Publié le 26 Apr 2016 - 21:35
AXE KEUR AYIP-FARAFEGNE-SENOBA

‘‘ C’est pire qu’à Karang ’’

 

Alors qu’au poste frontière de Hamdallaye un semblant d’activité économique maintient la zone sous perfusion, à Keur Ayip, l’autre point de passage vers la Gambie, c’est encore plus compliqué. Des denrées essentielles ne parviennent plus à la Gambie bien sûr mais aussi à certaines localités sénégalaises du sud dont Sénoba.

 

Sans les travaux de bitumage du tronçon Nioro-Keur Ayip, cette dernière localité serait bien monotone. Les bruits d’engins, la poussière de la latérite, les interpellations bruyantes donnent un dynamisme que seule l’activité de la gare routière ne pouvait assurer. Contrairement à l’autre point de passage terrestre avec la Gambie, Karang, aucun camion n’est parqué sur la partie sénégalaise de la frontière. On joue toujours les prolongations du blocus des chauffeurs sénégalais. 

Le 10 février dernier, la Gambie fermait ses frontières exigeant un droit de passage de 400 mille FCFA aux camions qui traversaient son territoire. Devant la riposte des chauffeurs, et plus tard de l’Etat sénégalais, Banjul opère une volte-face et  décide de rouvrir ses frontières le 29 février 2016. C’était trop tard, côté sénégalais où, excédés par la versatilité du président, l’on estime que Yaya Jammeh ne fait que reculer pour mieux sauter. ‘‘Nous continuerons ce blocus pour lui faire comprendre qu’il ne peut pas se lever un beau jour, aussi redoutable qu’il soit chez lui, et s’en prendre au commerce entre les deux pays’’, confie Baby Touré, président de la gare routière de Keur Ayip.

Le ton posé, le discours moins jouissif que ses congénères de Karang, l’homme déguste son mets matinal dans un coin reculé de la gare. Ouverture des frontières gambiennes ? Lui a plutôt entendu parler de démarches de la Cedeao pour concilier des positions de plus en plus divergentes. Le chef de poste de Douanes gambiennes qui lui a signifié la hausse avec effet immédiat ‘‘même après deux mètres en territoire gambien’’, ne lui a fait part d’aucun contre ordre pour la réouverture. Le chef de garage est d’avis que les 70 à 80 mille F CFA payés par camion de 50 tonnes de ciment, riz, ou fer qu’ils déboursaient pour la traversée vont booster l’économie sur la voie de contournement Tamba-Diaobé-Vélingara-Ziguinchor.

Conséquences ? Le gouvernement gambien qui avait pourtant allumé la première mèche s’est plaint à la Commission de la Cedeao en fin mars des agissements du Sénégal. Un marchand établi juste avant le poste frontière estime que ‘‘la situation est pire qu’à Karang’’. En temps normal, c’est déjà une voie secondaire, alors imaginez avec le blocus’’, souffle-t-il, se félicitant au passage que les travaux de bitumage soient devenus comme une activité économique de substitution. Les chauffeurs et ‘’sénégalais font état d’une inflation de plus en plus galopante des produits comme le pétrole, le béton, le riz, et surtout le ciment en Gambie. ‘‘ Ceux qui n’ont pas encore épuisé leur stock, à Banjul surtout, sont de potentiels millionnaires’’, soutient un vieux routier assis près du président du garage.

Farafégné : les groupes électrogènes tonnent

A peine un kilomètre plus loin, on est en territoire gambien. Le contrôle est plus lâche à la frontière de Keur Ayip qu’à Karang. Une longue file de gros-porteurs, bâches recouvrant le contenu de la benne, sont parqués sur le bas-côté de la route, en attente de rejoindre le Sénégal. En face, le commerce fait grise mine. Certains grands magasins, d’enseignes maures, sont encore ouverts, tandis que d’autres sont fermés. La gare routière pour le quai de Bamba Tenda, a connu des affluences meilleures, explique un étudiant de l’Ucad en partance pour le sud de Sénégal. Sur le ferry '‘Soma’' qui relie les localités gambiennes de Yelli Tenda et BambaTenda, séparées par le fleuve Gambie, une scène cocasse. Des bergers, aidés d’agents du bac, font descendre deux zébus aux membres arrière engourdis par la position inconfortable du trajet. C’est en les roulant sur eux-mêmes qu’ils sont expulsés du ferry. Le spectacle provoque l’amusement des passagers qui attendaient sur le quai. Ailleurs, ils auraient certainement dégainé les Smartphones pour immortaliser cette sortie insolite.

