" La justice est confrontée à un souci de performance"
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Les magistrats vont diagnostiquer les maux de la justice, à travers un atelier prévu ce vendredi à Dakar. En prélude à cette rencontre, Abdoul Khadir Khaoussou Diop, secrétaire général de l'Union des magistrats sénégalais (UMS) a accordé un entretien à EnQuête et L'Observateur. Le magistrat pose un regard critique sur la justice, en pointant du doigt les lenteurs qui peuvent affecter leur indépendance.
L’UMS organise un atelier de renforcement de l’indépendance de la justice. Qu’est ce qui est attendu de ces travaux ?
En effet, en partenariat avec l’ONG AfricaJom Center, dirigée par Alioune Tine, l’UMS organise, les 28 et 29 juin 2019 à l’hôtel Radisson Blu de Dakar, un atelier sur le thème : « La justice face aux défis de la modernisation et de la performance ». L’objectif de cet atelier est de réunir des praticiens du droit, des représentants de l’administration de la justice et des personnalités de la société civile intéressées par la situation actuelle et le devenir de notre justice pour ensemble réfléchir sur la performance de celle-ci, mesurer son efficacité, identifier les obstacles auxquels elle fait face pour bien remplir ses missions. Cette rencontre de deux jours, qui sera présidée par le ministre de la Justice, en présence de l’Ambassadeur de Suisse, Son Excellence Mme Marion Weichlt Krupski, verra la participation d’éminents magistrats étrangers venant notamment du Maroc et du Togo, qui viendront partager l’expérience de leurs pays.
Nous nous attendons à une communication du Juge Mohammed Khadraoui sur l’expérience marocaine en matière de Conseil supérieur de la magistrature autonome. Le collègue du Togo, monsieur Bassa nous entretiendra sur la garantie d’inamovibilité telle que pratiquée dans son pays. Des magistrats sénégalais feront aussi des communications sur les voies et moyens pour accélérer les procédures en matière civile et en matière pénale. Nous espérons qu’au sortir de cet atelier, les actions nécessaires à mettre en œuvre pour améliorer les performances et l’efficacité de l’institution judiciaire sur les plans structurel, humain, budgétaire et matériel seront identifiées.
Depuis deux ans, l’UMS organise des ateliers sur l’indépendance de la justice, est-ce à dire que la lutte est loin d’être gagnée ?
L’indépendance est la pierre angulaire de tout l’édifice judiciaire. Sans elle, point de justice. Étant une préoccupation constante, même pour les nations développées, le thème peu paraitre récurrent, mais, en réalité ce n’est pas le cas. Chaque fois, un aspect particulier est mis en exergue. Pour cet atelier, l’accent sera mis sur le défi de la modernisation et de la performance qui se pose également à la justice. Comme vous le savez, comme toute activité, la justice est confrontée à un souci de performance. Les justiciables deviennent de plus en plus exigeants et pressés d’avoir une décision du juge.
Cependant, les causes des lenteurs trouvent, quelques fois, leur source dans le manque de moyens et cela peut affecter l’indépendance, car touchant à l’autonomie de l’institution judiciaire. C’est pour cette raison que je disais que l’indépendance est une question centrale. C’est aussi un combat permanent et comme vous le dites, la lutte n’est pas encore gagnée, mais d’importants progrès ont été accomplis dans ce cadre, car maintenant cette question est portée par d’autres acteurs que les magistrats, notamment des organisations de la société civile dont notre partenaire AfricaJom Center, mais encore, des structures telles que la Plateforme des acteurs de la société civile pour l'indépendance de la justice (PASCIJ) mise en place au mois de janvier 2019.
Il y a eu un comité de réflexion pour l’indépendance de la justice, sous la houlette de l’ancien ministre de la Justice Ismaila Madior Fall. Que sont devenues les conclusions des travaux ?
Vous avez raison d’évoquer cette question. Le comité dont vous parlez, qui était composé d’éminentes personnalités issues de différents milieux socioprofessionnelles, dont des magistrats, avocats, huissiers, notaires, experts judiciaires, membres de la société civile, et qui était présidé par un professeur d’université, a travaillé de façon consensuelle et abouti à des conclusions et recommandations reflétant l’aspiration de ce qu’on pourrait appeler une parfaite représentation des acteurs du monde judiciaire sénégalais et même au-delà, compte tenu de personnes n’appartenant pas à la famille judiciaire.
Le fruit des travaux a été transmis au Ministre de l’époque, mais depuis lors, les conclusions tardent à être mises en œuvre, ne serait-ce qu’en partie, alors même que c'est son département ministériel, donc, le pouvoir exécutif, qui en avait eu l'initiative. Nous avons à maintes reprises déploré cet état de fait et rencontré cette autorité, en vue d’être édifiés sur les raisons de la non application des recommandations, sans obtenir de réponse satisfaisante. Nous espérons qu’avec l’actuel ministre, cette question sera enfin traitée et osons croire que l'inertie notée jusqu'ici n'est pas la résultante d'un manque de volonté politique pour mettre en œuvre les propositions de réforme, dont l’utilité et la faisabilité ne font pas de doute.
La justice fait l’objet de beaucoup de critiques, parfois même venant de ses acteurs. Qu’est ce qui justifie ces attaques ?
Les critiques sont nécessaires, pourvu qu’elles soient fondées. La justice est un service public et a des usagers qui sont en droit de s’attendre à ce qu’elle fonctionne convenablement et dans l’intérêt de tous. De plus en plus, les justiciables deviennent conscients de leurs droits et de ce que doit être l’institution judiciaire. Les critiques venant de l’intérieur, qui ne sont pas du tout des attaques, se justifient plus par le souci des acteurs de veiller à l’image de la justice, qui peut être ternie par certaines situations, que par autre chose. C’est en quelque sorte un rôle d’alerte.
Récemment le bâtonnier s’en est pris violement à des acteurs de la justice. Existerait-il des problèmes entre le barreau et la magistrature ?
Le barreau aspire et concourt à la performance de la justice. Il a intérêt à ce que l’institution judicaire fonctionne correctement dans le respect des standards observés par les nations démocratiques, dans lesquels règne l’État de droit. Je ne pense pas que le barreau et la magistrature aient un problème entre eux, loin de là. La sortie faite récemment par le Bâtonnier et qui a suscité une réaction de l’UMS, ne reflète pas la vision de l’ensemble du barreau. Nous avons condamné, en son temps, ses propos et, depuis lors, tout est rentré dans l’ordre.
De plus en plus, il y a la question des grâces « vendues », à quel niveau se situent les responsabilités ?
Sur cette question, permettez-moi de me montrer circonspect par rapport à ce que vous appelez « grâces vendues ». D’abord cela n’est à l’heure actuelle confirmé ou corroboré par aucun élément. En matière de grâces collectives, des dysfonctionnements peuvent facilement intervenir, en raison du grand nombre de personnes concernées, qui augmente la marge d’erreur. Mais, cela ne signifie pas automatiquement, le cas échéant, qu’il y a fraude. Dans ces cas, une enquête est nécessaire pour situer l’origine du dysfonctionnement et éventuellement les responsabilités