Comment Mont-Rolland combat la crise alimentaire
Ancienne communauté rurale devenue aujourd’hui commune, Mont-Roland est sujette aux crises alimentaires, depuis de près de 20 ans qu’elle connait un déficit pluviométrique. Pour trouver des solutions à cette problématique qui perdure, la municipalité s’est ouverte au monde du partenariat, avec des projets structurants qui commencent à porter leurs fruits. Mais, en attendant, la crise alimentaire s’installe toujours dans cette partie du département de Tivaouane.
Mont-Rolland ! Ancien boulevard ou centre commercial, jadis terre d’agriculteurs fiers, a perdu de sa superbe. Dans les années 1950 et 1960, tous les espaces étaient mobilisés pour l’agriculture. La production était extrême, au point que lors de la période de soudure, les anciens Montrolandais ne la ressentaient pas. Il y avait assez de mil, d’arachide et d’haricot. Une variété de céréales y était cultivée. Les greniers étaient pleins. Les populations mangeaient à leur faim. Bref, il y avait de la nourriture pour tout le monde. Puis, dans les années 70-80, les productions ont commencé à baisser. La précarité s’est installée.
De nos jours, la production est quasiment au point mort. Mont-Rolland, qui compte 18 villages (Fouloume, Ndiaye Bopp, Kémaye, Pahamkouye…) est guettée par une crise alimentaire sans précédent. Le mois de mai reste la période la plus difficile. La population, à majorité musulmane (25 % seulement sont des catholiques) peine à se relever de cette crise. Une crise alimentaire qui, jusque-là, frappe fort.
Dans cette commune située à 15 km de Thiès, l’environnement caractérisé par des arbustes presque morts, ses montagnes qui ressemblent à des dunes de sel et le vent sec qui y souffle en disent long sur cette crise alimentaire qui sévit dans cette localité à majorité sérère ndout. Et derrière cette grotte de la Vierge Marie, le ‘’pied de notre Dame de Mont-Rolland’’, vivent 20 à 21 000 habitants.
Des habitants qui, pour la plupart, sont terrassés par la crise alimentaire caractérisée par un déficit pluviométrique. Chaque jour, l’hôtel de ville est pris d’assaut par des administrés plongés dans cette crise. Principale doléance : la demande de soutien financier pour acheter des vivres pour la famille. Il arrive que la mairie dépense par jour 30 à 50 000 F Cfa.
‘’A Mont-Rolland, nous avons un déficit pluviométrique qui commence à durer. Depuis pratiquement 20 ans, bientôt. Chaque année, c’est presque le même scénario. Il ne pleut pas beaucoup. Les pluies sont trop espacées. Les paysans ne récoltent pratiquement rien du tout’’, confie d’abord à ‘’EnQuête’’ le maire de la commune de Mont-Rolland, Yves Lamine Ciss.
De saison des pluies en saison des pluies, la commune vit la même chose. ‘’Lors de l’hivernage 2018, la première pluie a été enregistrée le 26 août et le 30 septembre, il n’y avait plus de précipitations. On a eu peut-être un mois des pluies. Voilà la situation qui se présente à Mont-Rolland. Les gens n’ont rien récolté. Si un paysan ne récolte pas, il va vivre de quoi ?’’, s’interroge Yves Lamine Ciss.
Des projets pour endiguer le phénomène
A Mont-Rolland, plusieurs familles sont affectées par cette sempiternelle crise alimentaire. Par contre, il y en a qui sortent du lot. Ce sont celles-là dont les fils travaillent soit à Dakar ou à l’extérieur du pays. Et donc, pour elles, la prise en charge est loin d’être un casse-tête. De même que manger à sa faim. ‘’Ces dernières n’ont pas de difficultés à se prendre en charge. Mais les ménages qui n’ont pas ça sont dans la misère. C’est ça la vérité. Aujourd’hui, nous pensons que cette situation ne peut pas perdurer. On ne peut pas continuer à vivre dans cette situation presque éternelle’’, confie l’édile socialiste de la commune de Mont-Rolland. La crise alimentaire dicte sa loi aux Montrolandais.
Et pourtant, cette commune dispose d’une terre plus que fertile et de l’eau souterraine. D’ailleurs, 13 forages du réseau Pout-Nord de la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones) sont implantés dans la zone de Mont-Rolland. Avec ces potentialités, le conseil municipal a décidé de se lancer dans des projets structurants pour, enfin, endiguer cette crise alimentaire qui n’a que trop duré. Et toujours en cours. De l’avis du maire Yves Lamine Ciss, ces projets vont aider à résoudre définitivement cette crise et combler en même temps le déficit d’emplois dans la localité. Entre autres projets, il y a Quality Fruity Senegal. Un projet étalé sur plus de 200 hectares et qui vise à développer, dans la commune, la culture fruitière et maraîchère. ‘’Ce projet commence à porter ses fruits. Quality Fruity Senegal emploie déjà 86 personnes parmi lesquelles des jeunes. Toutes ces personnes sont de Mont-Rolland et touchent mensuellement 15 millions de francs Cfa de salaires. Il y en a qui gagne 90 000, 160 000, 250 000, 300, 400 000, voire 450 000 F Cfa. Et ce sont les enfants de Mont-Rolland. Je pense que c’est bien parti. Notre objectif est de fixer les jeunes de Mont-Rolland. Nous voulons qu’ils restent ici et qu’ils y gagnent leur vie’’, se réjouit-il.
