5 Des chapiteaux et des problèmes
Le comité de gestion du ‘‘marché aux tissus’’ en a après le maire des Hlm, Babacar Seck, qu’il accuse d’avoir pris de l’espace aux marchands pour y installer des chapiteaux ‘‘par entente directe’’ avec un promoteur. Faux ! rétorque ce dernier qui parle d’une convention et réitère ses prérogatives. Au milieu de ces tiraillements, ce sont les populations désabusées qui trinquent.
Sur plusieurs mètres allant du bouillonnant marché Hlm à la station de cars rapides à destination de Guédiawaye, les trottoirs sont surchargés. Tubes métalliques supportant des bâches trouées, tringles de bois qui abritent des étals plus modestes, et surtout les bouts pointus des chapiteaux blancs qui constituent la nouvelle attraction pour tous ceux qui ne sont pas venus dans ce marché depuis longtemps, constituent l'essentiel du décor. Sur la grande Avenue Cheikh Ahmadou Bamba, seuls les créneaux pour les arrêts fréquents de transports en commun sont épargnés.
Une ''cantinisation'' à outrance, tantôt contrôlée dans de petites portions, enlaidit le visage de cette commune. Une hybridation entre un milieu urbain moderne et des paysages campagnards accroche le regard. Se faufilant entre les détritus et sachets plastiques, les piétons se contentent du mince filet de route entre une chaussée qui accueille un flux ininterrompu de voitures et le rebord de trottoirs bardés de marchandises. ‘‘Vous voyez, c’est notre lot quotidien. Nous nous sommes habitués à l’encombrement’’, se résigne Moustapha Dieng, un natif de cette commune qui nous indique le parking de l’Unacois où se tient une conférence de presse du comité de gestion sortant du marché.
Cette commune qui compte 58 mille 919 habitants croule littéralement sous le poids d’un marché qui fait sa renommée, son bonheur et son malheur. Sur les trottoirs des chapiteaux blancs, derrière les étals des marchands ambulants et derrière ceux-ci, des immeubles à usage d’habitation pris dans la tourmente d’une frénésie marchande. ‘‘Nous les résidents, nous sommes les grandes victimes. Tout est devenu impossible pour nous. Nous sommes tellement envahis que même sortir de chez nous, surtout en voiture, peut créer une bagarre’’, déplore Soukèye Fall.
Dans les escaliers mal éclairés d’une maison à étages situé pas loin de l’école élémentaire Dr Samba Guèye, elle regrette les beaux jours des Hlm où l’on pouvait apercevoir les arbres de son balcon, et vitupère contre cet énorme bric-à-brac d’étals, de bâches, de marchandises éparses, de marchands et clients, de klaxons en pleine nuit, etc. Preuve de la dégradation de la qualité du marché aux tissus, ‘‘le marché HLM ne figure plus sur les sites de la capitale sénégalaise que les Tour Operator suggèrent à leurs clients’’, déplore le maire Babacar Seck.
‘‘Tout ce qui intéresse le maire, c’est l’assiette fiscale’’
Retour de bâton ? En tout cas, ce sont les commerçants qui dénoncent eux-mêmes l’installation d’autres commerçants en face de leurs négoces. Ce qui a constitué le motif du courroux du comité de gestion de ce marché qui a appelé à un point de presse hier. ‘‘Le maire de la commune a passé un marché par entente directe avec un promoteur pour installer ces chapiteaux. Tout ce qui l’intéresse, c’est l’assiette fiscale, rien d’autre’’, tempête Abdou Aziz Sakho qui subodore un scandale financier. 229 étals loués entre 200 et 350 mille FCFA les douze jours, soit un pactole estimé à 57 millions, sont brandis par les organisateurs pour dénoncer une nébuleuse de la mairie. Sur le terrain du parking de l’Unacois, en plein cœur du marché, le comité de gestion chauffe à blanc ses partisans, des commerçants pour l’essentiel, pour les inciter à défendre ce qu’il considère comme une menace pour leur avenir professionnel.
