Publié le 14 Feb 2018 - 01:36
LAURENCE GAVRON (AUTEURE) ‘’

… Si on est pris par l’histoire, on peut croire à tout…’’

 

Après ‘’Boy Dakar’’ et ‘’Hivernage’’, Laurence Gavron vient de sortir le troisième ouvrage de sa trilogie d’enquêtes policières. Loin de la capitale du Ndiambour, l’auteure plonge ses lecteurs entre la chaleur des villes du Djolof et du Fouta, et la fraicheur new-yorkaise. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, Laurence Gavron revient sur les secrets de ‘’Fouta Street’’.

 

Parlez-nous de cette trilogie dont vous venez de sortir le dernier opus.

En effet, j’avais écrit ‘’Boy Dakar’’ comme un premier et, a priori, seul roman policier. Et puis, vu à la fois le succès et mon envie de continuer, j’ai décidé d’écrire une trilogie autour du commissaire Souleymane Jules Faye. Disons que je me suis prise au jeu, je me suis attachée à mon personnage principal et je n’ai pas eu envie de le lâcher ! Dans ‘’Boy Dakar’’, il n’était pas encore commissaire. Il l’est devenu après avoir résolu les multiples enquêtes de ce premier roman policier. Il était dans son élément, dans sa ville, Dakar, puisque le livre est né de mon envie d’écrire (tout, ou presque) sur Dakar.

Dans le second volet de la trilogie, ‘’Hivernage’’, j’ai eu envie de parler de cette saison si spéciale et de ce beau mot inconnu hors de l’Afrique, l’hivernage. J’ai envoyé mon désormais commissaire à Louga, pour ne pas trop me répéter sur Dakar. Ensuite, j’ai su très tôt que je l’enverrais à New York, où il est dit dans un précédent livre (je crois dans ‘’Boy Dakar’’) que sa mère y vit, ainsi que ses frères et sœurs, depuis des années. De plus, j’avais envie de sortir des villes sénégalaises et de parler de New York que j’aime beaucoup. J’ai donc situé l’action entre le nord du Sénégal (Djolof, Ferlo, Fouta) et la ville de New York et ses quartiers sénégalais (Harlem, Brooklyn).

Comment est née cette idée de dérouler l’histoire de ‘’Fouta Street’’ dans ces deux zones ?

Dès que j’ai décidé d’écrire sur New York, comme il fallait malgré tout que ce soit une histoire sénégalaise et même peule, puisque j’avais envie aussi de parler des régions de Peuls nomades du Djolof et du Ferlo, j’ai su que la partie new-yorkaise devait se passer entre Harlem, appelée ‘’Little Sénégal’’, région historique des Sénégalais à New York depuis les années 1980, et Brooklyn, Fulton Street, où se sont installés de très nombreux Haalpulaaren. J’avais passé du temps, il y a quelques années, auprès de populations peules nomades, dans le Djolof et le Ferlo, et j’avais envie de les décrire, de situer une partie de l’action dans cet environnement.

Avez-vous vécu au Fouta que vous décrivez avec précision ?

Je n’ai jamais vécu à Podor, mais j’y ai passé du temps, à plusieurs reprises, depuis une bonne dizaine d’années. C’est à Podor que j’ai terminé d’écrire, à l’époque, ‘’Boy Dakar’’, et j’y retourne régulièrement. J’aime beaucoup me balader dans les différentes régions du Sénégal, voir, apprendre, connaître...

Pourtant, à vous lire, on sent une certaine connaissance approfondie de la culture peulh…

J’ai toujours été attirée par les Peulhs. Difficile à expliquer, mais à la fois en ville, les Toucouleurs qui se modernisent tout en gardant leurs traditions, leurs valeurs, leur culture, et les autres, plus traditionnels, nomades en brousse. Grâce à un ami musicien, Bah  Moody, j’ai pu approcher ces populations, enfin quelques familles peules nomades avec qui j’ai vécu pendant quelque temps, il y a quelques années. Séjour qui a ensuite donné lieu à une expo photos à l’Institut français. J’y suis allée très simplement, avec ma curiosité, ma bonne volonté et mon appareil photo. Et tout s’est très bien passé, les gens étaient extrêmement accueillants,  même souvent aussi curieux de moi que je l’étais d’eux. 

