Publié le 17 May 2018 - 23:57
FOOT - MADY TOURE, PRESIDENT DE GENERATION FOOT

‘’Nous faisons un business social’’

 

L’Académie Génération Foot, finaliste de la Coupe du Sénégal, est en course pour conserver son titre de champion de la Ligue 1. Mady Touré, initiateur  de ce centre de formation basé à Déni Birame Ndao, décrypte dans cette interview accordée à EnQuête les ambitions de son équipe, le bilan de sa campagne africaine, la finale de la Ligue des champions qui sera disputée par Sadio Mané, ancien joueur du club.

 

Comment l’Académie Génération Foot prépare sa finale de Coupe du Sénégal du 20 mai 2018 contre Renaissance de Dakar ?

On prépare cette finale avec beaucoup de sérénité comme on l’a toujours fait lors des matches précédents. Ce n’est pas une surprise pour nous de jouer une finale de Coupe du Sénégal parce que nous l’avons déjà disputée et gagnée en 2015. Nous  voulons remporter encore ce trophée et atteindre au moins l’un de nos objectifs cette saison.

Génération Foot, champion sortant, est à 13 points du leader, Jaraaf. Est-ce que les carottes ne sont pas cuites pour la récupération du titre ?

On croit encore à la conservation de notre statut de champion du Sénégal, même si on sait que l’actuel leader, Jaraaf de Dakar, est dans une bonne dynamique. Je trouve cela normal. Jaraaf n’était pas sur trois tableaux comme nous. Il dispute actuellement un seul trophée, le championnat. Ses joueurs ont des moments de répit, c’est-à-dire des temps de récupération qui leur permettent d’être à 100% chaque week-end. En revanche, Génération Foot n’avait pas eu de repos depuis ses deux éliminations en compétitions africaines (Ligue des champions puis Coupe de la Caf). Les matches se succèdent et se ressemblent depuis lors. C’est à cause de cela qu’on a accusé un coup de fatigue. Nous disputions aussi plusieurs compétitions : Coupe du Sénégal, championnat, Ligue des champions puis Coupe de la Confédération africaine de football. L’équipe était en faiblesse à un moment donné. C’est ce facteur qui a favorisé le Jaraaf mais nous sommes en train de revenir à notre meilleur niveau. Je dis que Génération Foot n’a pas encore dit son dernier mot dans ce championnat.

Mais la suite du championnat s’annonce difficile pour vous avec une nouvelle programmation qui vous contraint à jouer deux matches par semaine ?

C’est dommage ! On a écrit une demande afin d’avoir un calendrier juste et équitable mais la Ligue pro ne nous a pas donné un avis favorable. Elle nous a donné sa raison. Le motif, c’est la Coupe du monde. J’aurais souhaité que ce championnat se termine après le Mondial comme les compétitions africaines. La Coupe Caf et la Ligue africaine des champions se jouent bien après la Coupe du monde. Donc, la Ligue pro ne devrait pas accélérer nos compétitions. Elle peut suspendre le championnat pour un mois. Nous avons largement le temps de faire un calendrier juste dans lequel tous les acteurs vont se retrouver pour pouvoir terminer ce championnat dans un éclat. Mais malheureusement, ce sont eux les décideurs. Donc on est obligé de suivre cette nouvelle programmation. Et je dis que c’est dommage.

Vous croisez aussi le leader, Jaraaf, avant la fin du championnat. Ce match ne constitue-t-il pas une autre paire de marche ?

Si on suit le nouveau réaménagement du championnat, Génération Foot jouera avec Jaraaf en dernière journée. La compétition sera relancée si entre-temps nous gagnons nos matches de retard et que le leader fait des contre-performances. Ça va être un match de folie. La rencontre sera une finale à Déni Birame Ndao.

Quel bilan vous tirez de la deuxième campagne africaine que votre club a disputée cette saison ?

