Tous coupables
Un mendiant égorgé, deux autres éventrés. La nouvelle est révoltante et induit quelques questionnements. Ces enfants ont-ils été agressés parce qu’ils sont mendiants ? Ou, ont-ils eu la malchance de tomber sur un psychopathe ? L’un dans l’autre, ces trois victimes n’auraient jamais dû se trouver dans la rue, dans un monde normal.
Car, la véritable question est : jusqu’à quand allons-nous continuer à laisser se dérouler sous nos yeux cette tragédie qu’est la mendicité des enfants ? Chacun s’accommode de voir ces hordes d’enfants en guenilles, la morve au nez, les pieds nus et sales, se déverser, chaque matin, dans les rues et ruelles du pays. Alors que personne ne s’imagine voir son enfant vivre et grandir dans de telles conditions. Enfin, ces parents responsables ! Car le tragique dans ce phénomène, c’est la collusion entre certains géniteurs et les pseudo-marabouts qui font leur beurre de cette traite abjecte (voir dossier).
On a coutume de dire que le hasard n’existe pas. C’est sans doute vrai, car cette tragédie est là pour interpeller nos consciences. D’autant qu’elle survient alors que le décès du jeune Dame Niane, battu à mort par son marabout, est encore frais dans les mémoires. Le danger est que ces morts passent par perte et profit. Comme toutes les fois où un talibé a été victime de sévices corporels, séquestré, violé ou tué, on risque de discourir sur le phénomène pendant un temps et de finir par laisser aller.
Aujourd’hui, l’occasion est belle pour le gouvernement de prendre son courage à deux mains et des mesures hardies pour mettre fin à la mendicité. Car, à l’évidence, seul l’Exécutif peut mettre fin à cette traite et tenir tête au puissant lobby maraboutique qui veut que les choses restent en l’état. En avril 2010, Michaëlle Jean, alors gouverneure générale du Canada, en visite au Sénégal, avait assimilé le sort des « milliers d’enfants livrés à la mendicité » à de « l’esclavage ». Quelques mois plus tard, au mois d’août, le gouvernement de Souleymane Ndéné Ndiaye avait demandé aux talibés de libérer les voies publiques et d'aller demander l'aumône dans les lieux de culte. Une manière habile de noyer le poisson.
Cependant, la mendicité n’est pas une fatalité. Dans ce combat, chaque citoyen peut aider, à son niveau, l’Etat à juguler ce phénomène. Notamment, en arrêtant une bonne fois pour toutes de donner de l’aumône aux talibés. Celui-ci étant une recommandation, il existe des daaras modernes où les gens peuvent déposer leurs dons. En effet, continuer à favoriser la mendicité infantile, c’est entretenir une mafia et mettre la vie de milliers d’enfants en danger. ‘’Je ne vais pas te donner mon argent pour que tu le remettes à ton fainéant de marabout.’’ C’est la réponse que je donne invariablement, depuis plusieurs années, aux talibés qui me collent aux basques. Croyez-moi, ils comprennent ce langage et restent toujours sans voix. La seule perspective de savoir que l’argent qu’on leur donne ne contribue qu’à engraisser le marabout, horripile. En effet, tant qu’il y aura une main pour donner, il y aura toujours une autre pour recevoir.
GASTON COLY