Dans ‘’Fouta Street’’ comme dans ‘’Hivernage’’, vous parlez des émigrés ou de leurs femmes. Qu’est-ce qui explique cette fixation sur ces derniers ?

‘’Hivernage’’ était vraiment l’histoire d’une jeune Sénégalaise mariée, mais par choix, à un émigré, et de l’enfer qu’elle allait vivre ensuite après le départ en Europe de son mari. C’était une histoire triste, tragique. Dans ‘’Fouta Street’’, il s’agit effectivement d’une histoire d’émigré encore, mais ici d’un mariage arrangé, pour ne pas dire forcé. Et heureusement le dénouement, cette fois, est plutôt heureux, du moins pour l’héroïne. Comme je voulais écrire sur New York, ce New York sénégalais, africain, peulh, il a bien fallu que je mette en scène tous ces immigrés qui vivent en Amérique depuis plusieurs décennies souvent. Ils ne sont plus tout à fait des immigrés, dans certains cas pas encore de ‘’vrais’’ Américains. J’ai toujours été très attirée par les diasporas, par la façon dont les gens d’un pays, lorsqu’ils quittent ce pays, se retrouvent entre eux, s’intègrent tout en renouvelant leurs gestes habituels, comment ils réussissent à faire le lien entre leur nouvel environnement et leur culture d’origine (voir mon film sur la communauté capverdienne de Dakar, ‘’Saudade à Dakar’’ ou encore plus récemment sur la communauté métisse sénégalaise-vietnamienne ‘’Si loin du Vietnam’’).

Pourquoi ce sont les femmes qui tuent dans vos ouvrages ?

En effet, dans ‘’Hivernage’’, l’héroïne devient presque folle, à force d’être réprimée, harcelée par sa belle-famille, violée et, comme dans une espèce de transe, elle en vient à commettre l’irréparable. Dans ‘’Fouta Street’’, il y a une jeune femme, en effet, qui commet aussi des meurtres. Ça aurait pu être un homme. En fait, l’assassinat, même s’il est perpétré par une femme, est commandité par un garçon, je ne veux pas tout raconter aux éventuels futurs lecteurs ! Dans ‘’Boy Dakar’’, les crimes étaient perpétrés par des hommes. Je pense qu’il ne faut pas voir autre chose là-dedans qu’une égalité des genres justement, devant toute situation ou action !

Dans ce New York énorme, on imagine mal qu’une petite broussarde y retrouve facilement un de ses compatriotes. Pourquoi ne vous êtes-vous pas appesantie sur l’arrivée de Tabara Wone à New York et sa rencontre avec Yoro Sow ?

C’est vrai que Tabara Wone arrive assez tard dans le roman. Il s’agissait, en fait, de faire agir le suspense, de ne pas tout dire, tout expliquer plus tôt. J’aurais sans doute pu mettre en scène Tabara plus tôt, sa rencontre avec Yoro, en effet. Mais j’ai plutôt choisi de me concentrer sur mon héroïne, Takko, sa vie en brousse puis à New York. Djibril et Tabara n’apparaissent qu’en fin de roman. Je ne peux pas trop vous expliquer pourquoi en-dehors du besoin de suspense, mais c’est comme ça que les choses me sont venues.

L’on se demande également comment cette petite fille a pu tromper la vigilance de Yoro Sow et l’empoisonner si facilement ?

Je ne veux pas tout dévoiler ! Je pense qu’il s’agit d’une toute jeune fille, venue de la part du neveu de Yoro Sow. Donc celui-ci n’avait, a priori, aucune raison de se méfier. Elle lui a préparé une infusion à base de plantes, ces plantes empoisonnées de la brousse - les ‘’pataas lelli’’ ne sont pas forcément connues et reconnaissables par les gens des villes - et Yoro a grandi en ville, à Podor. En outre, je pense qu’il ne faut pas toujours trop rechercher la vraisemblance dans les petits détails. Il s’agit de fiction, si on est pris, séduit par la narration, l’histoire, alors on peut croire à tout.

Travaillez-vous sur un autre projet littéraire ?

J’ai commencé à travailler sur un livre très différent, plus personnel, une réflexion sur ma vie, ce que j’y ai fait, etc. J’avais envie de changer un peu de genre, je ne sais pas si je réussirai à porter ce projet jusqu’au bout, je l’espère.

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