Publié le 28 Oct 2016 - 04:34
PROFIL – GUEYE COCO

Artiste du bois et de la noix de coco

 

Son art est particulier. Son travail est fin et ses finitions belles. Il n’a jamais eu cependant la chance de le montrer à un large public. Le centre culturel Blaise Senghor lui en donne l’occasion en décembre prochain. D’ici là, EnQuête s’est rendu dans ses ateliers à Grand-Dakar.

 

Avec ses dread locks sel et poivre, son tee-shirt et ses baskets, on lui donnerait la trentaine. Mais quand on échange avec lui et qu’on fasse un peu plus attention à son visage, peu ridé, triste et joyeux à la fois, l’on se rend compte qu’il n’est pas loin de la soixantaine. Seulement, il n’y a que cela qui rappelle l’âge de cet artiste talentueux. Anonyme pour le grand public, Ibrahima Guèye alias Guèye Coco parle comme les jeunes en usant d’une partie de leur vocabulaire et avec plein d’humour dans le discours. On le prendrait facilement pour un ‘’Baye fall’’ ou un ‘’reggae man’’ version galsen. Mais ‘’Pa Guèye’’, comme l’appellent ses voisins à Grand-Dakar où se trouvent ses ateliers et où EnQuête l’a trouvé, est un artiste du bois.

 Il ne vit et ne voit que ce tissu végétal. Tout a commencé dans les années 1990, quand il a décidé de devenir menuisier. Il se fera former pendant deux ans au lycée professionnel Maurice Delafosse. Avant même qu’il ne boucle son cursus, l’ancien Président Abdou Diouf décide alors de fermer entre autres la section menuiserie. Guèye Coco entre dans l’informel. Il y fera long feu à cause d’un accident de travail. ‘’Je ne pouvais rien faire avec ma main droite. J’ai subi quatre opérations chirurgicales. Avant la cinquième, j’ai rencontré un médecin blanc qui m’a dit que ce n’était pas avec la médecine moderne que je guérirais. Il m’a conseillé d’essayer celle traditionnelle. J’avais tout le côté droit de mon corps paralysé. Mais quand j’ai commencé à voir des marabouts, j’ai commencé à retrouver la mobilité de mes membres’’, se souvient-il.

‘’ J’ai voulu me rendre en Espagne’’

A le voir très actif, souple dans ses mouvements, on a du mal à croire à son histoire. Pourtant, c’est réellement ce qu’il a vécu. Une histoire qui lui a permis tout de même de devenir artiste de la noix de coco et du bois aujourd’hui. ‘’Je n’ai fait aucune école d’art. Je n’ai fait qu’une école, celle de la rue et le bon Dieu est mon professeur’’, prévient-il sur un ton mystérieux. Il a un don pour transformer les noix de coco en meubles de décoration d’où d’ailleurs son nom d’artiste Guèye Coco. Mais avant, il a tenté l’émigration. Il a voulu se rendre en Espagne par la route. A l’époque, l’actuel phénomène ‘’Barça wala Barsax’’ existait mais, loin de l’océan atlantique, il se passait dans le désert de la Mauritanie. Et Guèye Coco a tenté l’aventure.

En cours de route, il est informé du décès de son père. ‘’C’est en essayant de rejoindre l’Espagne qu’on m’a annoncé le décès de mon père. Je me suis dit que j’allais en Espagne pour chercher de l’argent afin de le soutenir et il est parti avant. Il me fallait revenir au pays. Quand je suis arrivé, ma mère a refusé que je retente ce parcours dans le désert’’, raconte-t-il. C’était en 1993. Et c’est à cette  époque qu’il a commencé à travailler les noix de coco. Sa maman l’avait convaincu de rester en lui assurant qu’il pouvait trouvait ce qu’il allait chercher au pays de Zapatero ici au Sénégal. ‘’Ma mère était mon apprenti. C’est elle qui polissait en premier les noix de coco avant que je ne commence à les transformer’’, indique-t-il.

 Ancien calot bleu

Son art évoluera. Il commence alors à faire des tableaux mais toujours avec du tissu végétal. Il travaille avec du rotin,  des brins d’allumettes, des écorces de banane, de la poudre, des écorces et de l’huile de coco. Il fait du collage et joue sur les couleurs majoritairement terre, en faisant brûler les brindilles d’allumettes à travers divers allumages. Ce qui apporte un contraste noir sur certains des tableaux qui traitent de divers thèmes.

Panafricaniste comme son modèle en politique et ancien compagnon Me Abdoulaye Wade, Guèye Coco, ancien calot bleu, parle beaucoup du continent noir. Il parle de ses merveilles et de ses maux. Il dénonce le retard de l’Afrique et le pillage par le monde occidental. Ses idées se chevauchent à travers ses différentes œuvres. Car par-ci, il parle de l’indépendance de l’Afrique et par-là, il évoque le néocolonialisme. Celui qui se dit Africain d’origine sénégalaise, n’occulte pas les problèmes de sa terre natale.

‘’Vous voyez ce tableau’’, dit-il en brandissant une de ses œuvres, ‘’c’est l’autoroute à péage. Je l’ai réalisé dès que Wade m’en a parlé en 2002’’, dit-il. 2002, une année et un lendemain de tabaski inoubliables pour lui. Alors qu’il se préparait à aller à la coupe du monde de cette année, comme un des membres de la délégation officielle y représentant le Sénégal, un malheur survient. Les tableaux qu’il devait y amener prennent feu. Sa maison brûle. Il ne lui reste presque rien à part quelques photos çà et là.

 A l’image des autres évènements de sa vie, celui-ci aussi a impacté sur son art. ‘’Je suis un fumeur et je gardais toujours chez moi plusieurs paquets d’allumettes. Le jour de l’incendie, j’ai voulu les sauver. Quand je suis arrivé, ils avaient commencé à calciner. L’état dans lequel étaient les brindilles m’a inspiré. C’est ainsi que j’ai commencé à les utiliser quand je confectionne mes tableaux’’, fait-il savoir. Du bel art  que vous pourrez découvrir en décembre prochain au centre culturel Blaise Senghor où Guèye Coco exposera une vingtaine de ses tableaux.

 BIGUE BOB

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