En Gambie, c’est un geste anodin qui peut attirer des ennuis. La mésaventure de la délégation du ministère de l’Environnement est encore fraîche dans les mémoires. Des bric-à-brac qui servent de magasins, de part et d’autre du quai, fuse la musique du roi du Mbalax. Mais une autre clameur, tout aussi assourdissante, vient s’ajouter à cette confusion sonore : le ronronnement d’un puissant groupe électrogène. En attendant l’arrivée du ferry, petit-déjeuner dans une sorte de gargote aux murs suspects, comme la quinzaine qui longe le quai. Le tenancier, un Sénégalais joufflu, se lâche dès qu’on aborde, sur le ton de la discussion, le blocus des transporteurs. ‘‘Grand, il faut qu’ils arrêtent cette grève. Nous nous faisons du mal à nous-mêmes avec ces mesures et représailles insensées’’, déclare-t-il. ‘‘Vous entendez le bruit du groupe électrogène, c’est comme ça depuis plus d’un mois. On ne peut pas continuer comme ça. Bientôt il ne restera plus rien ici’’, suggère-t-il. Dans les services de contrôle aux frontières, l’on fonctionne à l’électricité portative. Une situation qui n’épargne même pas les stations-services.

A Farafégné, ville commerciale, le pont de la Transgambienne, dont la pose de la première pierre a eu lieu en février 2015, semble remise aux calendes grecques avec cette nouvelle crise. Le dynamisme de la ville diffère de la monotonie des localités traversées. Mais le courant y est denrée rare. Dans un motel, pour négocier une nuitée, le réceptionniste a dû avouer qu’il y a de l’électricité, mais par roulement, devant notre exigence pour le wifi. ‘‘ Il n’y a pas d’heures fixes mais les délestages ont lieu dans la journée. C’est sans risque si vous vous inquiétez pour la nuit’’, se justifie-t-il dans un sourire rassurant. Mais, à suivre la logique des transporteurs sénégalais, Banjul devrait s’inquiéter même pour les groupes car, à terme, ‘‘les camions de fioul bloqués ici (au Sénégal) ne rejoindront pas la Gambie tant que nous ne sommes pas clairement édifiés sur des mesures de transport inviolables à l’avenir ’’, prévient Baby Touré.

Sénoba, ville morte

Pour autant que cette riposte étrangle Banjul, le Sénégal n’est pas épargné par les conséquences du blocus. Sénoba est la première localité sénégalaise après la frontière gambienne. Ici on vit tout aussi péniblement les conséquences du transport qui irriguait ce patelin négligé de la région de Sédhiou. Victime collatérale du blocus des transporteurs. Elle bruissait habituellement au rythme de la venue des bus horaires et de leurs passagers. Mais la frontière ressemble à une ville fantôme. Un thermomètre pas loin des 40° aidant, les quelques petits vendeurs et porteurs de bagages, stoïques, qui se sont aventurés le matin, se sont littéralement terrés dans les cabanes en bois qui parsèment les rebords de la route. Mahmoudou Ly qui tient une échoppe de bonbons déplore l’étouffement économique de ce hameau. Lunettes noires sur son front, il préfère rire jaune.  

‘’C’était plein de personnes d’habitude. Normalement à votre sortie de Gambie, vous étiez assaillis par les vendeurs. Je regrette cette ambiance’’, se résigne-t-il. Pour étayer ses propos, il désigne en face de lui un car serigne-bi esseulé dans le parking vide. Le vendeur dénonce bien la volatilité des produits gambiens qui du jour au lendemain passaient du simple au double. Mais rien n’est plus grave que le blocus, selon lui : ‘‘Maintenant, pour nous approvisionner, il nous faut aller aux louma (marchés hebdomadaires) de Médina Wandifa, Touba Mouride, ou Saré Alkaly distants de plusieurs kilomètres. Sans compter qu’il n’y a plus de clients depuis le blocus’’, déplore-t-il.

La complainte est similaire chez le boutiquier Souaré qui voit tous les jours ses étagères se vider sans pouvoir les garnir. ‘‘Vivement la fin de la grève des camionneurs. Nous sommes au bout du rouleau’’, se plaint-il. Tout est à l’arrêt : le petit service mitoyen de transfert d’argent, les gargotes aux étals renversés, et le petit dépôt des Douanes dont l’écriteau clame ‘‘Bienvenue. Ciment-riz-fer. Poste de Sénoba’’. Quelques rares vendeuses d’oranges bravent la chaleur pour espérer gagner quelque chose. Comble de l’exaspération, ce hameau de la région de Sédhiou n’a jamais connu les bienfaits de l’électricité. Mais pour Mahmoudou qui a choisi entre les deux maux, l’urgence est dans la levée du blocus.

MAME TALLA DIAW (envoyé spécial)

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