Outre Quality Fruity Senegal, il y aussi la ferme qui a été mise en place avec le soutien de l’Anida et qui emploie, aujourd’hui, 20 jeunes de Mont-Rolland. ‘’Lors de la campagne récente, chaque jeune a gagné en moyenne, avec Anida, 1 million 750 mille francs Cfa. Aujourd’hui, ils sont en train de construire leurs maisons’’, se réjouit-il, rappelant que le patron de l’entreprise s’est engagé à recruter jusqu’à 700 personnes, d’ici le mois de décembre. Avec les 700 personnes, c’est 100 millions de francs Cfa qui seront engloutis dans la commune, par mois, précise le premier magistrat de la ville de Mont-Rolland.
Il y a quelques années, rappelle Yves Lamine Ciss, les jeunes garçons et filles quittaient leur commune pour Dakar. L’objectif de ces déplacements était double : échapper à la crise alimentaire et trouver un emploi plus ou moins décent, afin de se prendre en charge et satisfaire les besoins de sa famille de départ. Des mères de famille quittaient aussi la commune pour la capitale nationale. Sur place, certaines devenaient des ménagères, d’autres des nounous. Mais, aujourd’hui, le maire de Mont-Rolland pense que les choses vont changer, surtout avec la mise en place de ces projets et plus tard avec l’arrivée du centre de formation professionnelle de référence.
Ce projet de l’État pour Mont-Rolland va coûter 8 milliards 400 millions et va employer 15 000 personnes. ‘’Le jeune qui perçoit à Mont-Rolland 90 000 F Cfa n’a pas besoin d’aller à Dakar, parce qu’il gagne sa vie sur place et prend en charge sa famille. Quality Fruity va créer au moins 2000 emplois, d’ici 2021 et 2022. En 2024, on doit atteindre le plein emploi à Mont-Rolland. Nous sommes sur la bonne voie pour enrayer définitivement la crise alimentaire. Nous y croyons’’, dit-il.
Se félicitant aussi de l’arrivée du projet, la première adjointe au maire souligne que ce plan va permettre d’éradiquer la crise alimentaire dans la commune. ‘’On commence à ressentir l’impact de ce projet. Parce qu’il fut des mois, c’était des va-et-vient à la mairie. Des pères et mères de famille y venaient pour demander de l’aide. Aujourd’hui, le nombre de demandeurs est en train de diminuer. Aujourd’hui (l’entretien a lieu jeudi dernier) j’ai dépensé 58 000 pour aider des mères de famille à acheter des ordonnances ou des vivres. C’est pour cette raison que nous prions pour la réussite totale de ce projet’’, déclare Fatou Ciss, fille de Loukhouss.
Femme de développement, l’adjointe au maire de Mont-Rolland veut que chaque famille puisse se prendre en charge, dans les années à venir. Surtout avec les projets qui ont démarré et les autres en cours.
Les enfants, principales victimes
A Mont-Rolland, la crise est visible. Même si elle est sur le point d’être éradiquée, celle-ci continue à faire son lot de victimes. Parmi lesquelles les enfants. Pour le maire de ladite commune, il est évident qu’ils soient les principales victimes. ‘’Un enfant qui ne mange pas à sa faim, surtout que quand ça perdure, il aura du mal à supporter cette faim. Il fut un temps, des filles tombaient en syncope au niveau du lycée. Les uns disaient que c’étaient des djinns. Nos conclusions sont trop hâtives. Des recherches ont fini par montrer que ces filles perdaient beaucoup de sang avec leurs règles et que ce qu’elles mangeaient à la maison ne comblait pas la perte de sang. C’est ça qui les amenait à ces crises’’, indique Yves Lamine Ciss.
Aussi, l’ancien président du conseil rural soutient qu’un enfant qui peine à manger un repas équilibré aura du mal à obtenir de bons résultats à l’école. Son adjointe Fatou Ciss souligne, tout de même, que si la mairie s’investit dans le social, c’est pour faire en sorte que les enfants puissent manger à leur faim et les extraire de cette crise alimentaire.
En dépit de cette crise qui l’affecte, Mont-Rolland parvient à faire de bons résultats aux examens du Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee). En 2014, le taux de réussite était de 31 % et 66 % en 2018. Et l’objectif de la municipalité, qui appuie toutes les écoles primaires en termes de fournitures scolaires d’un montant annuel de 10 millions de francs Cfa, est d’atteindre les 100 % et d’avoir les meilleurs résultats de la région.
Par contre, pour y arriver, il faut rayer définitivement du vocabulaire montrolandais le groupe de mot ‘’crise alimentaire’’.
FRANÇOIS MBENGUE, CHEF DE VILLAGE DE TIVIGNE TANGHOR ‘’Les populations ont résisté à la crise, grâce à l’entraide’’ ‘’On peut dire qu’il y a une crise alimentaire, mais il n’y a pas de crise, parce qu’il y a une entraide qui a été développée à Mont-Rolland pour faire face à cette difficulté. Elle a sauvé cette commune. Si les uns et les autres résistent encore à la crise alimentaire, c’est grâce à l’entraide. Nos jeunes qui travaillent à Dakar sont également d’un grand apport. Il y a 18 villages. Et catholiques et musulmans s’entraident. C’est pour cette raison que la crise alimentaire n’est pas bien ressentie. Sans l’entraide, la crise serait difficile. La saison dernière, il n’y a pas eu assez d’eau. Il n’y a plus de greniers remplis de mil à Mont-Rolland. Ces greniers n’existent plus. La terre de Mont-Rolland est très riche. Il faut la retourner pour bien la cultiver. C’est pour cette raison que nous demandons un soutien en matériel agricole de la part du gouvernement. Il y a des projets dans cette commune. Mais ils ne peuvent pas employer tous les jeunes de Mont-Rolland. Par contre, avec le centre de formation professionnelle en gestation, nous croyons que cette crise sera résolue. Nous attendons ce projet de l’État à bras ouverts, parce qu’il y aura de l’élevage bovin, l’agriculture. Nous sommes pressés…’’ |
GAUSTIN DIATTA (THIES)