Les raisons de la brouille diplomatique
Alors que tout semblait aller pour le mieux dans les relations entre le Sénégal et la Mauritanie, Nouakchott expulsait des pêcheurs sénégalais en mars dernier, quelques semaines après une visite d’Etat du Président Macky Sall à Nouakchott pour réchauffer les relations entre les deux pays. Signe que la tension est devenue palpable, le Sénégal demande, en mi-juillet, aux éleveurs mauritaniens dont la présence du bétail sur le sol sénégalais est hors-la-loi de rentrer chez eux avec leurs animaux. Depuis lors, un froid glacial caractérise les relations diplomatiques entre les deux pays. Décryptage.
Même si dans les capitales des deux pays on joue à l’apaisement en expliquant que le Sénégal et la Mauritanie partagent un même espace, les mêmes problèmes et les mêmes ambitions pour leurs peuples frères, les signes ne trompent pas. Car en dépit de l’agenda commun sur le gaz transfrontalier ou la lutte contre le terrorisme, les deux pays sont en total désaccord sur certains dossiers qui jettent un froid dans leurs relations diplomatiques. Parmi ces affaires, il y a surtout celui de la République arabe sahraouie, le retour annoncé du Maroc au sein de l’Union africaine et les intérêts succincts après le choix des Américains d’établir une base d’action rapide au Sénégal que les Mauritaniens pensaient acquise sur leur sol.
Nouakchott préfère un axe diplomatique renforcé avec Banjul plutôt que Dakar
En avril dernier, lors des contestations dans les rues de Banjul contre le régime gambien, dans un contexte de froid diplomatique avec le Sénégal, le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a été l'un des rares soutiens du Président Yahya Jammeh qui a publiquement déclaré, et à plusieurs reprises, que le Président Macky Sall est un "gouverneur" des puissances néocoloniales. Le président gambien qui a récemment organisé un colloque international sur l'esclavage, la traite négrière et le colonialisme à Banjul, avait comme invité principal le commissaire aux droits de l'Homme et à l'Action Humanitaire de Mauritanie, Cheikh Tourad Ould Abdel Malick.
Ce dernier a révélé que son pays va soutenir le projet de résolution sur l'esclavage, la traite négrière et le colonialisme que la Gambie veut soumettre à l'Assemblée générale de Nations unies, en septembre. Une déclaration qui n'a pas manqué de faire rire sous cape certaines chancelleries qui sont au fait de la gravité du problème de l'esclavage des négros mauritaniens. Qu'importe, Cheikh Tourad Ould Abdel Malick a vendu la mèche de ce projet gambien soutenu par la Mauritanie. Il s'agira de demander réparation aux puissances coloniales et esclavagistes. "Le projet de résolution doit comprendre le devoir de mémoire au profit des victimes de la traite négrière et de la colonisation ainsi que le droit à la réparation", a soutenu le droit de l’hommiste mauritanien.
Le Sahara occidental, illustration de la discorde
La Mauritanie est particulièrement remontée contre le Sénégal après le 27e sommet de l’UA au cours duquel la diplomatie sénégalaise a pesé de tout son poids pour un retour du Maroc au sein de l'Union. Un retour mal vu par la Mauritanie qui soutient la République arabe sahraouie. D'ailleurs, quand le roi du Maroc avait dépêché en juin dernier une délégation afin d’en informer le président mauritanien, celui-ci avait tout simplement refusé de la recevoir, laissant à son ministre des Affaires étrangères le soin de s’entretenir avec les envoyés spéciaux du roi Mohammed VI. Or, lors du sommet de l'UA à Kigali, le Président Macky Sall avait adressé une lettre au président en exercice de l’UA, Idriss Deby du Tchad, pour lui demander de lire une requête formelle sur le retour du Maroc.
