Publié le 17 Dec 2015 - 00:59
REVISION DU PROCES D’ANTOINE ABIBOU, RESCAPE DU MASSACRE DE THIAROYE

Yves Abibou perd son combat 

 

La commission d’instruction de la cour de révision de la Cour de cassation de Paris a rejeté la demande de révision du procès d’Antoine Abibou, condamné le 5 mars 1945 à dix ans de prison pour rébellion commise par des militaires armés, après le  massacre de Thiaroye. Cette décision vient doucher les espoirs de son fils Yves Abibou.

 

Avant-hier, lundi 14 décembre, la commission d’instruction de la cour de révision de la Cour de cassation a rejeté la demande de révision du procès d’Antoine Abibou, condamné le 5 mars 1945 à dix ans de prison pour rébellion commise par des militaires armés. Antoine Abibou est ce rescapé du massacre de Thiaroye au cours duquel, le 1er décembre 1944, un nombre inconnu de tirailleurs, de retour des champs de bataille européens, ont été mis à mort par les militaires français. Il y a quelques semaines, de passage dans les locaux de EnQuête, son fils Yves Abibou, à l’origine de cette demande de révision, s’était montré peu optimiste par rapport à un avis favorable de la cour de révision de la Cour de cassation. Même s’il avait obtenu quelques victoires judiciaires auparavant. «J’ai fait une requête à la cour de Cassation et j’ai demandé qu’on révise le procès. Il y avait deux barrages, on a franchi le premier. Il reste le second. Mais l’histoire a montré qu’il est difficile de franchir cet obstacle. On attend la réponse pour le 14 décembre prochain, pour savoir si le procès d’Antoine Abibou sera révisé ou non. Si on réussit, ça va remuer les cendres et les pleurs de toute l’Afrique », disait-il.

Le combat d’Yves Abibou est celui du rétablissement de la vérité historique. Il juge ‘’inacceptable’’ la thèse des Français qui transforme un crime d’Etat en un simple matage de tirailleurs. « Il y a des choses qu’il faut rétablir. On a transformé les victimes en coupables. Quand j’étais gamin, j’étais sidéré que mon père soit Gaulliste. Ils ont fait la guerre ensemble, ce qui fait qu’il était fier de lui (De Gaulle), sans jamais savoir que c’est le général lui-même et le gouvernement provisoire qui ont couvert cette triste histoire de Thiaroye », racontait-il. Car, son combat est aussi pour la reconnaissance du rôle central des tirailleurs sénégalais et pour que justice soit rendue à ces démobilisés de la Seconde guerre mondiale. Yves Abibou est d’avis que les crimes de la colonisation en général et ceux de Thiaroye en 1944 contre les tirailleurs sénégalais en particulier sont imprescriptibles.

D’ailleurs, il se présente comme le fils d’un ancien tirailleur sénégalais d’origine béninoise, rescapé de la tuerie, « condamné et emprisonné injustement lors des événements de Thiaroye ». 71 ans après les faits, il a porté plainte contre l’Etat français qu’il accuse d’avoir travesti volontairement l’histoire, en qualifiant les victimes de cette tuerie de mutins et de propagandistes en faveur des nazis. Jugé et condamné à 10 ans de prison à l’époque, son père a été gracié 2 ans après. Il était accusé de faire la propagande des Allemands et de mener la fronde à Thiaroye. « Mon père aurait été vu avec son bonnet aller de groupe en groupe pour demander aux gens de ne pas rentrer sans leur solde. » 

Combattre « l’injustice et la transformation de l’histoire »

Yves Abibou est aussi cet homme de 63 ans qui a été professeur à l’école normale de Mbour, en 1975 et qui a été rattrapé par l’histoire « Pendant 40 voire 50 ans, j’ai essayé de fuir le sujet et voilà que l’histoire me rattrape aujourd’hui. » Pendant longtemps, Yves a considéré cette histoire comme une affaire ordinaire sinon banale, malgré les récits de son père sur l’horreur que fut la seconde guerre mondiale, notamment pour les Africains. Mais tout a changé lorsqu’un journaliste a voulu écrire un livre sur les tirailleurs sénégalais. Dans ses recherches, il a découvert le nom d’Antoine Abibou qui occupait une place primordiale dans l’affaire de la « mutinerie » de Thiaroye,  car étant celui qui avait écopé de la plus lourde peine parmi les rescapés. Une autre chercheuse sur le même sujet du nom d’Armelle Mabon a aussi retrouvé les traces d’Antoine comme l’un des personnages les plus importants dans cette affaire.

Autant de rencontres et d’autres qui l’ont convaincu de se lancer dans ce combat contre « l’injustice et la transformation de l’histoire ». « Mon fils et moi avons, depuis un peu plus d’un an, découvert dans les archives militaires de Poitiers toutes les pièces du procès de mon père. A travers ces documents, je découvre que tout ce qu’il me racontait en 1958, il l’avait dit au moment de son jugement. Il m’avait raconté son nom de clandestinité quand il s’est évadé des prisons des nazis. Il avait pris le nom d’un de ses camarades musulmans Aladji Karamoko tué aux combats. Il raconte tout ça lors du procès, mais les juges disent que c’est de la fabulation.  Ce sont les mêmes personnes qui avaient tiré sur eux qui les jugeaient. Ce qui fait qu’ils n’avaient pas voulu entendre et ils disaient qu’il est un type qui fait la propagande pour les Allemands », confiait-il. 

Gaston COLY

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