Publié le 31 Dec 2015 - 04:24
RÉTRO SOCIÉTÉ

2015, année létale

 

S’il fallait donner une couleur à l’année qui va s’écouler, rouge-sang serait la teinture adéquate. Sans vouloir noircir le tableau, la page qu’on s’apprête à refermer a été émaillée d’actes criminels lugubres dont les mobiles, insignifiants ou indéterminés, ont plongé les Sénégalais dans la consternation. Une année à vite ranger dans les tiroirs de l’oubli.

 

‘‘La première mesure de l’échec du gouvernement est l’insécurité’’, déclarait Idrissa Seck au sortir de la prière de tabaski. En dehors de la teneur politicienne de cette déclaration, cette position a été tellement partagée par beaucoup Sénégalais que l’idée de réintroduire la peine de mort a été agitée par le député Seydina Fall ‘‘Boughazelli’’. C’est que l’année a été meurtrière. Comme si une infection sanguinaire invisible s’était emparée de beaucoup de jeunes sénégalais, les poussant à commettre des actes extrêmes. 2015 aura été le théâtre de tueries aussi sordides les unes que les autres. Le pic est atteint entre la fin juillet et la mi-août avec cinq meurtres en quinze jours. Pape Ndiaye, un jeune talibé, est poignardé plus d’une quarantaine de fois dans son sommeil puis égorgé le 8 août dans un daara à Darou Kane, à Thiès. Ce qui aura été sans doute le massacre qui a causé le plus d’incompréhension et d’émoi dans l’opinion. 

Sans compter les deux blessés graves de cette tuerie dont l’auteur présumé, ivre au moment des faits, qui serait le fournisseur du père de l’enfant en chanvre indien.  L’on ne s’est pas remis de cette acte atroce que, quatre jours plus tard, le mélodrame familial d’un couple interracial vient porter la consternation à son comble. Fama Diop, une femme dans la trentaine, se fait abattre par son mari, Manuel Sanchez qui retourne ensuite l’arme contre lui, à Yoff-virage. Une scène au mobile inconnu qui s’est passé devant les deux filles du couple. A peine une semaine plus tard, Ndiaga Fall, plus connu sous le nom de Baye Fall, qui officiait près de la chaîne Walfadjri comme vendeur de café, est venu s’ajouter à cette liste macabre, en se faisant poignarder à mort par Ngagne Thiam. Des meurtres aux mobiles encore flous.

Les Sénégalais n’étaient pourtant pas au bout de leur surprise, puisque le mois suivant, dans la nuit du 6 au 7 septembre, Nassirou Ba et Abdourahmane Ba passent au fil du couteau de Bouba Sakho à la Cité Millionnaire de Grand-Yoff qui les a accusés de vol de téléphone portable. Une tuerie tellement révoltante que la police a évacué la maison du présumé meurtrier mitoyenne à celle de ses victimes pour éviter des représailles. Un peu plus tôt, dans le premier trimestre de l’année, en fin mars, un drame tout aussi macabre s’est soldé par un double meurtre à Malika. Un déséquilibré mental surnommé Algass a tué, avec une machette, un enfant de deux ans dans sa propre maison où il était apparemment un habitué. Les riverains outrés par ce fait, ont appliqué le talion, après une course-poursuite, en tabassant l’auteur à mort.

A l’étranger aussi

Comme un écho à ces meurtres domestiques, la mort, provoquée parfois de manière préméditée, s’est abattue sur nos compatriotes expatriés. Mor Sèye, la quarantaine, a été abattu par balles à en septembre en Italie. Un autre Mor Sylla, mbourois de 50 ans, est décédé en Espagne après avoir sauté du deuxième étage de son immeuble, le 11 août, après une perquisition assez musclée de la police catalane. Un malheur suivi d’une violente manifestation de la communauté sénégalaise à Sant Jordi. ‘‘La mort de notre concitoyen est inacceptable. Nos compatriotes ont assez souffert des tracasseries policières. Nous demandons que la lumière soit faite sur cette affaire’’, avait alors déclaré Mor Dieng Diop, président de la fédération des Sénégalais d’Espagne. Une requête toujours insatisfaite. Mbour semble d’ailleurs avoir payé un lourd tribut, puisque, 19 jours plus tard, un autre de ses fils, Charles Ndour, a été massacré à Tanger au Maroc, le 30 août. Ceci, sans compter le décès accidentel de trois colocataires sénégalaises à Casablanca : Adja Arama, Sophie Guèye et Seynabou Ndoye.

Néanmoins, c’est le décès dans des endroits plutôt insolites qui témoignent de la torpeur des autorités dans les dossiers des Sénégalais tués à l’extérieur. En juillet, Moustapha Kébé, chauffeur de 30 ans, a rendu l’âme, lors d’une détention dans un commissariat au Gabon, vraisemblablement de sévices corporels. Une mort qui est passée par pertes et profits. La gendarmerie gabonaise a parlé d’un suicide, alors que dans la communauté sénégalaise au pays de Bongo, il se susurre que c’est un meurtre déguisé. Il n’a pas été le seul, puisque Moussa Ndiaye a été retrouvé mort dans un hôtel au Gabon, le 22 août. Même les tueries de Cheikh Diba, brûlé dans son sommeil à Santa Maria au Brésil ; de Lamine Senghor à Paris ; et plus récemment de Babacar Guèye à Rennes ne ferment pas une liste macabre de Sénégalais qui ont péri à l’étranger.

