L’appel de Dakar

L’Initiative pour l’annulation de la dette africaine (Iada) a été lancée hier à Dakar. L’objectif est, d’après les initiateurs, d’arriver à une mobilisation des peuples d’Afrique et du monde pour l’annulation de la dette publique du continent.
Le service de la dette absorbe, en moyenne, 14 % des revenus des pays africains. Autant de milliards de dollars qui, selon le Comité d'Initiative pour l'annulation de la dette africaine (Iada), ‘’manquent à la satisfaction’’ des besoins urgents des populations africaines, notamment en matière de nourriture, de santé et d’éducation. ‘’Les moratoires, annulations partielles, rééchelonnements opérés jusqu’ici n’ont nullement permis la disponibilité de ces fonds pour les besoins des populations, ni même une réduction du volume de la dette’’, soutient le comité dans son communiqué d’appel à la mobilisation. Il estime ainsi qu’il est ‘’temps d’enrayer cette mécanique mortifère’’ dont la pandémie actuelle démontre, selon eux, qu’elle fait peser des menaces ‘’immédiates’’ sur la survie physique des populations d’Afrique et, par voie de conséquence, du monde entier.
Les initiateurs de l’Iada pensent, en fait, que les propositions récentes de report d’échéances ‘’ne sont pas’’ à la hauteur de cette exigence. C’est pourquoi ils demandent l’annulation totale et sans condition de la dette extérieure africaine. ‘’En rupture avec les pratiques du passé, cette annulation devra profiter aux peuples par la création de mécanismes transparents de gouvernance permettant la mise en œuvre efficiente de programmes d’investissement massifs dans les domaines-clés que sont, entre autres : l’amélioration quantitative et qualitative des systèmes d’éducation et de santé, l’accès universel à l’eau, à l’électricité, à l’Internet et à tous les services sociaux de base, la maitrise de l’eau, en vue notamment d’une production alimentaire autosuffisante’’, déclare leur porte-parole El Hadj Momar Samb. Qui pense que chaque citoyen du monde doit ‘’élever la voix’’ pour contribuer à la satisfaction de cette ‘’exigence de solidarité’’ et d’humanité.
Par ailleurs, le président du Comité d’Iada, Mody Guiro, relève qu’une récession économique s’annonce et le monde va vers de ‘’réelles difficultés’’, quant à la satisfaction de la demande sociale des populations. Alors que les capacités de mobilisation de ressources financières des Etats deviendraient ‘’très limitées’’, en raison des conséquences de la pandémie. ‘’Ainsi, parmi les nombreuses pistes de solution préconisées ici et là, des leaders de la société civile, des secteurs économique, syndical, politique, suite à l’appel du président Macky Sall, ont proposé une annulation de la dette des pays africains pour mieux faire face à la Covid-19 et pouvoir relancer nos économies sans être obligés de subir encore des plans d’ajustement structurel’’, dit-il.
D’après le syndicaliste, les pays africains peuvent se prévaloir d’être dans un ‘’état de nécessité’’ qui leur donne la légitimité de demander l’annulation ‘’pure et simple de la dette’’ dans le cas d’exception où ils se trouvent pour sauvegarder un ‘’intérêt essentiel’’. A savoir, la vie et la santé de leurs populations menacées par un péril ‘’grave et imminent’’ comme la pandémie du coronavirus. ‘’Il s’y ajoute, après cinq siècles de pillage, d’esclavage, de colonisation, suivis de vingt années de politiques d’ajustement structurel, que les populations des pays africains sont en droit d’exiger des réparations, pour tous les torts et pour toutes les souffrances subies et causées par un mécanisme de la dette injuste et inhumaine au service des grandes puissances des pays du Nord’’, renchérit-il.
Pour Mody Guiro, les mécanismes d’endettement ont souvent soumis les pays africains et ceux du Tiers-monde à ‘’des exigences et conditionnalités des institutions financières internationales et des pays créanciers’’. Qui, d’après lui, ‘’utilisent la dette pour exercer des pouvoirs exorbitants’’ sur les pays endettés, avec le risque, dans cette pandémie, d’aller vers des plans d’ajustement structurel des années 80-90. ‘’Cela, les Africains ne doivent pas l’admettre. C’est donc dire que cette initiative est le résultat de la synthèse de différents points de vue défendant une annulation de la dette plutôt qu’un moratoire du service de celle-ci et portée par différentes forces sociales, économiques, citoyennes, syndicales, politiques et institutionnelles et dont la jonction a été matérialisée par un appel, qui fera l’objet d’une diffusion publique à partager largement avec l’opinion nationale, africaine et internationale’’, insiste-t-il.
Il convient de noter que, selon les initiateurs de l’Iada, plus de 14 pays africains se sont engagés à rejoindre leur combat.
3 QUESTIONS A… Mamadou Mignane Diouf (Forum social sénégalais et membre comité Iada) ‘’Il est bon que les citoyens, parlementaires, puissent auditer les dettes africaines’’ L’Iada vient d’être lancée. Mais, au-delà de cet appel, est-ce que vous pensez que les pays africains doivent revoir leur manière de s'endetter et leurs investissements ?
