Publié le 22 Oct 2020 - 00:49
BAISSE DES CAS DE COVID AU SÉNÉGAL

L’Immunité collective, une hypothèse

 

La baisse des cas de coronavirus est sur toutes les langues.  Pour certains experts, cela est dû aux respects des mesures barrières. D’autres évoquent une immunité collective qui, scientifiquement, n’est pas démontrée, mais elle demeure une hypothèse. D’ailleurs, une enquête prévue dans les semaines à venir nous édifiera.

 

Depuis presque deux mois, le Sénégal connait une réduction drastique des cas de Covid-19.  Un fait qui rend tout le monde heureux. Pour certains, si on est à ce niveau, c’est parce que le pays a développé une immunité collective. Mais, selon des experts, cette baisse est consécutive à plusieurs facteurs.

Le médecin-chef de la région de Diourbel, Docteur Mamadou Dieng, considère qu’on ne peut pas l’attribuer exclusivement à l’immunité collective qui fait partie des facteurs.  A l’en croire, il y a les plans de résilience qui ont été développés, qui ont impacté la transmission. Il y a, énumère le Dr Dieng, des activités que les gens ont menées, qui ont contribué à cette baisse.

Mais devant des épidémies de cette ampleur, reconnait le médecin-chef, il est évident qu’il est très difficile de montrer la part de contribution de chaque intervention dans cette baisse.  Cependant, il semble qu’en plus de l’immunité collective, les plans de résilience ont impacté cette baisse.

L’histoire naturelle des épidémies, informe le Dr Dieng, c’est qu’elles se développent en plusieurs phases. ‘’Il y a une phase aigüe qui est la première où survient plusieurs cas en même temps et sur une même période. Après, il y a la phase de plateau ou de pic, cela dépend. Il y a des épidémies où on a un pic, c’est-à-dire, on atteint un point culminant et puis, immédiatement, les cas baissent de manière drastique pour atteindre le niveau zéro presque. Pour le cas du Sénégal, il n’y a pas de pic en réalité. Il y a eu un point culminant qui n’a pas été suivi d’une phase en plateau avec une décroissance qui s’est étalée sur plusieurs périodes’’, explique le Dr Dieng.

Pour le spécialiste, on ne peut pas non plus écarter l’immunité collective, ni l’histoire naturelle de l’épidémie qui prend fin un jour ou l’autre. ‘’Pour développer cet argument, il fallait faire une enquête de séroprévalence. Donc, on ne peut pas se fonder sur cet argument pour dire que c’est l’immunité collective. Mais on peut émettre des hypothèses que l’immunité a certainement impacté de manière positive la baisse’’.

A son avis, on est à la queue de l’épidémie de cette première vague. Car, renseigne-t-il, avec la décroissance, on est actuellement à des niveaux où la détection des cas est beaucoup plus difficile. Cela, sur le fait que les gens refusent de faire les tests, certains font de l’automédication. Il s’y ajoute, soutient le Dr Dieng, le fait que les gens, parfois, ne se soignent même pas. ‘’Il y a des cas de guérison spontanée qui sont très nombreux, parce que la plupart des formes sont des formes simples. Tout cela, c’est des facteurs qu’il faut prendre en compte dans cette baisse. La décroissance peut coïncider avec une immunité collective. C’est-à-dire qu’il y a eu tellement de gens qui se sont infectés sans le savoir peut-être. Des gens aussi qui ont développé la maladie sans le savoir. D’autant que l’immense majorité des cas sont des asymptomatiques, passent inaperçus ou peuvent prendre le masque d’un palu ou d’une grippe simple’’, renseigne le Dr Dieng.

Très optimiste, il soutient que, peut-être d’ici fin novembre, on peut avoir zéro cas.

Une enquête de séroprévalence prévue dans les prochaines semaines

Dans la même veine, le directeur de la Prévention, le docteur El Hadj Mamadou Ndiaye, souligne qu’on ne peut pas être catégorique sur l’origine de cette baisse. Mais on peut dire que, surement, les mesures barrières ont pu faire leur effet. ‘’Quelle que soit leur observance, elles ont un certain effet. Parce qu’il y en a qui portent le masque, d’autres respectent la distanciation et certains le lavage des mains. Il y a également la restriction des libertés par rapport à certains évènements. Même s’il y a eu la levée, par la suite. Mais ces mesures barrières sont renforcées par des mesures administratives’’, dit-il.

A cela s’ajoute un certain nombre de mesures prises qui peuvent conduire à cette baisse. Selon le Dr Ndiaye, une épidémie, c’est toujours la phase ascendante, la phase de plateau et la phase de décroissance. Ces mesures, précise le préventionniste, ont renforcé le fait que l’épidémie a pu atteindre un certain taux et est en train de décrocher. Avant de préciser qu’on ne peut pas dire que le pays est en train de développer une immunité collective. Parce qu’on ne connait pas l’ampleur de la séroprévalence de cette contamination dans la communauté.

‘’Cela sera déterminé par une enquête de séroprévalence qu’on a prévu de faire dans les prochaines semaines. On va faire une enquête pour voir le degré de contamination, c’est-à-dire de portage du germe dans la population. Parce qu’on ne connait pas si le virus a une transmission communautaire. Si ça se transmet, il y a peut-être une immunité donnée. Mais on ne connait pas la durée et la qualité de cette immunité. C’est un faisceau d’arguments et d’hypothèses sur lesquels repose l’explication de cette tendance à la baisse observée depuis plus de 6 semaines. On va atteindre bientôt le 2e mois. Nous sommes en dessous de 54, depuis près de 2 mois’’, fait-il savoir.

