Publié le 25 Aug 2015 - 08:00
MOTS CHOISIS

Verre cassé d’Alain  Mabanckou Editions du Seuil Prix des Cinq Continents, Prix France-Ouest, Prix RFO

 

Verre Cassé, un vieil instituteur,  chassé de l’enseignement pour alcoolisme, installe son quartier général au bar « Le Crédit a voyagé ». Il a tout raté sauf le certificat d’études. Aujourd’hui, au crépuscule de sa vie, on lui demande de décrire les personnages qui peuplent ce bar du quartier  mythique de « Trois Cents », quartier qui doit son  nom à cette épique bataille entre Ponténégrines et Zaïroises quant au barème des rapports tarifés.

« L’Escargot entêté », le patron du bar,  a forcé la main  à Verre Cassé et lui a demandé d’écrire un livre pour immortaliser ce lieu, cet endroit unique au monde. Parce que Verre Cassé lui avait raconté un jour l’histoire d’un écrivain célèbre qui buvait comme une éponge, qu’on ramassait même dans la rue quand il était ivre, et  l’Escargot entêté  qui prend tout au premier degré, avait pensé que lui Verre Cassé,  avait  le don de l’écriture parce qu’ayant détecté en lui ce ver solitaire qui ronge ceux qui écrivent. Il avait observé  en lui cet œil brillant quand il discute littérature ou quand il lui parle d’écrivains célèbres. Il lui donnait l’impression de dialoguer avec Proust, Hemingway, Labou Tansi, Mongo Beti….

Il réussit à convaincre Verre Cassé en lui demandant de sortir cette rage qui était en lui avec des mots forts  bien que celui-ci  eût douté de ses capacités à écrire un livre  parce que pour lui, seuls sont capables d’écrire ceux qui relatent les noces barbares (Yann Queffelec) ou  qui méditent au sommet du rocher de Tanios (Amin Maalouf) ou qui nous rappellent que trop de soleil tue l’amour (Mongo Béti) ou ceux qui prophétisent le sanglot de l’homme blanc (Pascal Bruckner) ou l’Afrique fantôme (Michel Leiris) ou tout autrement,  l’innocence de l’enfant noir (Camara Laye).

Sans essayer de le comprendre, L’Escargot entêté lui offre un cahier et tout commence…, une vie sur 248 pages sans majuscules, sans points, seulement des virgules pour respirer et emboîter la vitesse supérieure…

D’abord le bar lui-même « Le crédit a voyagé »  avait fait naître une polémique à son ouverture : l’église qui protestait parce que ses fidèles la désertaient le dimanche, ensuite l’association des anciens alcoolos reconvertis en buveurs de flotte, de Fanta, de grenadine, de bissap sénégalais…, il y eut enfin une action directe des groupes de casseurs payés à cette fin. Face à cette offensive, une pétition avait été enclenchée en faveur de  l’Escargot entêté  avec le soutien actif des soûlards « solidaires jusqu’à la dernière goutte de vin ». Le problème du « Crédit a voyagé » fut même discuté en conseil des ministres et,  grâce à la formule « J’accuse » du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des PME Albert Zou Loukia, ancien camarade de classe de l’Escargot entêté, le problème fut définitivement clos.

A Verre Cassé, chacun veut lui raconter son histoire pour figurer dans ce livre-mémoire en rédaction.

Il y a eu d’abord l’homme aux couches Pampers, victime de « la traversée du milieu », ce qui lui impose désormais de porter des couches… (Allez savoir pourquoi).

 Ensuite l’Imprimeur qui tient coûte que coûte à ce que son histoire figure dans le cahier de Verre Cassé parce qu’il s’estime être le plus intéressant de tous du fait qu’il vivait en France, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Lui, son histoire se résume à Céline, cette Vendéenne rencontrée au Timis, cette boîte de nuit Black qui se situe près de la célèbre Pigalle et qui deviendra son épouse et son bourreau. Et comment ?

Et Robinette, cette dame championne de la pisse qui défie tout le monde sur son exercice favori jusqu’à tomber un jour sur plus fort qu’elle du nom de Casimir qui mène la grande vie (merci pour ce clin d’œil à Jean d’Ormesson)

Enfin, Verre Cassé revient sur lui-même, sur sa descente aux enfers pour dire qu’il est tombé si bas sans parachute malgré le fait qu’Angélique son ex-femme venait souvent le tirer de ce bar pour le ramener à la maison..

Verre Cassé revisite toute sa vie devant un plat de poulet-bicyclette.  Son esprit va à sa mère  qu’il vénérait plus que toute autre.  Il se dit qu’il  aurait aimé écrire Le Livre de ma mère (merci encore pour cet autre clin d’œil, cette fois-ci à Albert Cohen) parce qu’elle lui aurait tout pardonné et lui rappellerait son enfance. L’idée d’aller la rejoindre l’envahit maintenant…

Les paroles du poème d’Alfred de Vigny « La mort du loup » que l’Escargot entêté aimait réciter comme si elles avaient été écrites pour lui, résonnent encore et pourraient être dédiées  à Verre Cassé :

‘’Gémir, pleurer, prier est également lâche,

Fais énergiquement ta lourde tâche

Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler

Puis après, comme moi, souffre et meure sans parler’’

Roman admirable où l’auteur nous offre un récit extraordinaire avec un registre varié mêlant le sublime,  le comique et la caricature poussée.

Alain Mabanckou n’appartient pas seulement au Congo. Il est notre Marcel Pagnol…

Avec son roman « Mémoires porc- épic » (Prix Renaudot en 2006), Alain Mabanckou nous a régalés tout comme avec ses autres œuvres :  « Bleu-Blanc-Rouge », « Les Petits-fils nègres de Vercingétorix », « African Psycho », « Black Bazar », « Demain j'aurai vingt ans », « Lumières de Pointe-Noire », « Tant que les arbres s'enracineront dans la terre », « Lettre à Jimmy ( James Baldwin) », « Le Sanglot de l'homme noir »…

Verre cassé, voilà une bonne lecture pour les vacances … 

Ameth GUISSE

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