kane.

Des actions intentées par des mouvements de femmes n’ont pas fait reculer le phénomène. Pour Mme Ndèye Ndiaya Ndoye,  par ailleurs responsable de l’Ong Sos équilibre, il faudra une forte contribution des parents pour s’attaquer aux racines du mal.

Tout serait question d’approche. ‘’Les parents doivent apprendre à leurs enfants à être jaloux de leur corps et surtout de ne permettre à personne, si proche soit elle, de toucher à leurs parties intimes’’, juge la psychosociologue. Comme d’autres, elle pense que, face à une époque changeante, le sexe ne doit plus être un sujet tabou dans les familles. Il faudra lever le voile pour armer les enfants.

 ‘’Il est judicieux de mettre l’accent sur la communication. Que les parents parlent à leurs enfants, les préviennent des dangers d’une vie sexuelle débridée, mais aussi leur donne le courage de dénoncer ceux qui les menacent. Il faudrait aussi que tout un chacun redouble de vigilance. Car les filles aussi bien que les garçons sont très exposés’’, conseille Mme Ndoye.

Le docteur en droit Zeynab Kane ajoute, dans cette optique, qu’il est impérieux de corriger ‘’le manque d’éducation sexuelle de même que la pudeur qui entoure les questions de sexe dans notre pays.’’

Par Matel BOCOUM

 
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