Cette campagne est positive. C’est vrai que l’attente était énorme pour nous mais l’équipe n’a pas été décevante. Si on regarde bien, Génération Foot a fait un parcours honorable. On a gagné El Makasa à Dakar (2-0) et on est allé faire un match vierge (0-0) en Egypte. Certes le Horoya AC de la Guinée nous a battus deux fois, mais le premier but du match aller était entaché d’une position de hors-jeu. On espérait se qualifier à Dakar mais malheureusement, il y a eu un penalty imaginaire en début de première période qui nous a plombés. Le club a été reversé ensuite à la Coupe Caf où il a remporté la première phase au stade Léopold Sédar Senghor (3-1), mais la manche retour était catastrophique. Nous avons joué dans des conditions extrêmement difficiles. Il y a eu une corruption dans cette rencontre. On ne va pas trouver des excuses.

Nous sommes encore dans l’apprentissage. C’est vrai que nous avons échoué deux fois dans les compétitions continentales, mais je dis que c’est un échec positif. Nos bourreaux en Ligue des champions et en Coupe Caf ont mérité leurs qualifications. Horoya est allé battre une équipe togolaise en phase de poules. La Renaissance sportive de Berkane est aussi une grande formation. Cela veut dire qu’il nous manque peu de chose pour qu’on puisse accéder à cette deuxième étape. Donc c’est un bilan positif. Ce que fait Génération Foot est prometteur pour l’avenir du foot sénégalais. La qualification en phase poules des compétitions africaines n’était pas un objectif qu’on s’était fixé au départ. Nous n’avions pas non plus l’ambition de gagner la Ligue des champions ou la Coupe Caf cette saison. Nous avons un club formateur. Notre objectif principal, c’est de remporter une Coupe du monde des clubs dans les vingt prochaines années et cela passe par un retour régulier en Afrique. C’est cela que nous sommes en train de faire. Et aujourd’hui, si nous gagnons la Coupe du Sénégal, nous ferons une excellente saison. C’est ça la continuité de notre travail. On ne s’affole pas. Nous abordons les matches un à un pour pouvoir faire les comptes à la fin de la saison.

Quel est le challenge de Génération Foot en Afrique dans les prochaines années ?

Le club ne s’enflamme pas avec ses participations en Coupe Caf et en Ligue des champions. Il faudra que nous gardions les pieds sur terre et restions sereins comme nous l’avons toujours fait. On ne va pas donc changer notre philosophie. L’équipe va tout de même prendre en compte tous les manquements qui l’ont empêchée de rentrer dans les poules, et essayer de tirer le bilan en fin de saison. Et si le club se qualifie en Coupe Caf, l’encadrement technique prendra toutes les mesures nécessaires pour que ce qui nous est arrivé au Maroc contre la Rs Berkane ne puisse se reproduire une deuxième fois. Je pense qu’on est bien conscient de cela. Je peux dire aussi que le peuple sénégalais peut compter sur nous parce que nous sommes sur la bonne voie.

Est-ce que Mady Touré a des ambitions pour diriger la Fédération ou la Ligue sénégalaise de football professionnel ?

J’ai eu toujours des ambitions mais je précise qu’elles ne sont pas personnelles. Je ne suis pas obnubilé à renter dans une structure pour occuper un poste. Pour le moment, ma préoccupation, c’est Génération Foot. Ma première mission consiste à terminer les chantiers en cours avec la finalisation des vestiaires de normes internationales pour qu’on puisse jouer dans de conditions  optimales.  Ça, c’est un objectif clair. Mais je ne suis pas obnubilé par l’occupation immédiate d’un poste. Je ne suis pas dans cette dynamique.

‘’Sadio Mané est la marque de fabrique de Génération Foot (...) Nous faisons un bon travail et nous continuerons à sortir d’autres talents plus forts que lui’’

Sadio Mané, joueur de Liverpool, disputera le 26 mai prochain la finale de la Ligue européenne des champions contre le Réal Madrid. Qu’est ce que cela vous fait de voir un sortant de votre académie prendre part à ce prestigieux événement ? 