Donc, nous sommes tout à fait conscients de cela. Et ce matin (NDLR : hier) quand nous lancions l’initiative, il y a qui ont pris la parole du Maroc, de la RDC, de la Belgique, de la France, etc., et ont montré que nous devons exiger que les dettes soient annulées. Mais nous devons aussi contrôler nos Etats et faire un audit citoyen qui va dans le sens de rationaliser les montants qui sont empruntés souvent. Cela rentre dans ce que nous appelons la bonne gouvernance, la reddition des comptes et le contrôle citoyen. Vous avez été reçus par le chef de l’Etat Macky Sall. Est-ce que lors de cette audience, ces points ont été évoqués, notamment par rapport au contrôle citoyen de la dette ? Quand le chef de l’Etat nous a reçus, nous avons pris la parole pour lui dire que nous avons salué son courage quand nous avons entendu dire qu’il voulait appeler à une annulation de la dette en raison de la pandémie de Covid-19. Déjà, au niveau du mouvement altermondialiste du Forum social mondial, au sein d’un grand réseau international, le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde dont nous sommes membres, ce débat était lancé lors des webinaires que nous animions et une pétition a été lancée. Au même moment, on a vu qu’au Sénégal, certaines centrales syndicales, des partis politiques s’étaient intéressés à la question. Donc, nous lui avons dit que c’est une jonction d’initiatives politiques, sociales et citoyennes. Il faut donc faire une jonction de ces initiatives pour ne pas être dans un discours redondant où chacun voudra dérouler son propos, alors que nous parlions du même problème. Nous avons dit aussi qu’il faudra voir à quoi servent les dettes qui sont empruntées, comment c’est utilisé, investi et aussi évaluer les dettes qui vont être annulées et mettre en œuvre un mécanisme de suivi-évaluation de leur investissement dans les secteurs sociaux comme l’accès à l’eau, à la santé, à l’éducation, à l’agriculture, à la souveraineté alimentaire, etc. Pour cela, nous autres acteurs de la société civile africaine, nous travaillons sur les questions de la dette. Nous sommes sur cette position et les garderons tout en menant la bataille pour que les bailleurs de nos pays comprennent qu’un pays ne peut pas être en guerre et qu’on lui demande de payer une dette. Au niveau international, il y a même des textes qui permettent à un pays de refuser de payer une dette, dès l’instant qu’il est dans un contexte de conflit, de guerre ou de pandémie, comme celle que nous sommes en train de vivre. Normalement, à partir de ce mois, les pays africains ont le droit, selon le règlement du droit international, de dire : nous suspendons unilatéralement le paiement de la dette pour faire face à la Covid. Mais cela dépendra du courage politique que les uns et les autres vont avoir, soutenus fortement par les mouvements de la société civile. Mais est-ce qu'il n'est pas paradoxal de plaider pour une annulation de la dette contractée et continuer à s'endetter à coups de milliards pendant la crise ? L’endettement n’est pas mauvais en soi. Mais il n’est pas également une condition sine qua non du développement. Les Américains sont le pays le plus endetté. Pour la France, son taux d’endettement est presque à plus de 100 %. L’Italie est arrivée à 77 %, la Grèce presque à 200 %. Mais quand ce sont les pays africains qui sont endettés à 50 %, cela fait un scandale, problème. Toutefois, cela dépend aussi du mécanisme de gouvernance. Il faudra sans doute arriver à faire comprendre aux gens que, quel que soit l’endettement de nos pays du Tiers-monde, de l’Afrique, cela mérite d’être fait. Cela ne va pas être gaspillé, cela va aller dans des investissements structurants, importants qui vont faciliter l’accès à des services, la création d’emplois, l’accompagnement des populations dans les différents domaines. Mais il ne faut pas qu’on veuille s’arc-bouter sur le fait de dire qu’on ne peut pas vouloir exiger l’annulation de la dette et penser à continuer à s’endetter. Tout le monde s’endette. Ce n’est pas une raison suffisante de donner une réponse comme cela. Il suffit donc de voir comment rentabiliser l’endettement. Ceci pour arriver à ne plus s’endetter. Nous devons changer le système qui fait que les pays du Nord, les multinationales, viennent chez nous nous imposer des contrats qui ne sont pas à la hauteur des ressources naturelles qu’ils nous achètent. C’est le cas du cacao, de l’arachide, de l’or, du pétrole, du diamant, de la bauxite et tous ces minerais-là. S’ils acceptaient de juste payer les réels et véritables prix de ces produits-là, de payer en définitive les taxes et impôts, on n’aurait pas besoin d’aller nous endetter. Pour cela, c’est le système mondial qu’il faudrait savoir changer pour un ‘’autre monde possible’’. Il faut donc un rapport de force où les gouvernants, les mouvements sociaux, la presse, les citoyens arrivent à s’organiser pour imposer que plus jamais ce qui nous arrive continue à nous arriver. Si nous avons une presse engagée qui comprend les enjeux de la communication, des citoyens engagés, il y a de fortes chances que le système mondial commence à changer dans la gouvernance, les relations internationales et de coopération. Ce défi, pour le relever, nous devons nous organiser tous en conséquence et arriver aussi à un consensus minimum de démocratie entre les acteurs politiques, de l’opposition, du pouvoir, les syndicats. Ce qui permet de faire face aux enjeux globaux, qui empêcherait, quel que soit l’homme ou le régime qui serait là, de réaliser ses ambitions. |
MARIAMA DIEME