Le grand bazar
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La location de voitures est un secteur lucratif qui aiguise les appétits dans la capitale sénégalaise. Au niveau de certains axes routiers, les espaces vides sont transformés en parking de vente et de location de véhicules d’occasion ou de luxe. Cette ruée vers ce créneau est facilitée par une absence de réglementation qui fait le bonheur du premier venu. Cette désorganisation a pour corollaire : insécurité, déboires judiciaires, concurrence déloyale…
A Dakar, la location de voitures n’est pas seulement l’apanage des agences dédiées. Nombreux sont aujourd’hui les citoyens, anciens chauffeurs, retraités ou tout simplement businessmen, qui se lancent dans ce créneau porteur, selon plusieurs confidences. Un tour dans la capitale, notamment dans les quartiers dits chics, permet de saisir l’ampleur du phénomène. Les parkings de location et vente de voitures y essaiment. En effet, il faut dire que le relèvement de l’âge des voitures importées, qui est passé de 5 à 8 ans depuis 2012, est pour beaucoup dans la frénésie qu’on note dans le secteur. Un business ‘’très lucratif’’, malgré quelques désagréments causés par la clientèle, les courtiers, à l’encadrement des acteurs du secteur de la part de l’Etat.
Sur la Voie de dégagement nord (VDN), à hauteur de la Cité Sipres, se trouve un groupe de propriétaires de voitures particuliers. Didier Badji et ses amis sont à l’affut d’un client. La devanture de ce parking leur sert de siège. Didier s’en explique : ‘’Le propriétaire de ce parking vend des voitures. Vu que les gens viennent souvent lui demander s’il fait de la location, nous nous garons à côté. Le patron des lieux nous connaît tous. Donc, à chaque fois qu’il y a un client, il vient vers nous’’. Cet ancien chauffeur d’une société privée de la place s’est lancé dans le secteur de la location de voiture, il y a trois ans. Un grand saut qu’il ne regrette absolument pas.
‘’On me payait 100 000 F CFA par mois. Des fois, j’avais même des problèmes pour payer mon loyer.’’ Ce qui n’est plus le cas. Et pour cause : ‘’le secteur de la location est vraiment très rentable’’, confesse-t-il. Sa vie a pris une autre tournure. ‘’Aujourd’hui, je ne pense même pas retourner travailler comme salarié. Car, personne ne peut me payer le montant que je gagne avec la location par mois. Même les chauffeurs, s’ils travaillent avec 10 000 F par jour, ne vont pas laisser la location pour une société’’, renchérit Didier.
En effet, les chauffeurs des services de location sont payés 10 000 F CFA, le jour, s’ils font une course au-delà de Diamniadio. Pour des courses à l’intérieur de Dakar, c’est 5 000 F. ‘’Il arrive qu’on ait des clients généreux qui nous paient plus que ce qui est convenu. Récemment des Chinois ont loué ma voiture et ils me payaient 85 000 F CFA par jour : 75 000 F CFA pour la voiture et 10 000 F CFA pour le chauffeur. Etant donné que je fais office de chauffeur, j’ai empoché le tout’’, dit-il d’un air satisfait.
Des clients malhonnêtes
Debout en face de Didier Badji, Modou, la trentaine, en jean bleu et en t-shirt gris, les clefs de sa voiture à la main, prête une oreille à notre conversation, tout en guettant un probable client. Interpellé par ce dernier, il rejoint le débat. Mais, loin de la satisfaction de son collègue, il lance : ‘’la location de voiture est un service tellement stressant. On s’en sort financièrement, mais il y a beaucoup de problèmes. Nous sommes dans l’informel, sans aucune garantie. Il arrive que les gens disparaissent dans la nature avec nos véhicules ou les prennent pour commettre des crimes, des délits ou des infractions’’, fait-il savoir. Récemment, poursuit Modou, sa voiture a été louée à un gars qui lui avait dit qu’il allait à Kaolack, alors qu’il s’est retrouvé à Tambacounda. ‘’En plus, ma voiture a été détruite. J’ai aussi loué une voiture et la police m’a appelé pour m’informer qu’on avait retrouvé de la drogue à l’intérieur. Parce qu’en louant la voiture, je ne peux pas savoir si la personne vend de la drogue, ou s’il va commettre un crime, etc. Ils se présentent en général comme des gens civilisés et apportent les garanties nécessaires pour bénéficier d’un service de location et paient l’argent sans problème. Alors que ce sont des malfaiteurs’’, dit-il.
