Publié le 25 Dec 2018 - 01:48
L’IMMOBILIER DANS TOUS SES ETATS

La hantise d’un toit

 

Des prix qui flambent. Des couches entières de la population laissées en rade. Des jeunes dans une angoisse permanente. La propriété immobilière ne laisse personne indifférent. Accaparée par une minorité de riches, elle reste hors de portée pour l’écrasante majorité de la population. En conclave la semaine dernière, des acteurs ont passé au crible ce mal qui hante nombre de citoyens débrouillards.

 

C’est une situation qui exaspère. Maitre d’ouvrage du forum de l’immobilier, le Pdg du Groupe Expat Dakar, Mapenda Diop, ne cache pas sa grande désolation : ‘’C’est un problème qui m’inquiète beaucoup. Parfois, je m’interroge sur le sort de ces nombreux jeunes que nous employons. Ils  sont âgés entre 20 et 30 ans. Je me demande comment ils pourront réussir à se payer une maison qui leur appartient, dans ce contexte. Je pense que c’est un sujet crucial qui doit interpeller tous les décideurs, en vue de pouvoir y apporter des solutions. Un problème que les autorités doivent prendre à bras le corps.’’ 

Monsieur Diop considère qu’il y a un secteur immobilier à double vitesse. D’une part, ‘’une poignée de personnes qui s’accapare toutes les terres’’. D’autre part, ‘’une majorité qui risque de passer toute leur vie à demeurer locataire dans des appartements excessivement chers’’.

Le décor est ainsi campé. Dans l’immobilier, ce sont les pauvres qui trinquent. Les riches qui en profitent. Et l’Etat, malgré les efforts, semble impuissant. C’est, du moins, ce qui ressort de nombre de témoignages de spécialistes. Absa Niang, chef d’entreprise dans le secteur, livre son diagnostic. ‘’Si les prix sont, aujourd’hui, hors de portée de bien des ménages, c’est d’abord à cause de la spéculation outrancière. Il y a ensuite la raréfaction des terres dans certaines zones qui ne facilite pas les choses. Ces deux éléments réunis font que les prix ne sont pas abordables pour certaines couches de la population. Il faut donc des instruments pour accompagner ceux qui souhaitent investir dans le milieu’’.

Parmi les difficultés, elle cite également le manque d’organisation et d’information dans le secteur, ainsi que la concentration d’une bonne partie de la population à Dakar. Or, estime Mme Niang, ‘’avoir un habitat décent à un prix accessible, c’est un droit fondamental du citoyen. C’est pourquoi nous saluons les initiatives de l’Etat en matière de décentralisation. Il faut aussi que les gens sachent qu’en dehors de Dakar, il y a des endroits où il fait également bon vivre’’.

En attendant de disposer de la propriété immobilière à Dakar ou ailleurs, beaucoup de Sénégalais se rabattent sur la location.  Là également, ils souffrent le martyre, vampirisés par des bailleurs sans scrupule. A en croire Modou Guèye, ingénieur en Génie civil et expert immobilier, les prix de location pratiqués à Dakar sont anormaux. ‘’La loi, affirme-t-il, n’est pas du tout appliquée. Les gens font ce qu’ils veulent’’. L’expert ne s’en limite pas. Il donne les preuves de ses allégations : ‘’Je vais donner un exemple précis. Dans une étude de cas qui a été réalisée à Dakar-Plateau, dans un appartement de  4 chambres plus salon sis à la rue Dr Thèze, nous avons constaté que,  normalement, le prix du loyer d’un appartement du même standing devait être fixé à un peu plus de 400 000 F Cfa. Mais les pratiques en cours sont de plus d’un million pour ce même type d’appartement. C’est excessif’’, fulmine-t-il.

Agents et courtiers immobiliers ‘’véreux’’

La demande étant très forte, les locataires, souvent, sont laissés à la merci des bailleurs. Outre la cherté, le premier doit se heurter à des agents et courtiers immobiliers ‘’véreux’’, à chaque fois qu’il est à la recherche d’un toit : manque de professionnalisme, manque de formation, de civisme, tout y passe. Transformant ce secteur porteur en une véritable jungle où les plus forts massacrent les faibles. Sans pitié !