‘‘Il y a vingt ou trente ans, aucun maire n’aurait procédé à un déguerpissement pour amener d’autres personnes. Si ça avait été nous, ces chapiteaux n’auraient jamais été dressés. Vous les jeunes commerçants, vous êtes de grands poltrons’’, tempête le vice-président de l’Union nationale des commerçants du Sénégal (Unacois), Ibrahima Lô. L’ambiance déjà chaude sous les trois bâches qui accueillaient une foule de personnes en est devenue intenable sous les hourras des jeunes vendeurs qui viennent de se faire brocarder.
Galvanisés par cette pique, certains lèvent les poings et promettent de porter le combat dignement. ‘‘Nous enjoignons le maire des Hlm d’interrompre immédiatement les installations et de s’intéresser à la gestion du marché’’, exige le président sortant du comité de gestion, Moustapha Diack. Ce dernier qui ne comprend pas que le secteur informel qui représente près de 50% du Pib, et emploie dix fois plus de gens que la Fonction publique et le privé réunis, continue à subir les desiderata des autorités locales des collectivités où elles sont implantées. ‘‘Tous les marchés du Sénégal sont dans une situation conflictuelle à cause de maires affairistes.
Nous appelons le ministre des Collectivités locales à intervenir’’, dénonce-t-il. Preuve que les commerçants ne veulent plus jouer les seconds rôles, Ibrahima Lo les appelle à se constituer en force électorale pour peser sur la balance. ‘‘Allez vous inscrire sur les listes électorales. Faites inscrire vos femmes, fils, oncles et parents, pas dans vos localités dans les villages, mais ici aux Hlm. Prenez-leur la mairie. Pesez sur la balance’’, lance-t-il devant une foule de partisans chauffés à blanc. Dernier pavé dans une mare de complaintes, les commerçants appellent au refus du paiement de taxes et patentes si le maire ne trouve pas satisfaction à leurs doléances.
‘‘Après la tabaski, il n’y aura plus de chapiteaux’’
C’est dans les quartiers dédaléens des Hlm 4 où est nichée la nouvelle mairie que Babacar Seck, l’édile de la Commune, a réagi au quart de tour pour contrer les accusations portées à son encontre. Rappelé dare-dare par sa communication alors qu’il était sorti, il a qualifié la sortie des commerçants de ‘‘show médiatique’’. Drapé dans un grand boubou, il lève les mains en signe de victoire et compare le blanc de ses habits à sa gestion immaculée de la mairie depuis 2014. Lui parle bien d’une convention avec deux promoteurs pour ce qui concerne les chapiteaux et annonce que d’ici le 11 septembre prochain, ils auront tous quitté. ‘‘
Après la tabaski, ils vont quitter cette place. Je dispose de plus d’espace que tous les autres maires et pourtant, je ne suis pas dans l’organisation de foires comme ça se fait’’, se défend-il. Interpellation pour interpellation, il s’étonne qu’un édicule qui rapporte 70 mille F CFA par jour, laissé au comité de gestion, n’ait généré que 3 millions pour la mairie en trois années. ‘‘Ils ne paient rien de toute façon. Depuis que je suis à la mairie, je n’arrive pas à finir le recensement. Ce marché ne rapporte rien à la commune. Il y a des tierces personnes qui encaissent tout, le maire ne voit que dalle. C’est un marché de caprices. Ils ont tous des centres commerciaux qui échappent au contrôle de la mairie’’, déplore l’édile qui, pour appuyer son argumentaire, parle de 280 millions encaissés sur un budget prévisionnel de 508 millions en 2015. Quant aux menaces de non-paiement des taxes et patentes, le maire estime qu’il répondra conformément aux textes de loi en vigueur.
L’espace dont il est question a déjà fait l’objet d’un déguerpissement tumultueux en 2014 avant une résilience marchande qui a reconquis les artères après la fête de Tabaski. Le maire parle bien d’une exception durant cette fête, car le gouvernorat en a fait un espace de vente de moutons, mais subit les conséquences des lourdes modalités de mise en œuvre qui retombent sur les épaules de la mairie. ‘‘Les commerçants ne m’ont pas élu. Je ne suis comptable que devant les populations des Hlm. Le marché appartient à la mairie. Ce qui doit être décidé là-bas, c’est à moi de m’en occuper, pas à eux’’, prévient Babacar Seck.
OUSMANE LAYE DIOP