Le Sénégal, toujours atteint du ‘’Xala’’
Dans le cadre du projet Sembène à travers l’Afrique, l’indémodable film “Xala” du cinéaste a été projeté mercredi au Centre d’information des Nations Unies. La projection a été suivie d’un débat sur le thème : “Ousmane Sembène, le visionnaire.” Il a été animé par le coordonnateur dudit projet et cofondateur de Galle Ceddo Project, Samba Gadjigo, le cameraman et technicien sur des plateaux de l’auteur de ‘’Borom Sarett’’, Makhète Diallo, et le directeur du Centre de recherches ouest-africain (Warc) Ousmane Sène. Tous les trois hommes ont côtoyé Sembène à la fois dans sa vie professionnelle et personnelle.
Bien qu’il ne soit plus parmi nous, le cinéaste Sembène Ousmane reste dans les esprits et les cœurs grâce à ses œuvres d’art qui sont immortelles. Notamment le film “Xala” qui a été projeté au Centre d’information de l’Organisation des Nations Unies (Cinu) à Dakar, avant-hier. La variété des thèmes présents dans son film de 1975 reste encore pertinente en 2018. Ils ont fait l'objet d'un débat entre le coordonnateur de l’évènement et cofondateur de Galle Ceddo Project, Samba Gadjigo, et le directeur du Warc Ousmane Sène, ainsi qu’un ancien technicien sur divers plateaux de Sembène, Makhète Diallo. Ousmane Sène a fait la rencontre de Sembène à travers Gadjigo et est resté bon ami avec ce dernier jusqu'à son décès, en 2007. Les trois donc, tous des amis de l’auteur de ‘’Moladé’’, sont revenus de manière nostalgique sur le statut novateur et visionnaire d’Ousmane Sembène. Ils ont illustré leurs propos par des exemples tirés du film projeté au Cinu.
Le personnage principal, El Hadji Abdou Kader Bèye, un membre de la chambre de commerce, est atteint du “Xala” (une impuissance sexuelle causée par un mauvais sort), pendant sa nuit de noces avec sa troisième femme. L'obsession d’El Hadji à se soigner finira par précipiter sa chute. Mais son impuissance illustre des motifs bien plus vastes que le sexe ou le recours au maraboutage. Elle dénonce la politique et les pratiques politiciennes de l'époque, mais aussi la perte des valeurs traditionnelles et l’adoption de valeurs occidentales.
Aujourd’hui, le constat reste le même, après plus de quarante ans. L’auteur de ‘’La Noire de…’’ doit d’ailleurs se retourner dans sa tombe, puisque les choses sont allées de mal en pis depuis.
“Ces gens qui sont dans la modernité, qui sont au niveau de la chambre de commerce sont victimes d’une force qui appartient aux valeurs traditionnelles africaines, parce que, tout simplement, ils n’ont pas bien compris le jeu de l'Européen. On leur donne le pouvoir, mais ils deviennent impuissants sur le plan économique et sur le plan politique”, explique Ousmane Sène. La complexité du film s’illustre à travers de nombreuses métaphores et le symbolisme caché à travers l'utilisation de costumes, d'objets et même l'éclairage, tout au long du film. Aucune des photos et aucun symbole aperçus en arrière-plan n’ont été montrés par hasard. Chaque objet avait un message symbolique pour Sembène. D’ailleurs, cette précision des détails était aussi présente dans les choix et l’emploi des températures de couleurs dans les scènes du film.
D’après son entourage, l’une des plus grandes forces de Sembène était son pouvoir d’évoquer des évènements réels et de les transformer en un film. Bien que le film soit une fiction, il représente des éléments réels qui ont eu lieu dans l'histoire sénégalaise. “Depuis 1888, la chambre de commerce a toujours été occupée par des hommes d’affaires français qui représentaient ici les grandes maisons commerciales. C’est à partir de 1968 que les hommes d’affaires sénégalais ont commencé à se battre pour prendre le contrôle de cette chambre, et ce n’est qu’en 1970 que, pour la première fois, un Sénégalais a pris le pouvoir. Donc, le film parle de faits réels et historiques”, déclare Samba Gadjigo.
‘’Xala’’ dénonce donc l'incapacité des membres de la chambre de commerce à contrôler et à stabiliser l'économie sénégalaise postcoloniale.
L'une des qualités qui font de Sembène un maître du cinéma africain, est sa capacité à captiver son public avec une intrigue impressionnante, tout en l’éduquant et en le sensibilisant aux problèmes qui affligent la société sénégalaise. Il était un visionnaire non parce qu’il préfigure les problèmes et les luttes constantes de la société sénégalaise, mais parce qu'il savait exactement comment transmettre ses messages et les rendre accessibles à tous. Le ‘’Xala’’, c’est une impuissance temporaire induite qui peux être soignée. Donc, au tour du Sénégal de soigner et d’éradiquer son propre ‘’Xala’’. Depuis 1975, année de la sortie du film, ou au-delà, ce pays souffre de ce mal.
Ami Jo Fall (Stagiaire)