Teint noir, taille fluette, cette dame est locataire. Elle met le pied dans le plat : ‘’La recherche d’un appartement à Dakar, c’est stressant. Les agences et les courtiers ont un manque criard de professionnalisme. D’abord, ils ont du mal à respecter les heures de rendez-vous. Ensuite, tu leur donnes tes critères, ils ne les respectent jamais. Quand tu leur demandes deux chambres plus salon, ils te font visiter un appartement de 4 chambres ou autre chose. En plus, dans un état vraiment pitoyable. Ce qui me choque, c’est que cela ne gêne personne. Tout le monde pense que c’est tout à fait normal.’’

Mais l’espoir semble encore permis, si l’on se fie à certains comme Bara Guèye. Le jeune diplômé chômeur estime qu’avec Diamniadio, Sangalkam et Keur Ndiaye Lo, il ne faut pas désespérer de voir une baisse de la spéculation. Il déclare : ‘’Peut-être que tout ce calvaire va diminuer avec le développement de ces nouvelles villes... Certains vont préférer loger là-bas, plutôt que de se bousculer à Dakar. Aussi, c’est beaucoup moins cher dans ces zones. L’offre sera donc plus importante et les propriétaires seront obligés de baisser les prix.’’

Comme dans la jungle

Autre chose qui choque les acteurs, c’est le laisser aller dans le secteur immobilier. A les en croire, c’est comme si l’Etat avait démissionné de ses missions régaliennes. Car, dans l’immobilier, regrettent-ils, chacun fait ce qu’il veut. Et le maillon faible qu’est le locataire en est le principal perdant. La présidente de l’Association nationale des agents immobiliers du Sénégal (Anais), Caty Souarez, exprime ses regrets : ‘’Certains pensent que, dans l’immobilier, c’est vraiment la jungle. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui nous avait poussés à créer l’Anais. Moi, tout ce que je peux dire, c’est que nous méritons mieux, au Sénégal.’’

Mme Souarez est d’avis qu’il urge, aujourd’hui, de redorer le blason des agents immobiliers. ‘’Il y a, affirme-t-elle, une urgence à assainir le milieu et c’est l’une des raisons d’être de notre structure. Le marché de l’immobilier s’agrandissant d’année en année, il faut la formation pour mettre à niveau les différents acteurs. Nous avons besoin d’agents, de courtiers, mais également des magistrats formés dans les différentes questions que soulève l’immobilier : la copropriété, notamment, qui se développe alors que les copropriétaires ne sont pas préparés. Il en est ainsi de plusieurs secteurs qui ne sont pas suffisamment maitrisés’'.

En fait, face à la raréfaction du foncier et la cherté de la propriété immobilière, une des solutions mises en œuvre, c’est les acquisitions en copropriété. Il s’agit de construire un immeuble et d’en répartir la propriété entre plusieurs individus qui en deviennent copropriétaires. Ce qui ne manque pas de soulever des problèmes liés à la cohabitation, selon certains intervenants.

Ainsi, l’immobilier est en permanence dans une profonde mutation. Mais malgré ce dynamisme, certaines pratiques restent tenaces. De nouvelles villes se développent. Néanmoins, les risques de reproduire les mêmes erreurs qu’à Dakar sont réels. Cathy Souarez prévient : ‘’Ce qui me fait mal, c’est que, la plupart du temps, quand on construit, on ne pense pas au bien-être des futurs occupants.  Les gens vivent dans des conditions très précaires, dans un environnement sale, sans espace, dans la promiscuité. Et pourtant, au même moment, on nous fait payer la taxe sur les ordures ménagères. C’est vraiment injuste.’’

Outre le cadre de vie désastreux, l’agent immobilier s’en prend également à l’anarchie. Très enthousiaste, elle préconise : ‘’Il faut repenser nos villes. Nous pouvons imaginer nos futures villes à l’image de nos villages, de notre tradition. Notre modèle de développement doit, en effet, tenir compte de nos cultures, de nos us et coutumes.’’

