Le parquet au banc des accusés
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L’Union des magistrats sénégalais (Ums) a organisé, hier, une journée scientifique pour aborder la problématique des détentions préventives et des peines alternatives à l’incarcération. Le parquet était au banc des accusés, car considéré comme l’un des prédateurs de la liberté.
‘’Détention préventive et peines alternatives à l’incarcération’’. C’est le thème de la journée de réflexion organisée, hier, par l’Union des magistrats sénégalais (Ums) en collaboration avec l’Ong 3D. La rencontre a été présidée par Mamadou Saliou Sow, Secrétaire d’Etat auprès du garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé de la Promotion des droits humains et de la Bonne gouvernance. Selon lui, les longues détentions ne sont pas une fatalité, mais il est possible d’y mettre un terme. C’est pourquoi l’Ums a initié la réflexion au cours de laquelle les procureurs et les juges d’instruction ont été mis au banc des accusés. Aux maîtres des poursuites, il est reproché d’avoir des pouvoirs exorbitants. Mais les parquetiers sont également accusés d’être à l’origine du surpeuplement carcéral et des longues détentions préventives, du fait des mandats de dépôt systématiques.
‘’Le procureur donne une image de lui qui fait penser qu’il veut punir, en demandant l’ouverture d’une information judiciaire pour des dossiers qui peuvent être réglés en procédure de flagrant délit’’, s’est désolé Me Bamba Cissé qui animait le sous-thème ‘’La problématique des longues détentions : causes et solutions’’.
Embouchant la même trompette, Aïssatou Kanté Faye, Présidente du tribunal d’instance de Rufisque, estime que ‘’pour les connotations à incidence financière, on peut se passer du mandat de dépôt’’.
Aux juges d’instruction, Me Cissé leur fait grief par rapport aux motivations des rejets de demande de liberté provisoire. ‘’Les motifs sont de deux ordres : troubles à l’ordre public et gravité des faits’’, liste la robe noire, non sans ajouter que ce sont ‘’des motifs fourre-tout, car les faits sont d’égale gravité’’. Il ajoute que le trouble à l’ordre public est apprécié de manière subjective, car personne ne peut dire le contenu. Dans la même veine, l’avocat a fustigé la décision de certains juges d’instruction d’enrôler un dossier, à quelques jours de l’expiration du mandat de dépôt, pour contourner l’article 127 bis qui exige la libération d’office de l’inculpé au bout de 6 mois, si l’information (en matière délictuelle) n’est pas bouclée.
PROCUREUR IBRAHIMA NDOYE ‘’Le procureur n'est qu'une partie au procès’’ ‘’Dans notre dispositif actuel, le procureur de la République dispose des pouvoirs qui peuvent sembler accrus, dans un système de droit pénal démocratique où il est vrai qu’on doit tenir compte de la sécurité du bien commun et aussi de la place de l'homme dans sa dignité et dans son humanisme. Le procureur est chargé de veiller à ce que le phénomène de la délinquance cesse et il doit être doté de pouvoirs conséquents, pour pouvoir assurer son rôle de garant des libertés individuelles et de l'ordre public et social. Il se trouve que, malheureusement parfois, certains ont tendance à parler de pouvoirs exorbitants, mais il est vrai que ses pouvoirs sont renforcés, surtout en matière de détention provisoire. La tendance actuelle, au niveau de toutes les juridictions, nous oriente tous à agir dans un sens qui permette d'exclure le procureur du processus fusionnel, par rapport à la prise des mesures en détention provisoire. Certains ont estimé, à juste raison, que le procureur n'est qu'une partie au procès. Donc, l'on veut qu'il y ait égalité des armes entre les parties au procès. Et d'aucuns peuvent estimer que le procureur de la République, investi de ce pouvoir de prendre en charge le phénomène de la délinquance, se trouve également investi du pouvoir de décider, même de la culpabilité, en s'arrogeant le droit de placer un suspect sous mandat de dépôt, en violation certainement de ce principe d'égalité des armes et celui de la présomption d'innocence. Là, il institue, par ce mandat de dépôt, une sorte de déséquilibre de la procédure et des rôles qui sont dévolus dans le procès. L'équilibre devrait consister, pour notre pays, à suivre l'ornière déjà tracée par plusieurs Etats qui se sont engagés dans la voie de la réforme qui a permis à des pays comme la France de créer une autorité judiciaire indépendante, appelée le ‘juge des libertés et de la détention’ à qui est dévolu le pouvoir exclusif d'apprécier de l'opportunité ou non, en cas de poursuite, de placer sous mandat. Le procureur peut rester sur son rôle, mais sans être celui qui est privilégié devant les autres parties. On doit tenir compte de certains aspects modernes pour y remédier’’. |
FATOU SY