Publié le 30 Jul 2012 - 22:30
JUSTICE

ENTRETIEN... AVEC MAMADOU L. DIÉDHIOU, PRÉSIDENT DE LA 2E SESSION DE LA COUR D’ASSISES DE THIÈS

 

Magistrat conseiller à la cour d’appel de Dakar, Mamadou Lamine Diédhiou a présidé la 2e session de la Cour d’assises de Thiès. Dans cet entretien accordé à EnQuête, le juge y va sans tabou et assène ses vérités. De l’abrogation de la loi Latif Guèye au rôle primordial des indicateurs de police et de gendarmerie en passant par la gâchette jugée facile des Peuls, le juge ne laisse rien en rade... Entretien.

 

 

Après deux semaines d’audiences, avez-vous le sentiment que le droit a été bien dit ?

 

 

J’ai forcément le sentiment d’avoir bien dit le droit parce que c’est ça mon travail. Je suis venu pour dire le droit dans des affaires qui concernent des accusés auxquels on a reproché des faits assez graves. La loi nous dit : rendez vos décisions en âme et conscience. C’est le guide du juge pénal. Il prend sa décision en son âme et conscience selon son ultime conviction. Nous étions trois (NDLR : lui et ses deux assesseurs) à statuer sur toutes les affaires durant toute la session. Nous avons toujours été trois à discuter avant de prendre une décision.

 

 

A l’ouverture des travaux, l’avocat général Salobé Gningue et le représentant du bâtonnat Me Amadou Sonko ont plaidé pour l’abrogation de la loi Latif Guèye. En tant que magistrat, qu'en pensez-vous ?

 

 

L’innovation de la loi Latif Guèye, c’est qu’elle a aggravé les sanctions. Mais sur le plan purement procédural, je pense qu’on aurait pu aggraver les sanctions sans criminaliser l’infraction. C’est la criminalisation qui pose problème car en matière criminelle, l’information est obligatoire ; et dans les dossiers de drogue, on n'a souvent pas de témoins ni de parties civiles, on n'entend que l’accusé. Donc, il faut amener un dossier dans un cabinet d’instruction pour entendre la personne une seule fois et l'inculper, des fois sans aucune confrontation, et la renvoyer en assises. Je pense que ces dossiers, on peut continuer à les envoyer en flagrant délit comme on l’a toujours fait. Sauf que peut-être on peut encadrer le juge et lui lier les mains pour ce qui est du minima de la peine applicable. Le but recherché dans cette loi, c’était d’aggraver les sanctions pour dissuader les gens. Mais on aurait pu valablement dire que vous pouvez appliquer une peine de 5 à 10 ans et que si vous bénéficiez des circonstances atténuantes, vous ne pouvez pas descendre en deçà de 5 ans. A un certain poids, on vous oblige à appliquer le maximum de la peine sans criminaliser.

 

 

'' La loi Latif Guèye a créé plus de problèmes qu’elle n’en a réglés pratiquement''

 

 

Quelles répercussions à votre niveau ?

 

 

L’effet pervers de cette loi, c’est qu’aujourd’hui on a dans les bras des dizaines de dossiers qui attendent d’être jugés. Alors qu’on ne peut pas juger parce qu’une session d’assises, c’est lourd, c’est trop procédural, ça coûte trop d’argent à l’Etat et, au bout du compte, le résultat reste le même. Le même résultat qu’on aurait obtenu si on avait laissé l’infraction à la compétence des juges du flagrant délit. Bien qu’on ait criminalisé les dossiers de drogue, le but recherché n’a pas été atteint. Bien qu’on ait aggravé les peines, les comportements n’ont pas changé. Ça ne valait pas la peine de nous créer tous ces problèmes. La loi Latif Guèye a créé plus de problèmes qu’elle n’en a réglés pratiquement. Il est grand temps qu’on revienne sur cette loi. On en parle, je ne sais si les autorités nous écoutent, mais je pense qu’il faut bien qu’on aille vers la réforme de cette loi sans pour autant remettre en cause le but recherché.

 

Cette session a connu beaucoup d’impairs...

 

J’avoue que sur ce plan, on a eu quelques difficultés. Honnêtement, à un moment donné, on a voulu forcer quand même le pas pour tenir coûte que coûte cette session. L’ordonnance a été prise le 18 juin pour une session qui devait démarrer le 16 juillet, soit moins d’un mois. Mais il le fallait pour diminuer le stock de dossiers en souffrance et qui ne pouvaient attendre, pendant que d’autres tombent.

 

De fait, les avocats ont critiqué la faiblesse de certains dossiers en soulevant beaucoup d’exceptions.

Un avocat qui sent que le dossier de son client ne se présente pas bien, il commence à soulever les exceptions de fond pour empêcher à la cour d’aller au fond. C’est de bonne guerre. Mais je pense que de toutes les exceptions qui ont été soulevées, une seule a abouti à l’annulation d’une procédure. C’est à contre cœur mais c’est le droit. Le juge a méconnu certaines dispositions du code de procédure pénal dont la sanction est la nullité de la procédure et de toute la procédure. Les exceptions sont prévues par la loi et je ne reproche pas aux avocats de les soulever. C'est normal. C'est pourquoi nous sommes obligés de statuer sur les exceptions, de passer au fond s’il faut le faire, d’annuler s’il faut annuler.

 

 

Avec beaucoup d'exceptions, notamment par rapport aux procès-verbaux de la gendarmerie, avez-vous l’impression que le travail se fait à la va-vite ?

