Publié le 9 Mar 2018 - 04:34
SÉNÉGAL - DÉCÈS MATERNELS, EMPRISONNEMENT, EXCLUSION SOCIALE ET SCOLAIRE

Le drame des mères-célibataires

 

Décès maternels, emprisonnement, exclusion scolaire, rejet familial. Ce sont les conditions dans lesquelles vivent souvent les mères-célibataires sénégalaises. Prises entre le marteau des pesanteurs socio religieuses et l’enclume de la loi, lorsqu’elles tombent enceintes, elles avortent ou tuent leur enfant à la naissance au péril de leur vie et de leur liberté. Tout cela parce que la loi n’est pas contraignante en matière de reconnaissance de paternité.

 

‘’Domou diw da niou ko togne’’ ou ‘’da niou ko trompé’’. Entend-on souvent dans le langage populaire et voilé des personnes âgées pour désigner une fille ou femme célibataire tombée enceinte. Autrement dit, l’on semble dire que cette dernière est une victime. Pourtant, malgré ce postulat, cette compassion, la société ne se montre jamais protectrice envers celles qu’elles considèrent avoir subi un tort de la part des hommes.  Elle a toujours du mal à accepter, tolérer les mères célibataires, coupables à ses yeux d’avoir déshonoré leur famille. En milieu scolaire, l’élève qui tombe enceinte sans être mariée est tout simplement exclue de l’école, avec une fin de cursus certaine. D’ailleurs, le gouvernement tente de changer la donne, afin de permettre à ces élèves-mères de poursuivre leur scolarité, à travers une circulaire prise depuis 2007.

Le document signé par le ministre de l’Education d’alors, Moustapha Sourang, le 11 octobre, autorise les élèves en état de grossesse à poursuivre leurs études, mais dans des conditions bien déterminées. ‘’L’état de grossesse doit être, au préalable, dûment constaté par un médecin reconnu et agréé par l’Etat. La réintégration dans l’établissement se fait sur la présentation d’un certificat médical d’aptitude à reprendre les cours’’, indique le document. Mais certains chefs d’établissements rechignent à respecter cette directive 

Rejetées par la famille

L’école n’est pas le seul milieu où sont honnies les mères-célibataires. Beaucoup de familles déclarent aussi persona grata leur fille enceinte en dehors des liens du mariage. Combien de pères de famille ont chassé leurs filles tombées enceinte ? Parfois, leurs épouses n’échappent pas à cette sanction. Certaines sont expulsées avec leurs filles, car accusées de n’avoir pas su donner la bonne éducation qui aurait pu empêcher l’arrivée d’un enfant bâtard. Si ces filles ne sont pas expulsées et reniées, elles sont envoyées chez des parents éloignés pour éviter les quolibets et commentaires qui risquent de ternir l’image de la famille. Cependant, il y en a qui échappent à l’expulsion, mais leur sort n’est pas plus envieux que celles qu’on renie même souvent.

Elles sont acceptées dans la famille mais subissent les pires humiliations de la part des siens. Autant dire que la fille est tout simplement rejetée par toute une société, sans soutien ni protection. Pire, en plus du rejet de leurs proches, certaines subissent le refus de paternité de l’auteur de leur grossesse. Ceci fait que certaines femmes sont tentées d’avorter au péril de leur vie ou de leur liberté. D’autres cherchent à dissimuler la grossesse pour ensuite se débarrasser de leur enfant en le délaissant ou le tuant à la naissance. Outre le risque de mourir en couche, l’accouchement se fait souvent sans assistance, beaucoup de femmes finissent en prison pour infanticide qui, selon un rapport de 2012, représentait 29% des affaires jugées en criminelle.

A défaut, c’est l’avortement qui également est réprimé par la loi et la religion. ‘’Sera punie d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de 20 000 à 100 000 francs, la femme qui se sera procurée l'avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet’’, dispose l’article 305 du Code pénal. Ces prohibitions font que l’avortement se fait clandestinement. Mais dans des conditions périlleuses, surtout pour les femmes issues des couches défavorisées. Et lorsqu’elles sauvent leur vie, c’est pour se retrouver en prison. Quelques rares fois avec l’homme pour avoir contribué à l’avortement par la fourniture de moyens. C’est la raison pour laquelle, des organisations de défense des droits des femmes plaident pour l’avortement médicalisé, afin de sauver la vie des femmes et leur éviter la prison, lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste.

Lors d’une rencontre, Fatou Kiné Camara, ex-présidente de l’Association des juristes sénégalaises, soulignait que ‘’l’avortement est une pandémie silencieuse car il tue chaque année 47 000 femmes dans le monde’’. Comme tous les fléaux, l’Afrique paie le plus lourd tribut car 68% de ces victimes vivent en Afrique subsaharienne, puisque les avortements sont faits dans des conditions sanitaires très mauvaises. ‘’Celles qui ne meurent pas souffrent de handicap très lourd dont les fistules, soit 5 millions de femmes’’, disait-elle. D’après un rapport de l’Agence américaine ‘‘Guttmacher Institute’’ publié en avril 2015, 51 500 avortements ont été provoqués en 2012 au Sénégal, soit un taux de 17 avortements pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans.

Test de paternité

Toujours est-il que la femme, prise entre le marteau des pesanteurs socio religieuses et l’enclume de la loi, souffre. En cas d’infanticide, elle est seule à croupir en prison, tandis que l’homme n’est pas inquiété. Même si la responsabilité pénale est individuelle, la grossesse est l’œuvre de deux personnes. ‘’La grossesse, c’est pour la maman, mais également la condamnation et la peine. L’homme ne risque absolument rien. Il n’y aurait pas d’enfant tué s’il avait accepté la paternité’’, déplore Me Ndoumbé Wane. L’avocat considère que même si l’on est dans un cas d’adultère avec une femme qui tombe enceinte hors des liens du mariage, le fait est qu’il y a un homme irresponsable qui refuse d’endosser la paternité. Mais, clame-t-elle, ‘’le jour où on commencera à demander aux pères de comparaître, le phénomène pourrait diminuer’’.

En attendant, devant le refus des auteurs, les femmes qui voudraient assumer leur grossesse pourraient intenter une procédure de reconnaissance de paternité devant les juridictions. La procédure passe par une saisine du tribunal d’instance compétent afin d’obtenir une autorisation à assigner l’homme. Encore que cette autorisation judiciaire n’est pas contraignante pour l’homme qui peut tout simplement refuser de subir le test d’ADN.

FATOU SY

 

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