Publié le 26 Apr 2015 - 06:13
PANORAMA PAR IBRAHIMA KHALIL WADE

Le naufrage européen, la bombe libyenne 

 

Après moult tergiversations et plans sur la comète, l’Europe s’est enfin décidée de prendre à bras le corps le problème de l’immigration clandestine. Un drame sans fin qui a connu son paroxysme dimanche dernier avec le  naufrage sur les côtes italiennes d’un navire transportant plus de 800 immigrés clandestins.

Au sortir de la réunion de crise tenue avant-hier jeudi à Bruxelles, des pays comme l’Allemagne et l’Angleterre, qui ont toujours refusé de participer aux programmes de sauvetage maritime sur les côtes méditerranéennes, sont maintenant revenus à de meilleurs sentiments. Et se disent  prêts à mettre la main à la poche afin d’éviter le drame du week-end dernier. Ainsi, pour beaucoup de pays de l’Europe, la théorie selon laquelle le renforcement des moyens de sauvetage sur la méditerranée favorise la ruée des jeunes Africains, Asiatiques et autres  vers l’île de Lampedusa en Italie ne tient plus la route.

Aussi, ils sont nombreux les dirigeants de l’UE à reconnaître que la réduction des effectifs de contrôle du plan de sauvetage italien en méditerranée Mar Nostrum a été une grande erreur. Il en est de même du remplacement dudit plan par le programme européen de contrôle des frontières dénommé Triton. Ce dernier n’a pas d’ailleurs donné les résultats escomptés. Bien au contraire, Triton fut un échec total comme en attestent les nombreux cas de naufrages notés aux portes des côtes siciliennes ces deux dernières années.

La décision de multiplier par 3  le budget alloué à Triton dans le cadre de l’organisation des sauvetages en méditerranée et du contrôle des frontières est donc en soi une bonne chose. Même si les moyens consentis peuvent s’avérer insuffisants à moyen et long terme. Quoi qu’il en soit,  il urge de cerner tous les problèmes qui gravitent autour de ce drame de l’immigration clandestine. Car nous ne sommes pas seulement en face d’une crise migratoire, mais devant un problème  politique de grande envergure. Et pour cause, ce n’est pas un secret que la majeure partie des navires qui cherchent à accoster sur les côtes italiennes prennent leur départ depuis la Libye. Ces embarcations de 30 mètres de long n’ont rien à voir avec les cayucos des années 2006 - 2008, lesquels prenaient leur départ depuis les plages de Yarakh, Mbao, Thiaroye sur Mer au Sénégal,  ou de Nouadhibou en Mauritanie. D’où le souhait de l’Italie et surtout de l’Espagne  de procéder à un blocus naval  de ‘’ces cargaisons de la mort’’ depuis les ports libyens. Ou les détruire tout simplement.

 Le projet déjà soumis à l’appréciation du Conseil de sécurité de l’Onu doit cependant faire face à deux obstacles de taille à savoir le  coût élevé de l’opération et la situation confuse en Libye. En effet, ce pays est devenu une sorte de Somalie en Méditerranée voire une véritable poudrière aux portes de l’Europe. Et ce depuis la chute de Momar Kadhafi en octobre 2011, après 42 ans de dictature. Aujourd’hui, deux gouvernements avec chacun son parlement et son armée se font face et sont séparés de 1 400  kilomètres.

En 2014, le pouvoir sorti des urnes est reconnu par la communauté internationale. Mais le gouvernement sera obligé de s’exiler à la ville portuaire de Tobrouk, à la frontière avec l’Egypte du fait des attaques des milices islamistes. L’autre gouvernement est celui de Tripoli et est sous le contrôle des milices. Les terroristes de l’Etat Islamique profitent de ce chaos pour contrôler plusieurs localités du pays. Face à cette situation, l’Union européenne aura du mal à exercer un contrôle sur les navires qui prennent leur départ sur les côtes libyennes. D’ailleurs le ministre de l’extérieur du gouvernement  dit de Tripoli en l’occurrence Mohamed El Ghrinamel a déclaré hier dans un journal maltais qu’‘’avant toute action, l’UE doit avoir le feu vert de son gouvernement.’’

C’est dire qu’en dépit de la ferme volonté des dirigeants européens de s’engager dans la lutte contre l’immigration clandestine, le combat est loin d’être gagné. Surtout que depuis les succès enregistrés par le dispositif de contrôle des frontières Frontex, en Grèce, Bulgarie et Turquie, et la fermeture de la route de l’Atlantique ou route espagnole, le détroit de Sicile est devenu la nouvelle porte d’entrée de l’Europe, avec son lot de naufragés et de désolation.

Et aujourd’hui, pour remédier à ce drame sans fin qui se joue aux portes de l’île italienne de Lampedusa, tous les regards sont tournés vers la ville balnéaire marocaine de Skhirat, où se déroulent depuis le 21 mars, et sous l’égide de l’Onu,  les négociations entre les deux gouvernements libyens. Car il ne faut pas se faire d’illusion : tant que le chaos continuera de régner en territoire libyen, ‘’les  cargaisons de la mort’’  feront encore parler d’elles. 

Ibrahima Khalil Wade

 

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