Puis, à chacun, elle demande de fermer les yeux pendant une minute, d’imaginer la maison où il aimerait vivre avec sa famille. Toute la salle se prête au jeu. A l’épuisement de la minute, elle partage la maison de ses rêves. ‘’Je me suis imaginée, dit-elle de sa voix aigüe, dans un village où il y a beaucoup d’espace ; que mes enfants puissent y courir librement ; un village où les rues seraient larges et très propres, un village moderne où mes enfants pourraient aller à l’école, où il y a des parkings ainsi que l’arbre à palabres. C’est tout à fait possible. Cela ne demande que de la volonté’’.

Un grenier mal exploité

Malgré ses multiples opportunités, l’immobilier ne semble toujours pas donner ce qu’il a de meilleur. Certaines de ces facettes sont encore méconnues. A l’instar de Mme Souarez, le président de la Fédération des agences et courtiers immobiliers du Sénégal (Facis), Mamadou Mbaye, est également revenu sur les difficultés de vivre ensemble. Il explique : ‘’Chez nous, les gens croient que quand ils vivent en copropriété, chacun gère les parties privées de son appartement, le reste, il s’en fout. Or, si les parties communes se dégradent, c’est tout l’immeuble qui court des risques. Et en cas d’effondrement, ce sont les occupants qui en sont les premières victimes.’’

Pour le spécialiste, voilà pourquoi l’intervention d’un syndic est primordiale. Celui-ci pouvant être professionnel ou bénévole, c’est-à-dire choisi parmi les copropriétaires. ‘’De préférence, il faut un professionnel pour garantir une gestion rigoureuse de la copropriété, car son rôle est fondamental. Le syndic doit, de ce fait, avoir plusieurs qualités. Il doit être juriste, pour pouvoir trancher certains litiges entre copropriétaires, ester en justice quand il le faut. Il doit aussi être comptable pour la gestion des cotisations et des charges de l’immeuble. Il doit aussi être un bon gestionnaire’’, informe l’expert.

‘’Les gens n’ont pas la culture de souscrire à une police d’assurance’’

Dans l’immobilier, les assureurs ont également leur mot à dire. Pour leur part, ils appellent bailleurs et locataires à se faire assurer, pour se prémunir contre les catastrophes. Yassine Badji développe : ‘’Dans notre pays, les gens n’ont pas cette culture de souscrire à une police d’assurance. Et pourtant, c’est très important. Savez-vous que lorsque l’immeuble prend feu, c’est le locataire qui est présumé responsable ? Le bailleur qui le souhaite peut se retourner contre lui en lui demandant réparation.’’ D’où son conseil aux locataires de souscrire à une police d’assurance pour pallier de tels impairs. ‘’Il en est de même du bailleur. Il y a des polices d’assurance qui leur sont destinées, même pour faire face au locataire défaillant. Si le locataire reste sans payer pendant trois mois, l’assureur paie à sa place, non seulement le montant des loyers, mais également tous les autres frais. Et les prix ne sont pas chers’’.

Mme Badji argue, en outre, que l’assurance, c’est indispensable quand on est dans l’immobilier : ‘’Les banques y accordent une place très importante. Pas d’assurance, pas de crédit. Alors qu’on a besoin de crédit pour faire des investissements dans le Btp. Parmi les polices, je peux aussi citer l’assurance tous risques chantiers. En dehors du chantier, on peut aussi se protéger contre un éventuel effondrement, un vice de fabrication… Parce qu’on ne maitrise jamais tous les aléas. Malheureusement, il y a beaucoup de désordre dans le secteur.’’

La soixantaine révolue, Didier Diop, formateur, confirme : ‘’Aujourd’hui, il y a un réel problème de formation des acteurs. Nous formons certes des jeunes, mais il y a un manque de qualification qu’il urge de combler. Cela n’est possible qu’en instaurant une passerelle entre le monde universitaire, les écoles et le milieu professionnel.  Tout est dans l’expérience. Un bon agent, on le prépare dans la durée.’’

Plein de pédagogie, il cite l’exemple de Masse Courtier qui a fait plus de 50 ans dans le milieu. Courtier à ses débuts, ne sachant ni lire ni écrire, il trône maintenant à la tête d’un important parc immobilier, entre Dakar et Abidjan. Comme quoi, dans l’immobilier, il y a aussi à manger et à boire.

MOR AMAR

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