Cela me fait un grand plaisir. Sadio Mané est la marque de fabrique de Génération Foot. Vous voyez alors ce que ça va faire pour l’académie, si Sadio gagne la Ligue des champions. Ça veut dire qu’on a formé un champion d’Europe. Donc ce résultat prouvera que la qualité de notre travail est très considérable. Voilà pourquoi on sera tous contents. Ce bonheur transcendera Génération Foot. Ce sera une fierté pour tout le Sénégal. Les joueurs sénégalais sortent depuis des décennies pour monnayer leurs talents en terre étrangère mais il n’y a jamais eu un footballeur qui a disputé une finale de Ligue des champions ou l’a gagnée.  Ce sera un immense plaisir pour le football sénégalais et notre académie. Nous faisons un bon travail et nous continuerons à sortir d’autres talents plus forts que Sadio Mané. C’est le plus grand cadeau que l’on peut donner à notre football.

Est-ce que vous attendiez Sadio Mané à ce niveau ?  

Evidemment ! Ce n’est pas une surprise de le voir jouer une finale de Ligue des champions. Je l’ai toujours dit sur tous les toits du monde. Sadio est parmi les meilleurs joueurs au monde. J’avais dit que Messi et Neymar n’étaient pas meilleurs que lui. Ces deux joueurs ont la chance d’être pris et encadrés dès le bas âge. Génération Foot a formé Sadio Mané un peu tard. Si à l’époque on l’avait pris à 10 ans avec des infrastructures dignes de ce nom, il aurait gagné à 19 ou 20 ans un ballon d’or. Il est parti à l’âge de 18 ans à FC Metz. C’est la réglementation qui nous l’impose. Aujourd’hui, je suis très comblé du travail qu’il est en train de faire mais ce n’est pas une surprise parce qu’il a un talent fou. Il fait partie des meilleurs au monde.

D’autres joueurs formés par votre centre - Diafra Sakho, Fallou Diagne et Ismaïla Sarr - jouent actuellement en sélection nationale comme Sadio Mané. N’est-ce pas une autre satisfaction pour Génération Foot ?

C’est un grand sentiment de satisfaction de les voir jouer dans l’équipe nationale. Je dirais que Fallou et Diafra ont travaillé dans des conditions difficiles avec des terrains sablonneux. Nous n’avions pas encore des infrastructures de haut niveau. Ismaïla, lui, a plus de chance que ses prédécesseurs. Il a été formé dans des conditions professionnelles et optimales. Ça s’est avéré avec un très grand transfert parce qu’il est parti à Metz à 18 ans. Il a ensuite fait une excellente saison. Ses performances lui ont valu un transfert de 17 millions d’euros. Les joueurs qui vont quitter Génération Foot pour rejoindre Metz sont prêts à aborder le haut niveau ou intégrer la sélection nationale. C’est ça notre avantage. Nous avons cette marque de fabrique.

Votre Académie enregistre chaque année des départs au profit du FC Metz. Est-ce que cela n’affaiblit pas les performances du club ?

On a créé le centre depuis une décennie. Nous avons deux objectifs : gagner des titres mais aussi permettre aux joueurs de s’épanouir et aider leurs familles. La plupart de ces joueurs vivent dans des conditions difficiles. Donc les départs sont inévitables. Vous pensez que je vais être là à bloquer ces joueurs quand ils ont la possibilité de partir pour décupler leurs salaires ? Ça, je ne le ferai jamais. Il faudra quand même voir comment faire pour ne plus laisser six joueurs rejoindre le FC Metz. Le plus important, aujourd’hui, c’est de travailler pour que nos poulains soient bien formés. Quand le joueur est prêt à partir, on ne s’oppose pas à son départ. Il faut le laisser monnayer son talent et aider sa famille. C’est ça la fierté de notre académie. Nous n’avons pas une obligation avec FC Metz. Il faut que les Sénégalais me comprennent. Je suis là pour aider les jeunes à partir. Je ne retiendrai aucun joueur si son salaire est multiplié par dix ou quinze.

Est-ce que le centre a le potentiel pour suppléer les départs ?

