Des irrégularités sur l’affaire René Capain Bassène
Le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) a recensé le nombre de journalistes emprisonnés à travers l’Afrique. À l'issue de cette enquête, plusieurs anomalies ont été révélées dans le dossier du journaliste sénégalais René Capain Bassène.
D’après les résultats du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) publiés hier, le journaliste René Capain Bassène bouclera le 19 janvier prochain sa septième année en prison dans le cadre de l'affaire Boffa Bayotte. Une affaire dans laquelle 14 coupeurs de bois ont été abattus en 2018 au sud de la Casamance, au Sénégal, des faits qui lui ont été attribués. Il a donc été arrêté huit jours après les meurtres et, en 2022, condamné à la prison à vie pour complicité de meurtre, tentative de meurtre et association de malfaiteurs pour des crimes qu'il n'aurait pas pu commettre, indique le journaliste Moussa Ngom.
Cependant, en 2024, l'examen par le CPJ des documents judiciaires, ainsi que des entretiens menés avec René Capain Bassène, ses coaccusés et des témoins, a révélé que l'enquête le concernant était entachée de nombreuses irrégularités. Dans un premier temps, des personnes acquittées ont déclaré qu'elles avaient été contraintes d'impliquer le journaliste ou de signer des procès-verbaux d’interrogatoires erronés. Toujours selon les révélations du CPJ, il a été constaté que l'enquête s'appuyait sur des preuves incohérentes concernant le lieu où se trouvait Bassène le jour des meurtres et qu’il existait des raisons de douter de l'authenticité des courriels qu'il aurait envoyés.
De plus, Bassène a dénoncé les mauvais traitements subis en détention, corroborés par des documents médicaux attestant d'une blessure à l'oreille provoquée par un traumatisme. Ces éléments, combinés aux témoignages recueillis par le CPJ, mettent en lumière les nombreuses irrégularités de cette enquête, suscitant des doutes croissants sur la culpabilité du journaliste.
Des révélations choquantes
Le témoignage de Bassène confié au CPJ confirme qu’il avait été soumis à un traitement brutal. Les gendarmes ont retardé son interrogatoire de quatre jours, affirmant qu'il était « encore lucide » ou pas suffisamment épuisé pour divulguer des informations clés. Bassène a été détenu nu, menotté aux pieds et aux mains pendant ces quatre jours, a déclaré au CPJ Yama Diédhiou, une autre suspecte dans l'affaire, qui a vu le journaliste en garde à vue. « Ils me battaient constamment, me déshabillaient et utilisaient une matraque électrique sur mes parties génitales quand ils n'aimaient pas mes réponses », a déclaré Bassène. « Lorsqu'ils ont interrompu l'interrogatoire pendant la nuit, un gendarme faisait en sorte que je ne puisse pas dormir en frappant à la porte chaque fois que je m’assoupissais. » Un témoignage glaçant.
Ainsi, d’après Moussa Ngom, les sources du CPJ confirment l'existence d'ambiguïtés dans l'affaire. Le secrétaire du village de Toubacouta, situé dans la région de Ziguinchor, au sud du Sénégal, a affirmé n'avoir échangé avec René Capain Bassène qu'une seule fois. Cet appel, passé le jour du massacre, visait à obtenir des informations sur les meurtres. À cette période, Bassène achevait son quatrième livre, consacré au conflit entre les forces gouvernementales sénégalaises et le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance. Il a été révélé dans ce sens des nouvelles informations liant Bassène à son travail. Des documents judiciaires montrent que les procureurs ont cité les activités journalistiques de Bassène, y compris des appels téléphoniques et des courriels, avant et après les meurtres dans leurs arguments à charge. Ces informations l’ont conduit à être le seul journaliste sénégalais à figurer dans le recensement 2024 des membres de médias emprisonnés dans le monde établi par le CPJ.
Des irrégularités énormes
D’après le CPJ, l'affaire de René Capain Bassène dévoile des éléments troublants. Entre menaces, preuves contradictoires, interrogatoires brutaux et faux témoignages arrachés sous contrainte, l'enquête soulève de nombreuses questions sur son impartialité et sa crédibilité. « Les documents judiciaires du procès révèlent une tendance saisissante : les accusés dans l'affaire ont contesté à plusieurs reprises et vigoureusement les déclarations qui leur ont été attribuées dans les procès-verbaux de leurs interrogatoires et ont insisté sur le fait qu'ils avaient fait des aveux après avoir été soumis à des actes de torture sans la présence d'un avocat », lit-on dans le communiqué.
Toujours selon l’enquête, Sané aurait été interrogé sous la menace d'une arme, ainsi que quatre autres accusés dans l'affaire. Ils auraient déclaré au CPJ qu'ils avaient été violemment interrogés sur l'implication présumée de Bassène dans les meurtres, et que les faux témoignages qui leur avaient été attribués au sujet de Bassène avaient été présentés plus tard au procès. Autrement dit, des personnes impliquées ont témoigné avoir été forcées d'incriminer Bassène. « Nous avons été appelés un à un pour nous contraindre à signer, puis renvoyés au bureau du procureur sans connaître le contenu du procès-verbal d'interrogatoire », a déclaré au CPJ Abdou Karim Sagna, résident de Toubacouta et l'un des principaux coaccusés de Bassène, qui a été décrit comme l'exécuteur des meurtres avant d’être ensuite acquitté, et qui a affirmé ne pas connaître Bassène avant sa détention.
Des incohérences majeures ont également été relevées concernant l'authenticité des courriels qui lui sont attribués. « L'accusation a allégué que Bassène était membre de l'équipe de communication du MFDC et qu'il avait, à ce titre, envoyé environ 21 courriels à Ousmane Tamba, membre en exil de l'aile politique du MFDC, propriétaire du site d'information Journal du Pays et proche du leader du MFDC, Badiate. Or, Bassène a déclaré au CPJ que sa dernière discussion par courriel avec Tamba remonte à l'époque où il écrivait son deuxième livre, publié en 2015, documentant l'origine du conflit. Tamba a refusé de répondre à la demande écrite de commentaires du CPJ, envoyée par l'intermédiaire de Bodian, le représentant du MFDC, affirmant en novembre 2024 qu'il n'était impliqué ni de près ni de loin dans l’affaire.
Cependant, dans l'un des courriels versés au dossier, il apparaît que Bassène se serait identifié comme faisant partie de l'équipe du MFDC dans des réponses écrites à des questions du Journal du Pays sur le conflit, datées du 4 décembre 2017. Le CPJ, à l'aide de l'outil d'archivage numérique Wayback Machine, a révélé que l'interview avait été publiée au moins trois mois plus tôt et que Bassène était identifié comme journaliste-écrivain et observateur du conflit. Un argument et des supposées preuves qui ont été remis en question par Bassène et par son équipe juridique au tribunal.
Ainsi, d’énormes manquements et des ambiguïtés à n’en plus finir ont été révélés par le CPJ dans cette affaire. Quant au journaliste sénégalais René Capain Bassène, il purge une peine de prison à vie après avoir été reconnu coupable d'avoir orchestré un massacre dans une forêt du sud du Sénégal. Les déclarations faites au CPJ, des coaccusés remettent en question le verdict de cette affaire.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE