Comment l’armée a désamorcé la bombe
Si à Toubacouta, village qui a payé un lourd tribut dans le massacre de Boffa-Bayottes, il y a un an, l’accès à une infime partie de la forêt des Bayottes est une réalité, le traumatisme a été profond et l’armée a joué un rôle déterminant dans le retour à la normale. Par contre, les visites aux parents détenus demeurent un casse-tête.
La vie a repris son cours normal, à Toubacouta, à quelques encablures de Ziguinchor, sur l’axe qui mène à la frontière avec la Guinée-Bissau. Le climat de tension, de suspicion, de peur du lendemain et de méfiance vis-à-vis d’autrui, qui a continué d’y régnait après la fin des enquêtes menées par les hommes du colonel Issa Diack et l’arrestation d’une vingtaine d’hommes originaires de ce village, a fini de se dissiper. Les populations, les femmes notamment, se retrouvent dans la vallée du village pour des activités maraichères. Activités génératrices de revenus qu’elles menaient à la même période, l’an dernier, avant l’arrestation d’une vingtaine des leurs, suite aux événements macabres survenus dans la forêt des Bayottes, tout près de Boffa.
‘’Les jeunes ont participé à la présente saison navétanes. Ils ont organisé des soirées dansantes pendant les vacances, comme d’habitude. Chacun vaque à ses occupations journalières’’, confie un habitant du village. A Toubacouta, les activités quotidiennes ont retrouvé leur cours normal. Le commandement de la zone militaire n°5 (Com-Zone) de Ziguinchor a largement contribué à l’apaisement de la situation. Dans le cadre des activités civilo-militaires (Acm) qui entrent en droite ligne du concept ‘’armée-nation’’ que les forces armées sénégalaises mènent souvent sans tambour, ni trompette, le Com-Zone de Ziguinchor s’est déplacé, quelques semaines avant le début de l’hivernage, dans ce village de Toubacouta. Sur place, l’armée a procédé à la distribution de vivres aux villageois.
Si l’interdiction de la coupe de bois dans cette forêt des Bayottes ou personne n’osait plus s’y rendre, après le 6 janvier 2018, demeure toujours en vigueur, le Com-Zone, sur demande des populations, a accepté que celles-ci puissent s’y rendre, dans le cadre de l’exploitation du bois mort génératrice de revenus, mais également servant de bois de chauffe. ‘’Le commandant de la zone militaire de Ziguinchor nous a autorisés à nous rendre dans une partie sécurisée de 2 kilomètres de la forêt, mais les populations lui ont dit que même 200 ou 300 mètres suffisent’’, révèle notre interlocuteur.
Outre la distribution de vivres, l’armée a procédé à l’électrification du poste de santé du village et envisage de mettre du froid pour la conservation de certains médicaments. ‘’La présence du commandement de la zone 5 a beaucoup contribué a dissipé la tension dans ce village où tout semblait tabou, après les événements dits de Boffa-Bayottes’’, souligne un habitant du village.
Suivant les pas du commandement militaire, l’administration territoriale, sous la houlette du sous-préfet de Nyassia, s’est aussi rendue à Toubacouta à la rencontre des populations. Rencontre durant laquelle l’autorité a recueilli les doléances des autochtones axées autour de la desserte du village de Toubacouta par les bus Tata en service dans le département de Ziguinchor, de la réhabilitation de la mosquée du village et son électrification, celle du foyer des jeunes.
Visite aux détenus de la Mac de Ziguinchor
La visite aux parents détenus à la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Ziguinchor figure, aussi, en bonne place des demandes posées par les populations. Même s’il n’a pas promis de trouver une solution à cette question, le sous-préfet a déclaré qu’il va saisir les autorités compétentes pour faciliter ces visites qui, au demeurant, sont un casse-tête pour les parents et amis des présumés coupables de Boffa-Bayottes. ‘’Avant la venue des autorités militaires et administratives, les populations ne se réunissaient pas. Elles avaient peur. Aujourd’hui, c’est chose dépassée’’, confie un interlocuteur.
Pour rappel, le samedi 6 janvier 2018, un groupe de plus d’une vingtaine de coupeurs de bois a été pris à partie par des assaillants armés, dans la forêt des Bayottes-Est. Une attaque qui a fait 14 morts et 7 blessés. Trois personnes avaient réussi à s’en tirer indemnes.
Dès les premiers instants de l’annonce de la nouvelle, la Légion de gendarmerie sud prit toutes les dispositions pour se déployer dans la zone de l’incident, en même temps que les sapeurs-pompiers. Immédiatement, une enquête a été ouverte pour comprendre ce qui s’est passé. Des premières auditions des témoins et constatations sur les décédés, il est ressorti que les victimes sont tombées dans une embuscade tendue depuis les premières heures de la matinée du 6 janvier 2018. Elles ont été ainsi regroupées, couchées par terre et sauvagement exécutées. L’identification des victimes par les gendarmes a permis d’établir le bilan cité supra. Tous les blessés en mesure d’être entendus ont été auditionnés, de même que les parents des victimes décédées.
Vu la gravité et la sensibilité des faits, le Haut-Commandement de la gendarmerie nationale a déployé la Section de recherches de Dakar pour appuyer les enquêteurs de la Légion sud. Un médecin légiste a été requis à l’hôpital Le Dantec de Dakar pour procéder à l’autopsie des corps. Le résultat a permis de déterminer formellement les causes de la mort, les conditions dans lesquelles les victimes ont été exécutées, le calibre et le type d’armes utilisés. Les investigations menées ont permis l’interpellation de 22 personnes, toutes de nationalité sénégalaise. L’opération d’interpellation a été menée sous la houlette de la Légion de gendarmerie sud, par la Section de recherches appuyée par le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (Gign) et la Légion de gendarmerie d’intervention (Lgi) déployés à Ziguinchor.
Les unités de l’armée nationale, en manœuvre dans la zone, ont aussi soutenu le bon déroulement de l’opération. ‘’Les premières auditions réalisées et les données techniques recueillies ont donné une tournure décisive à l’enquête (…) L’attaque du 6 janvier a été planifiée et exécutée par une personne dont nous tairons le nom’’, avait révélé le procureur de la République au tribunal de Ziguinchor. Il s’exprimait lors d’un point de presse conjoint avec le lieutenant-colonel Issa Diack, Chef de la Section de recherches de la gendarmerie nationale, pour faire le point sur l’enquête et les actions judiciaires qui en ont découlé. ‘’La synthèse des informations recueillies par la Section de recherches, disait-il, a vite mené vers des pistes qui convergent toutes vers des personnes d’une localité (Toubacouta) et vers un cantonnement d’une faction".
"L’enquête a permis d’identifier et de garder a vue celui qui aurait planifié toute l’opération et 15 autres personnes supposées avoir pris une part active dans les faits (massacre de 14 personnes)", a poursuivi M. Sylla. Qui annonça, par la suite, l’ouverture d’une information judiciaire et la saisine du dossier par un juge d’instruction sur la base de plusieurs chefs d’inculpation. Il s’agit d’association de malfaiteurs, participation à un mouvement insurrectionnel, assassinat, tentative d’assassinat, détention d’armes sans autorisation administrative, coups et blessures volontaires et vol en réunion.
Au total, 24 personnes ont été placées sous mandat dépôt et transférées à la Mac de Ziguinchor. Un pool d’avocats a été commis par l’Etat pour assurer la défense des personnes placées sous mandat de dépôt.
HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)