Mais si les positions du Président Sall sur cette question irritent la Mauritanie dont le Président était absent à Kigali, c'est parce que son homologue sénégalais avait ouvertement milité pour l'exclusion pure et simple de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) de l'Union africaine incarné par le Polisario, un mouvement séparatiste soutenu et financé essentiellement par l’Algérie, mais aussi par la Mauritanie. D'ailleurs, quelques semaines plus tôt, lors des obsèques du chef du Polisario Mohamed Abdelaziz, le Président mauritanien s'est fait représenter par une forte délégation de son gouvernement.
Un soutien mauritanien très éloigné des préoccupations de son voisin. Car pour la diplomatie du Sénégal, dès lors que la RASD n’a pas été reconnue par les Nations unies et les autres organisations internationales, il est plus juste d’attendre qu’un référendum d’autodétermination ait lieu, par exemple, pour ensuite se prononcer au niveau continental. Plutôt préoccupé à éviter ce dossier chaud en plus de celui de la succession de la Présidente de la Commission de l'UA, le Président Déby n'a pu éviter le blocage sur la motion d'exclusion de la RSAD, qui n'a pas été votée par la Mauritanie, l’Egypte et la Tunisie. Mieux, le Président Déby n'a même pas fait lire à l'Assemblée la lettre demandant le retour du Maroc. Suffisant pour que la Mauritanie crie victoire.
Quand la candidature d’Abdoulaye Bathily souffre des effets collatéraux
Il faut dire que l'activisme mauritanien et algérien dans le dossier de la République arabe sahraouie démocratique a indirectement retardé la candidature du Professeur Abdoulaye Bathily pour diriger la Commission de l'UA. Le Sénégal avait suspendu cette candidature quand le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a été désigné par son pays. Le considérant comme un candidat au profil sérieux, le Sénégal était prêt à le soutenir. Mais alors que les tractations étaient à leur pique en coulisse pour le retour du Maroc à l'UA, Ramtane Lamamra s'est retiré de la course, fin mars, le jour même de la fermeture des candidatures. Ce qui n'a pu donner assez de temps au Sénégal pour placer sa candidature. Après cette volte-face, Lamamra a battu campagne pour le candidat et ancien vice-président ougandais, Speciosa Naigaga Wandira Kazibwe, prouvant ainsi que son pays avait un agenda totalement différent des préoccupations du Sénégal.
La Mauritanie solde ses comptes
Aujourd'hui, on est loin du bout du tunnel dans le froid diplomatique entre la Mauritanie et le Sénégal, même si à Dakar, l’on soutient que ‘’tout est normal entre nos deux pays qui restent frères et bons voisins’’. Pendant ce temps, en fin de semaine dernière, la Mauritanie a interdit l’accès à son territoire aux voitures de transport de marchandises immatriculées au Maroc et aux voitures venant d’Europe transitant par le Maroc en destination des pays de la sous-région, principalement le Sénégal et le Mali qui seront affectés par cette mesure.
Mieux, il n’est pas exclu que la Mauritanie renvoie une nouvelle colonie de pêcheurs sénégalais car, le ministre mauritanien des Pêches, Nani Ould Chrougha, expliquait le 28 juillet dernier le retard du renouvellement des accords de pêche entre son pays et le Sénégal, un retard qui place dans l’illégalité l’activité de ces pêcheurs sénégalais en Mauritanie. Or, avoue le ministre mauritanien des Pêches, la cause directe de la crise avec les pêcheurs sénégalais se trouve dans la volonté de son gouvernement d’appliquer une nouvelle réglementation selon laquelle, le poisson pêché en Mauritanie doit être débarqué d’abord dans le pays ou transbordé de bateau en bateau. Ce qui pose problème pour les pêcheurs sénégalais ne disposant que de pirogues en bois.
Par ailleurs, quatre (4) Sénégalais qui voulaient rejoindre l’Espagne sont bloqués depuis 2 jours dans le désert entre le Maroc et la Mauritanie. Selon la Rfm qui donne l’information, ces Sénégalais ont été refoulés par les garde-côtes marocains et la Mauritanie refuse de les accueillir.
Mame Talla Diaw