Mandat d’arrêt requis contre Béthio Thioune
A la suite des plaidoiries, hier, au tribunal de grande instance de Mbour, où se déroule, depuis mardi dernier, le procès des Thiantacounes, le procureur Youssoupha Diallo a prononcé un réquisitoire sans appel pour tous les accusés. Il demande la prison à vie et requiert un mandat d’arrêt contre le guide des Thiantacounes Béthio Thioune. A qui il conseille de se constituer prisonnier, parce qu’il ne pourra pas faire appel, s’il est jugé par contumace.
Le procureur Youssoupha Diallo a requis, hier, les travaux forcés à perpétuité contre Béthio Thioune, Cheikh Faye, Serigne Khadim Seck, Demba Kébé, Pape Ndiaye, Ablaye Diouf, Alassane Ndiaye, Mame Balla Diouf, Mamadou Guèye, Aliou Diallo, Al Demba Diallo, Momar Talla Diop, Samba Fall, Mouhamed Sène, Adama Sow et Aly Diouf. Concernant le guide des Thiantacounes, absent du territoire, le procureur demande un contrôle judiciaire suivi d’un mandat d’arrêt. Il a demandé aussi la confiscation de ses biens et leur placement sous séquestre. Contre Samba Ngom, Aziz Mbacké Ndour, Mamadou dit ‘’Pape’’ Hanne et Serigne Saliou Barro, il a requis 10 ans de travaux forcés.
En effet, d’après le procureur, ce dossier a connu beaucoup de péripéties. Une affaire qui a trainé. Qui était en errance entre Thiès, Dakar et Mbour. Et qui, aujourd’hui, est évoquée dans la commune où elle s’était tenue. ‘’Le 22 avril au crépuscule, pendant que tout le pays était dans la ferveur d’un combat de lutte, Bara Sow, accompagné d’autres talibés, est allé faire un ‘ziarra’ auprès de son guide. Il était venu en paix. Une fois arrivé sur les lieux, alors qu’il n’était pas armé, tout a viré au drame. Cheikh Faye, selon les témoignages, s’est opposé à ce que Bara Sow fasse son ‘ziarra’’’.
‘’Des citoyens pas armés, poursuit-il, qui se retrouvent, tout d’un coup, devant des gens lourdement armés. Bara Sow et ses compagnons n’étaient pas les bienvenus. Quand ils ont été attaqués, ils ont eu un sursaut d’orgueil. Ils ont alors balancé des pierres. Ils ont été attaqués frontalement. Ils étaient venus pacifiquement rendre visite à leur marabout. Cette attaque les a surpris’’.
Le représentant du parquet indique que les enquêteurs qui étaient sur place, le lendemain, ont relevé des indices dont des habits tachetés de sang qu’ils ont ramenés à la brigade de Mbour. C’est bien après qu’ils ont su que ce qu’ils pressentaient...’’
Circonstances de la mort
Ainsi, il a demandé à la cour de tenir compte des témoignages et ne pas dire qu’il s’agit seulement de compagnons de Bara. ‘’Ce sont des témoins oculaires’’ d’une attaque perpétrée de manière indue, sans contrepartie contre Bara Sow et ses compagnons. ‘’Plus d’une dizaine de témoins confrontés aux accusés ; des témoins importants, puisqu’étant des compagnons de Bara Sow et d’autres comme Thiéyacine Thiam qui a fait un bon témoignage’’.
Les faits remontent à avril 2012, il y a sept ans. A ses yeux, l’ancienneté des faits est importante dans cette affaire où il y a 19 accusés : 16 en détention et 3 en liberté provisoire. ‘’Quand la gendarmerie a arrêté le cheikh, le 23 avril 2012, c’est après que certains se sont rendus. Pour leur implication, il y a deux séquences importantes : la mort ou la bagarre suivie de l’inhumation tard dans la soirée. Khadim Seck a reconnu qu’il s’est battu et qu’il a sorti un fusil de calibre 12. Et au moment où les gens se battaient, il a porté un coup mortel sur Ababacar Diagne. Devant les enquêteurs, il était constant, devant le juge d’instruction, il était constant. Arrivé devant la juridiction, il donne une autre version’’.
N’empêche que le parquetier souligne que les accusés constituent un groupe représentatif de ce qui s’est passé à Médinatoul Salam. ‘’Et si on avait poussé l’enquête, on aurait arrêté plus. Ce qui signifie que l’enquête a été objective’’, soutient-il. ‘’Ils ont tous déclaré avoir pris part à la bagarre. Ils reconnaissent tous avoir quitté le chantier pour participer à la bagarre, des aveux faits lors de l’enquête et à la barre’’.
Ensuite, poursuit-il, ‘’ils se sont battus, ils ont trainé les corps derrière un mur. Ils ont enterré les corps en catimini. Ils ont dissimulé et ont fait des mises en scène, après cet acte, pour brouiller les pistes. Leur inhumation, que dis-je, leur enfouissement dans une fosse commune, les deux têtes croisées. Ce qui s’est passé est tout à fait inadmissible. Les deux victimes ont subi l’horreur. Nous avons visionné, ici, des images qui ont fait horreur’’.