 

 

J’ai personnellement beaucoup souffert quand j’ai entendu certains avocats, en pleine audience, faire le procès des acteurs du système judiciaire sénégalais alors qu’on était venu juger des gens auxquels on reprochait des faits très graves. La première tactique avait consisté à systématiquement attaquer le travail des officiers de police judiciaire, soit gendarmes et policiers enquêteurs. On a trop dit sur eux. Au bout du compte, on accuse les juges sénégalais : stigmatisation d’une ethnie, justice xénophobe, j’ai entendu parler de consécration de la présomption de culpabilité en lieu et place de la présomption d’innocence, en pleine salle d’audience ! Je ne sais ce que les gendarmes et les juges auraient contre les peuls et les étrangers maliens (qui sont jugés pendant la 2e session d’assises). Si vous avez vu tous les dossiers qui nous ont posé des problèmes pendant cette session, ils concernent ceux dans lesquels ont été impliqués principalement des Peuls. Ce ne sont pas des gendarmes qui sont allés comme ça les cueillir, de leur propre-chef. Ils ont fait des enquêtes portant sur des faits assez graves qui les ont orientés vers ces gens. Il faut qu’on se dise la vérité : le problème d’insécurité qui se pose à Thiès est principalement le fait de ces villages peuls qui sont autours de la ville. Ce qu’on a fait sur la Voie de contournement nord (VCN) avec vols commis en réunion avec violence et viols collectifs, c’est imaginable et ça s’est passé dans le village de Thionakh peul. Il faut que les gens aient le courage de le dire, c’est ça la vérité. Il faut louer le travail des gendarmes et policiers qui traquent des malfaiteurs qui nous empêchent de dormir, quels que soient les errements qui se trouvent dans certaines procédures. Il faut arrêter de les diaboliser.

 

''Les Peuls ont la gâchette trop facile''

 

Sur ce chapitre justement, 47 prévenus ont défilé à la barre dont 20 d’ethnie peul. Ne faut-il pas tenir compte du fait que ce sont des gens culturellement proches de leurs armes ?

 

 

Je ne pense pas. Le problème des Peuls, c’est qu’ils portent des armes sans autorisation. Évidemment, on me dira que c’est leur instrument de travail, qu'ils sont des bergers et qu'ils ont toujours fonctionné comme ça. Mais le monde évolue et il faut qu’ils changent avec le monde. Je ne leur demande pas d’abandonner leur culture, mais s’ils ont dans leur culture des pratiques qui sont maintenant réprimées car répréhensibles, j'estime qu’il leur faut changer pour être en règle avec les lois. Toutefois, ce n’est pas parce qu’ils portent des armes non autorisées, mais c’est qu’ils ont la gâchette facile. Ils n’hésitent pas à porter des coups jusqu’à ce que mort s'ensuive. On aurait pu leur dire de ne plus porter d’arme, mais tel n’est pas le cas. Chaque Peul qui passe a nécessairement un coupe-coupe sous le grand boubou. Cela ne gêne pas quand il le porte pour se défendre parce qu’ils sont tout le temps en brousse. Mais si c’est pour aller agresser, voler et tuer leur victime, je préconise qu’on leur interdise carrément de porter des coupe-coupe. Je suis prêt à aller jusqu’à cette extrême.

 

 

Pour ce qui est des gendarmes, on constate souvent qu’ils mettent dans les ordonnances de renvois «suite à une dénonciation anonyme». N'est-ce pas un peu léger, un fourre-tout ?

 

Les gendarmes et les policiers ont leur système de fonctionnement, dans chaque zone ils ont leur indicateur. Et l’indicateur, on ne peut révéler son identité. Et dans toutes les polices du monde, on fonctionne comme ça. Pour leur permettre de continuer à mener leurs activités efficacement, on ne révèle pas leur identité. L’indicateur fait le travail le plus important parce que c’est lui qui intègre le milieu pour essayer de trouver une fuite afin à filer aux enquêteurs. Qui à leurs tours démarrent l’enquête. C’est un fourre-tout, mais sans cela des crimes resteraient impunis.

 

 

Depuis 2010, Thiès n’avait pas abrité une session d’Assises. Où était le problème ?

 

Les sessions d’assises sont programmées par la Cour d’appel de Dakar qui englobe Thiès. Elle programme une session d’assises en fonction du volume car à Dakar on a des dizaines de dossiers qui sont pendants. Et on ne peut pas mobiliser deux équipes pour Dakar et Thiès en même temps. Il faut savoir que ce sont les magistrats qui officient à la Cour d’assises qui sont aussi à la Cour d’appel. Alors, si on mobilise les magistrats en même temps sur Thiès et sur Dakar pendant deux ou trois sessions, cela risque de perturber le fonctionnement de la Cour d’appel elle-même. Donc, ils sont obligés de tenir compte des impératifs du fonctionnement normal de la Cour d’appel, mais aussi des impératifs liés aux détentions des gens qui sont détenus assez longuement. Ils concilient ces deux obligations pour programmer une session d’assises. Plutôt que de faire des sessions d’assises ponctuelles, je suggère la création d'une Chambre criminelle dans toutes les régions. Tout ce qui est criminel à Thiès serait jugé par le tribunal régional. Si l’accusé estime qu’il n’est pas satisfait, il fait appel et le dossier va à la Cour d’appel de Dakar.

 

 

PAR NDÈYE FATOU NIANG

 

 

 

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