Des fois aussi, confie-t-il, en cas de pépin, la police embarque le propriétaire, parce qu’elle le considère comme un complice. Pour parer à ces situations, certains ont équipé leurs voitures de GPS. Or, regrette ce locataire privé, ces équipements ne sont pas à la portée de tout le monde, à cause de leur coût. ‘’Les malfaiteurs ont aussi une nouvelle manie. Ils font scanner la carte grise de votre voiture, remplace votre nom par le leur et vendent votre véhicule sans souci’’, révèle Modou qui a commencé son business en 2012.
Un secteur à réglementer
Ailleurs, au quartier HLM Grand Yoff, loin de Didier et ses camarades, Abdoulaye Wade ou Laye, comme l’appellent ses proches, tient une boutique familiale. Chez Wade et frères, on fait de l’import, de l’export, mais aussi de la location de voitures. Trouvé sur place, Laye confirme que le business de location de voitures est assez lucratif mais avec beaucoup de petits problèmes. ‘’Ça rapporte de l’argent, car les Sénégalais adorent faire du ‘blow’ (la fête), surtout les week-ends. Mais le secteur n’est pas réglementé. Au Sénégal, il n’y a pas de sécurité’’, se désole-t-il. En effet, Laye a un différend avec un courtier qui lui doit environ 4 millions de francs CFA. ‘’Je lui ai donné 4 de mes voitures pour qu’il les loue. Il a bouffé mon argent. Depuis, aucune poursuite n’a été entamée à son égard. On est allé à la Police, puis à la Division des investigations criminelles (Dic) et il a pris des engagements. Cependant, sachant que c’est une affaire civile, il m’a dit que ça n’ira nulle part. Et jusqu’à présent, mes 4 millions F CFA sont en suspens’’, narre-t-il d’un ton sec.
Ecœuré, Laye Wade affirme qu’il n’y a pas une ‘’bonne garantie’’ de la part des institutions étatiques sénégalaises. ‘’Pire, certains vous disent qu’il n’y a pas de loi. Dans le secteur de location de voitures, si on n’est pas trop draconien, on ne s’en sort pas. Les gens vont vous prendre pour un c… et vont faire ce qu’ils veulent avec votre matériel. Car, on n’est entouré que de truands. 90% des gens qui louent des voitures sont des gens peu fiables’’, regrette cet ancien émigré. Pour ce dernier, il faut ‘’être même fou’’ pour investir dans la location de voitures. ‘’Car ici, les gens conduisent comme des aliénés. Les gens ne savent pas conduire ; personne ne respecte le code de la route. Ils ne le connaissent même pas. C’est l’ignorance totale’’, fulmine Laye. Qui n’en a pas fini avec les récriminations. Connaissant parfaitement le secteur, il en a gros sur le cœur.
‘’Ce sont les courtiers qui sèment le désordre’’
A côté de tous ces désagréments, il y a la présence des courtiers qui détiennent le monopole du marché, selon lui. Une situation que dénonce également un autre promoteur privé rencontré sur la VDN. ‘’Ce sont les courtiers qui sèment le désordre sur le marché. Ce sont eux qui garantissent les clients, alors qu’ils ne cherchent qu’à se faire de l’argent sur le dos des propriétaires de voitures’’, déplore notre interlocuteur sous couvert de l’anonymat. Ici, les courtiers sont stricts. Ils gagnent 10 000 F CFA pour chaque client amené. ‘’Même si ce dernier loue ma voiture pour un mois, je vais donner chaque jour 10 000 F au courtier. C’est la règle‘’, ajoute-t-il. La concurrence ‘’déloyale’’ reste aussi un défi à relever, selon les propriétaires privés. ‘’Il y a beaucoup de particuliers qui ne sont pas réguliers, et surtout des gens qui restent chez eux et louent leurs propres véhicules durant les week-ends. Alors qu’ils n’ont aucune autorisation. Et les clients vont les voir, parce que les prix qu’ils leur font sont plus abordables que les agences’’, révèle notre interlocuteur.
MARIAMA DIEME