La Mecque meurtrie

Preuve que cette année est à marquer d’une pierre rouge, les lieux saints de l’Islam n’ont pas été épargnés. Deux grandes catastrophes s’y sont succédé pendant le hadj, dont une dernière particulièrement meurtrière. Vendredi 11 septembre, au moins de 107 personnes périssent dans l’effondrement d’une grue sur la Grande mosquée de la Mecque, en chantier, alors que plus de 238 blessés sont à déplorer. Si aucun Sénégalais ne figure dans ce bilan, la donne est tout autre, deux semaines plus tard. Une bousculade pendant la lapidation de Satan, un des rites du pèlerinage musulman, provoque, selon les chiffres officiels, la mort de 769 pèlerins. 64 décès sénégalais périssent, classant le pays à la quatrième position des pays africains les plus touchés, après l’Egypte (177), le Nigeria (99) et le Mali (70).

Un deuil national de trois jours est décrété et la compassion envers les familles éplorées fait pratiquement oublier l’organisation calamiteuse du pèlerinage par un Commissariat général au pèlerinage à la Mecque complètement dépassé. ‘‘On ne sait pas de quelle immunité bénéficie un incompétent aussi notoire que le Commissaire Dia’’, avait lancé le jeudi 17 septembre un pèlerin en colère, après avoir été laissé à quai à Dakar. Ce jour-là a été le dénouement peu glorieux d’une attente de deux semaines pour les pèlerins qui espéraient que les problèmes de visa pour rejoindre la terre sainte allaient être résolus. Au finish, plus de 100 candidats au hajj n’ont pu effectuer ce cinquième pilier de l’Islam, à cause d’un quota de visa dépassé par les services du Commissaire Amadou Tidiane Dia ; et sont obligés de retourner chez eux dans des scènes de désespoir indescriptible. Une action en justice est envisagée par ces ‘‘laissés-pour-compte’’ qui engagent Me Khassim Touré pour entrer en contentieux contre le Commissariat. Une casserole dont le gouvernement s’est vite débarrassée en procédant à la dissolution de la structure, en novembre dernier.

Casse à Tobago

4 juin 2015. Alors que le ramadan s’annonce, les habitants des résidences derrière la Cité Tobago doivent supporter une pénitence de plus : une démolition de leurs maisons. Le calvaire a commencé au début de l’été dernier pour ces résidents ayant élu domicile derrière la cité Tobago. Au total, 402 maisons ont été rasées dont 181 R+1 en finition, 132 rez-de-chaussée en finition, et les restes de fondations et murs de clôture, d’après Daouda Mbengue, coordonnateur du collectif des victimes. Les autorités ont procédé à ce ‘‘nettoyage’’ sous le prétexte que ces bâtisses se trouvaient sur l’emprise de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor. Une préoccupation sécuritaire que ces résidents ont qualifiée de fallacieux. L’empiétement sur le domaine aéroportuaire n’était qu’un prétexte pour justifier la démolition de leurs maisons, à les en croire. Le motif invoqué pour la démolition des résidences et bâtiments a été le déplacement du mur originel, en préfabriqué, de l’aéroport et la construction de nouvelles maisons à l’intérieur, menaçant sa sécurité.

Une situation qui a causé des contrecoups judiciaires et administratifs. En août, les personnes qui ont été mêlées à cette affaire, ont été convoquées par le juge du 2ème cabinet d’instruction. Inculpés pour association de malfaiteurs, occupation et vente de terrain appartenant à l’Etat et destruction de biens appartenant à autrui et à l’Etat, ils sont près d’une quinzaine à être envoyés en prison. Parmi eux, le chef du département Génie-civil de l’Agence des aéroports du Sénégal (Ads), Alioune Badara Seck, ainsi que le responsable du contrôle de gestion des ADS, Saliou Kébé, et un agent de la direction technique.

Outre la procédure judiciaire contre ces agents de l’Ads, les sanctions administratives y ont été assorties. Le préfet de Dakar Alioune Badara Diop a sauté de son poste pour atterrir à Louga, deux semaines après les démolitions. Dans le même sillage, le directeur de l’Urbanisme, Oumar Sow, a été dégommé ainsi que le directeur régional des Domaines, Lamine Ly. Quant à l’ex-ministre du Tourisme et des Transports aériens, et maire de la circonscription concernée, Abdoulaye Diouf Sarr, sa nomination au ministère de la Gouvernance locale a sonné également comme une punition. Happy-end, les six maisons qui restent ne devraient pas être démolies, selon les assurances de la commission tripartite pour le règlement de cette question, dirigée par le Premier ministre.  

OUSMANE LAYE DIOP

 

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