Quand la politique se mêle à l’éthique
C’est la fin d’un suspense politique qui a tenu en haleine l’opinion publique. Il a fallu attendre quatre ans pour savoir que ce mandat présidentiel ira bien jusqu’à son terme. Macky Sall y a mis la forme pour livrer son message sans doute le plus déterminant de son magistère. La tournure du discours présidentiel est assez inédite pour mériter qu’on s’y attarde un peu. Dans son message à la nation, le président de la République s’est d’abord livré à un exercice d’explication de texte, dans une forme impersonnelle. Macky Sall a fait du Conseil constitutionnel son sujet actif, ce qui a le don de réduire sa personne présidentielle à un simple complément d’objet. Du coup, c’est toute la solennité du message à la Nation qui est par essence un exercice républicain du Pouvoir qui laisse la place à un exposé des motifs de soumission à la volonté du Conseil constitutionnel.
Ce n’est jamais chose aisée quand la politique se mêle à l’éthique. Le Président Sall a, dans sa prestation de serment, juré de respecter la Constitution ; Le candidat Macky lui, avait promis de réduire son mandat de 7 à 5 ans.
Tout compte fait, la soumission présidentielle à l’avis du Conseil constitutionnel a l’avantage de laisser à Macky Sall un délai pour préparer un bilan ; mais il a le double inconvénient de l’exposer au syndrome du “wax waxeet”, fatal à Wade (reniement public de la parole donnée), et d’offrir du grain à moudre à son opposition.
Le chef de l’Etat évoque la loi, mais ses opposants trouveront toujours des arguments moraux à faire-valoir : “La parole du président, c’est une loi constitutionnelle parce qu’il est le gardien de la constitution.”
Le verdict des sages est-il si contraignant qu’il ne laisse aucune autre possibilité ? Que devient l’avis de Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale ? Dans l’histoire politique du Sénégal, la place Soweto a souvent servi de raccourci au dessein de l’Exécutif. En 1998, les députés socialistes ont fait passer le mandat présidentiel de 5 à 7 ans. Wade a aussi utilisé le même procédé.
Pour certains spécialistes, Macky Sall, au nom de la parole donnée, aurait pu choisir de “violer la Constitution” et faire passer le texte à l’Assemblée, puisque c’est pour la bonne cause. C’est comme si on choisit de casser une vitre pour passer par la fenêtre quand on ne retrouve plus les clés de chez soi. Mais les tripatouillages constitutionnels de Wade ont rendu les Sénégalais frileux aux changements concernant la Loi. Ainsi, depuis le 23 juin 2011, avec le fameux ticket présidentiel avorté de Wade, la Constitution est devenue un bien public qui peut compter sur la vigilance de 14 millions de gardiens.
Pour Macky Sall, “le 20” est tiré, il faut alors le boire. Dans son message d’hier, il appelle à voter “Oui” à ce projet de constitution pour un nouveau souffle démocratique. A ce stade de son discours, Sall a tenté d’insuffler un enthousiasme à son propos. Vidé de sa réforme majeure, ce projet référendaire perd de sa substance. Le pari du pouvoir, c’est aujourd’hui de mobiliser les Sénégalais pour voter des réformes cosmétiques qui vont coûter des milliards au contribuable. S’y ajoute que depuis que Macky Sall est au pouvoir, les Sénégalais se seront rendus aux urnes cinq fois. Dès lors, y a de quoi craindre une allergie électorale. Mais le leader de l’Alliance pour la République inscrit son geste dans une trajectoire politique : le quatrième référendum dans l’histoire politique du Sénégal. Ce faisant, il cherche à trouver appui dans le passé pour s’adjuger une légitimité car, au Sénégal, aucune modification constitutionnelle n’a concerné le mandat présidentiel en cours. Dans l’argumentaire présidentiel, cette tradition a presque force de loi.
Bref, entre “deux péchés”, Macky Sall a fait un choix ; et il n’est pas certain qu’il ait choisi le péché le plus excusable aux yeux de l’opinion sénégalaise. Et pour cause, la parole d’un Président a une importante valeur symbolique. Et Wade a payé cher son reniement public. Qui mieux que Macky pour l’expliquer ?
ABDOU RAHMANE MBENGUE