Je ne vais pas être prétentieux. Mais je peux dire que nous formons de bons produits. Je dis que, dans les quinze années à venir, on a de quoi fournir au FC Metz et au football sénégalais. Il y a encore des générations qui vont venir. Aujourd’hui, certains Sénégalais parlent de manquements à cause de ces départs. Génération Foot a laissé des joueurs cette année et pourtant, cela ne nous a pas handicapés. Actuellement, même si le Jaraaf gagne le championnat, on peut terminer deuxième. Et nous pouvons gagner encore la Coupe du Sénégal. Dans ce cas, on fera une excellente saison malgré les départs. Donc je dis que le travail que nous sommes en train de faire est bien positif.

‘’Nous avons laissé cette année 1 500 000 euros, soit  plus d’un  milliard de francs Cfa pour permettre à cinq  joueurs de rejoindre le FC Metz’’

Est-ce que les transferts de FC Metz profitent à Génération Foot ?

Evidemment ! L’académie se bonifie des transferts. Cela veut dire que tout transfert du FC Metz permettra à notre centre de survivre. Il faut savoir qu’on renonce à une indemnité de formation en laissant nos poulains partir. Nous avons laissé cette année 1 500 000 euros, soit  plus d’un  milliard de francs Cfa, pour permettre à cinq joueurs de rejoindre le FC Metz. C’est énorme ! Aucun club sénégalais ne va renoncer à cette indemnité. Donc nous faisons un business social. Il n’y a aucun pensionnaire qui paie la formation. Tout est gratuit. On a préféré faire ça pour multiplier les départs parce que nous vivons dans un pays pauvre. Cela va permettre aux jeunes d’aider leurs familles. La multiplication des départs contribue à réduire la pauvreté dans notre pays. Elle profite aux familles des joueurs.

Que vous inspire la fin de saison de Ligue 1 sénégalaise mouvementée avec Mbour PC et Stade de Mbour qui refusent de jouer avec l’Us Ouakam ?  

C’est la crise survenue en début de saison qui a amené ce problème dans notre football. Les dirigeants de la Ligue n’avaient pas pris en compte une éventuelle réintégration de l’Uso par le Tribunal arbitral du sport (TAS). C’est dommage parce que nous ne pouvons plus revenir en arrière. Le verdict est déjà tombé. Il faut trouver un consensus. On n’a plus le temps. Nous sommes à quelques journées de la fin du championnat. Il n’y a que deux possibilités : soit les clubs de Mbour acceptent de jouer avec l’Uso, ou bien la Ligue pro arrête le championnat. Et c’est ce qu’elle ne veut pas faire. Les dirigeants de la Ligue ont refusé ma demande de report de matches jusqu’à la fin du Mondial. Aujourd’hui, si l’Uso ne joue pas avec Mbour PC et Stade de Mbour, le championnat est caduc. Et dans ce cas, ils seront obligés de jouer après le Mondial. Ce serait dommage de nous sacrifier. Et c’est ça que j’attends.

Aliou Cissé annoncera cet après-midi, sa pré-liste (on parle de 35 joueurs) pour le Mondial. Quel commentaire vous en faites ?  

A mon avis, Aliou Cissé ne devait pas convoquer 35 joueurs. C’est bon d’établir une  longue liste mais ça peut créer des incidents. Les joueurs qui ne se sentent pas concernés peuvent mettre le pied à l’entraînement. Ils vont viser ceux dont les participations semblent être certaines. Ça peut engendrer des conséquences graves. Il fallait convoquer 23 et établir une liste de réservistes pour pallier les défaillances. L’entraîneur pouvait déposer la liste de 35 à la Fifa  et faire la  préparation avec 23 joueurs.

Est-ce que vous êtes confiant pour le Mondial 2018 ?  

J’ai toujours cru en cette équipe. Elle est composée de joueurs talentueux. Ce qui reste maintenant, c’est de se préparer en conséquence et de ne pas se leurrer. Ce qui s’est passé en 2002 ne va pas se reproduire cette année. Le Sénégal sera attendu dans ce Mondial. En 2002, l’équipe sénégalaise faisait partie des petits Poucet parce que c’était sa première qualification. Aujourd’hui, nous sommes connus et attendus. Il faudra que l’on prenne nos précautions. Nous devons savoir également qu’on n’est plus une petite formation même si on n’a pas gagné un trophée continental.  

OUMAR BAYO BA

 

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