Chronique d’une mort annoncée
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Même si le passage à la vitesse supérieure, ces derniers jours, peut surprendre, on ne peut pas dire autant de la détermination de l’Etat du Sénégal à fermer les écoles Yavuz Selim. Les carottes semblent être cuites il y a bien longtemps. Retour sur les péripéties de cette affaire.
L’Etat du Sénégal ne badine pas sur l’affaire Yavuz Selim. Ce weekend, il a accéléré la cadence. ‘’Le ministre de l’Intérieur porte à la connaissance des parents d’élèves des établissements du groupe scolaire Yavuz Selim, que par arrêté n°18353 du 7 septembre 2016, il a été prononcé le retrait de l’autorisation d’exercer de l’association dénommée Baskent Egitim qui ne peut plus, dès lors, exercer d’activités au Sénégal. En conséquence, il a été procédé à la fermeture des écoles portant l’appellation Yavuz Selim par arrêté n°19360 du 11 septembre 2017’’. L’information est tombée comme un couperet sur la tête des responsables dudit groupe. Ces derniers parlent d’une décision ‘’inattendue’’. Surtout que l’Etat du Sénégal a saisi le tribunal des référés pour la désignation d’un administrateur provisoire pour ces établissements turcs dans ce pays. A la suite de ce procès qui s’est tenu le 25 septembre dernier, le juge va trancher le débat lundi prochain.
Même si la méthode peut surprendre, la décision, elle, ne devrait pas l’être. En effet, les gouvernants ont indiqué le chemin, il y a bien longtemps.
Au début de l’affaire, le censeur et le directeur des études de Yavuz Selim ont relativisé. Mieux, ils ont sollicité l’arbitrage de l’Etat tout en rassurant les parents d’élèves, rappelant, au passage, le caractère laïc de leur école. En sus, le personnel sénégalais du groupe a même demandé à l’Etat d’installer une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les agissements du gouvernement turc et sa volonté de confier les rênes du groupe à l’association Maarif. Ils ne se doutaient pas de ce qui allait arriver. Devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’Education nationale, Serigne Mbaye Thiam, et son collègue d’alors en charge des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, ont révélé la position officielle de l’Etat qui consiste à accéder à la demande de l’Etat turc.
Cette sortie sera aussitôt suivie de la prise, par le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique à l’époque, Abdoulaye Daouda Diallo, de l’arrêté portant abrogation de l’autorisation d’exercer des activités au Sénégal. La notification a été faite aux membres de Baskent Egitim, le 6 février 2016. Comme si cela ne suffisait pas, la note a révélé la création de la fondation turque Maarif. Mécontent, Yavuz Sélim a attaqué cette décision devant la Cour suprême pour excès de pouvoir. Pour ce groupe, c’est en violation flagrante des statuts de l’association et de la loi que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique s’est substitué à l’organe de l’Assemblée générale de ladite association pour constater et décider seul, comme cela ressort de l’arrêté de la disparition de l’objet social de l’association Beskent Egitim, du fait de la création d’une autre fondation. La décision de la Cour suprême est toujours attendue.
Entretemps, conscient sans doute du fait que les carottes sont presque cuites, les Turcs ont cédé leurs actions à un groupe français qui en devient l’actionnaire majoritaire. L’opération a eu lieu à l’ambassade de la France au Sénégal. Ce qui a abouti à la création d’une nouvelle entité : Yavuz Selim S.A. ‘’J’ai le plaisir de vous annoncer que l’actionnariat de Yavuz Selim S.A a évolué. Nous avons ouvert le capital à des nationaux français qui sont maintenant en partenariat avec des nationaux sénégalais. Nous sommes une école sénégalo-française’’, a annoncé le président du conseil d’administration (PCA) dudit groupe, Madiambal Diagne, au cours d’une conférence de presse. La bataille de communication vient d’être lancée. La réponse n’a pas d’ailleurs tardé du côté de l’Etat. ‘’Yavuz Selim S.A n’a pas d’autorisation’’, répond l’avocat de l’Etat Me Antoine Mbengue.
Les nombreux soutiens à Yavuz Selim n’ont pas encore pesé sur la balance
Le ministre de l’Education nationale passe à la vitesse supérieure. Serigne Mbaye Thiam a envoyé des correspondances à toutes les écoles privées du Sénégal, ‘’qu’elles soient catholiques, laïques ou franco-arabes, pour demander à leurs dirigeants de tenir compte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles intervient la fermeture de ces établissements et d’accorder des dérogations à tous les élèves des établissements Yavuz Sélim qui viendront frapper à leurs portes et de les accepter’’. Il continue : ‘’Les écoles Yavuz Selim, qui sont au nombre de 15, ne peuvent plus avoir d’existence légale au Sénégal et doivent arrêter leurs activités d’enseignement. Je préfère vraiment être clair sur la question et tirer les conséquences. Maintenant, il s’agit, pour les autorités administratives, de mettre en œuvre cette décision du ministère de l’Intérieur, et je vous dis qu’elle sera mise en œuvre’’, se veut-il ferme.
Pendant ce temps, le groupe scolaire Yavuz Selim continue d’enregistrer des soutiens. L’Eglise catholique, les familles religieuses de Touba et Tivaouane, la Ligue des imams et des prédicateurs, les parents d’élèves, le mouvement Y en a marre, pour ne citer que ceux-là. Egalement, les pensionnaires de ces établissements ainsi que les instituteurs ont marché de la place de la Nation au rond-point de la RTS pour manifester leur désaccord face à cette décision. En sus, une journée de prières avait été organisée à l’école Bosphore de Liberté VI, pour demander à l’Etat de sauvegarder les intérêts de son peuple.
Le président de la République, lui, ne s’est jamais exprimé sur la question, du moins en public. N’empêche, les responsables de Yavuz Sélim sont convaincus que c’est lui qui est à la manœuvre. Le PCA Madiambal Diagne s’est voulu clair, dans un entretien accordé à ‘’EnQuête’’ : ‘’Je ne suis pas naïf au point de croire que Macky Sall ait pu ignorer ce qui se passe vraiment, comment les choses se sont présentées à lui, quels développements il y a eu... D’ailleurs, je ne peux pas m’imaginer que le ministre de l’Education nationale ou son homologue des Affaires étrangères aient pu prendre des positions comme ça, sans la caution de leur supérieur. Soyons clairs, nets et francs : Macky Sall est au courant de cette histoire et j’en appelle à son sens de la justice et de l’équité pour réparer cette erreur. C’est un mauvais coup. On peut le rattraper.’’ Apparemment, son appel n’a pas trouvé une oreille disponible.
AWA FAYE