Le procureur d’enfoncer les accusés en soutenant que les gendarmes, qui n’ont pas été distraits par leur mise en scène, ont fouiné et ont vu un doigt. ‘’C’est en creusant que les deux corps ont été trouvés. C’est un meurtre avec torture et acte de barbarie’’, martèle le procureur Youssoupha Diallo. Soulignant que Bara Sow a été kidnappé et roué de coups, et qu’Ababacar Diagne, après avoir reçu une décharge de fusil, a encore été roué de coups. ‘’C’est là où se situe l’acte de barbarie’’, fulmine-t-il. ‘’La barbarie, c’est quand vous infligez à l’humain une souffrance injustifiée’’, juge-t-il.
En à croire le procureur, la responsabilité, dans cette bagarre, est collective. Le principe de la responsabilité individuelle ne se pose pas, dans ce cas d’espèce. Car ‘’ils ont tous reconnu avoir pris part à la bagarre’’. Youssoupha Diallo de dire que le ‘ndiguel’ existe et qu’eux tous l’ont reconnu. ‘’Vous voulez que ces messieurs soient des enfants de chœur ? Le ‘diawrigne’ occupe un pouvoir central, il est le bras droit du marabout. Tout ce qui sort de la bouche du ‘diawrigne’ sort directement de la bouche du marabout’’, dit-il.
‘’Cheikh Béthio est responsable de l’horreur qui s’est déroulé à Madinatoul’’
Selon lui, les faits sont établis, du moment que Cheikh Faye a marqué son opposition à la visite de Bara Sow. Il est complice au même titre que son guide Béthio Thioune. ‘’On n’a jamais dit que les Thiantacounes sont une association de malfaiteurs, que cela soit clair. On est libre de croire ce que l’on veut. L’association de malfaiteurs est établie à l’endroit de tous’’, a-t-il martelé. Réclamant la détention pour tous les accusés pour meurtre avec barbarie. Car ‘’tous ont eu à donner des coups, ce qui a entrainé la mort de Bara Sow. Leurs explications, je les prends avec des pincettes. Cheikh Béthio est responsable de l’horreur qui s’est déroulé à Madinatoul. Sa complicité s’est manifestée par une provocation, par une menace, par un abus de pouvoir. Il a donné un ‘ndiguel’ pour que plus jamais Bara Sow ne remette les pieds à Madinatoul Salam. C’est une provocation. C’est un guide religieux drainant une foule. Il est ensuite allé réitérer cette déclaration dans une télévision, mais aussi devant le magistrat instructeur. Le ‘ndiguel’ existe et ils l’ont tous confirmé’’.
De ce fait, il a insisté sur le fait que, même si Béthio n’a pas dit de tuer ou donner des ordres pour tuer Bara Sow, il l’a provoqué. ‘’Comment lui, qui se dit saint, ne peut pas être au courant de ce qui se passe sur son territoire ?’’.
Concernant Cheikh Faye, bras droit, ‘’diawrigne’’, homme de confiance du marabout, il fait remarquer que Makhtar Sow est venu le voir, quand il a vu la foule, mais il ne l’a pas suivi dans sa volonté de calmer la foule. Il a marqué son opposition à la visite de Bara Sow et l’a signifiée. De ce fait, il est complice au même titre que Béthio Thioune.
‘’On a beaucoup insisté sur l’association de malfaiteurs. C’est une entente, une concertation préalable pour commettre un délit. Le juge d’instruction s’est intéressé au fonctionnement des Thiantacounes’’, dit-il. L’association de malfaiteurs vaut même, à ses yeux, pour les bénéficiaires de la liberté provisoire.
Sur la non-dénonciation de crime, le procureur indique que ‘’beaucoup de gens se demandent si Béthio Thioune était au courant. Ses talibés disent non ! Pourtant, Cheikh Faye est venu dans sa chambre pour l’en informer. Il n’a pas entendu le coup de feu, c’est ce qu’il dit. Après en avoir été informé, il n’a pas saisi les autorités’’.
‘’La contumace ne pourra pas faire appel’’
Ainsi, pour Youssoupha Diallo, les accusés ne peuvent pas bénéficier de circonstances atténuantes. Que Cheikh Faye et Béthio Thioune sont dans le même sac, en ce qui concerne l’accusation de complicité de meurtre. Car l’auteur principal et le complice encourent la même peine. Il a donc demandé qu’on décerne un mandat de dépôt pour les bénéficiaires de liberté provisoire.
Pour Béthio, absent du territoire, il demande un contrôle judiciaire suivi d’un mandat d’arrêt. ‘’Bien que les conseils de Béthio Thioune disent qu’il est malade et interné en France, son dossier médical reste vide. S’il n’y avait pas la provocation de Béthio Thioune, il n’y aurait pas de mort. La contumace ne pourra pas faire appel. La seule possibilité qui est lui est offerte, c’est de se constituer prisonnier pour qu’on reprenne le procès. C’est pourquoi il faut y penser par deux fois. On ne nargue pas la justice !’’
KHADY NDOYE