Par ailleurs, il souligne que la crainte, aujourd’hui, est surtout du côté de l’extérieur. ‘’C’est vrai, il y a des évènements qui sont organisés. Mais on ne sent pas une grande augmentation des cas. On peut dire que cela a été bien géré dans l’ensemble. Ce qu’il faut craindre, c’est surtout du côté extérieur. Beaucoup de cas importés sont notés. Il y a la deuxième vague. C’est-à-dire une augmentation des cas dans certains pays, notamment du Nord. On a vu la France adopter certaines mesures de restriction de libertés, dès ce samedi. On a toujours une baisse des cas, mais on craint qu’il y ait un relâchement. D’abord, que les populations ne pensent pas qu’il faille relâcher. Cela peut être à l’origine du rebond. Il y aura des mesures restrictives pour les cas importés. Les gens ne pourront plus embarquer à destination du Sénégal sans un test Covid négatif délivré’’, prévient le Dr Ndiaye.

De l’avis de l’épidémiologiste, Professeur Massamba Diouf, la baisse, selon les chiffres communiqués par le ministère de la Santé et de l’Action Sociale, est due essentiellement à l’utilisation massive du masque. Car, argumente-t-il, depuis que les Sénégalais ont commencé à le mettre, cela a participé à la baisse des cas de coronavirus.

Selon l’épidémiologiste, un masque porté au bout de 15 jours, un mois, doit faire un effet par rapport à la protection des citoyens. ‘’Cela a été démontré à travers des études scientifiques, notamment une publiée depuis 2003 et qui met en relief l’efficacité de cette protection par rapport aux maladies respiratoires aigües. La deuxième étude que j’ai lue, effectuée en Suède, démontre l’efficacité du port du masque, surtout ceux de type FFP2, chirurgicaux et en tissu. Une autre étude parue en septembre dernier a fait état de l’efficacité des masques en tissu homologués par les sociétés savantes. Pour dire que le port du masque reste un levier sûr pour protéger les populations’’, révèle le Pr. Diouf.

 ‘’Notre organisme répond à un certain niveau d’immunité’’

 L’autre élément évoqué par l’épidémiologiste, c’est la jeunesse de la population. ‘’Tout le monde sait que nous avons une population jeune, qui résiste beaucoup plus à la maladie. Cette frange est le souvent plus asymptomatique. Il a été aussi démontré que les patients asymptomatiques ne transmettent pas la maladie en tant que telle. C’est un aspect fondamental à souligner qu’il faudra mettre sous le compte de la baisse drastique des cas de coronavirus dans les pays africains. Vous aurez compris que c’est une tendance globale qui concerne tous les pays d’Afrique subsaharienne’’.

Pour les autres éléments, il précise qu’il n’y a pas encore de preuves scientifiques qui le fondent à dire que le virus a muté ou qu’il a perdu de sa virulence. A son avis, il n’y a pas de facteurs qui lui permettent de faire une appréciation scientifique. ‘’Pour les masques de protection, je sais au moins que cela a été documenté. Pareil pour l’âge de la population. Il y a également un dernier élément : c’est l’immunité croisée. Je préfère ça que de parler d’immunité collective.

Les populations africaines peuvent avoir dans leur organisme des anticorps qui peuvent lutter contre beaucoup de pathologies. Nous avons souvent une enfance qui rime avec beaucoup de maladies développées. Nous avons connu la rougeole, la coqueluche et beaucoup d’autres maladies respiratoires, digestives, parasitaires. Ce qui fait que, finalement, notre organisme répond à un certain niveau d’immunité qui lui permet de faire face à d’autres pathologies qui peuvent l’anéantir. Donc ça, c’est un avantage certain et réel que nous pouvons évoquer à chaque instant’’, précise le Pr. Diouf.

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TEDROS ADHANOM GHEBREYESUS, DIRECTEUR GENERAL DE L’OMS

‘’On n’en sait pas assez sur l’immunité à la Covid-19’’

 L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde sur la faisabilité de l’immunité collective comme moyen de lutte contre la pandémie du coronavirus.

‘’Laisser libre cours à un virus dangereux dont nous ne comprenons pas tout, est tout simplement contraire à l’éthique. Ce n’est pas une option’’, a déclaré le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’une conférence de presse virtuelle depuis Genève.

Selon lui, il y a eu des discussions sur le concept d’atteindre une prétendue "immunité collective" en laissant le virus se propager. Il a relevé que l’immunité collective est obtenue en protégeant les personnes contre un virus, et non en les exposant à celui-ci. ‘’Jamais dans l’histoire de la santé publique, l’immunité collective n’a été utilisée comme stratégie pour répondre à une épidémie, encore moins à une pandémie. C’est scientifiquement et éthiquement problématique. L’immunité de groupe est un concept utilisé pour la vaccination, dans lequel une population peut être protégée contre un certain virus, si un seuil de vaccination est atteint’’, détaille le chef de l’OMS.

L’autre bémol relevé par l’agence onusienne est qu’on n’en sait pas assez sur l’immunité à la Covid-19. ‘’La plupart des personnes infectées par le virus développent une réponse immunitaire au cours des premières semaines. Mais nous ne savons pas si cette réponse est forte ou durable, ni si elle diffère d’une personne à l’autre. Des personnes infectées par la Covid-19 ont été infectées une seconde fois‘’, rappelle le Dr Tedros.

Pour justifier ses réserves sur l’immunité collective, l’OMS estime que l’on commence seulement à comprendre l’impact à long terme sur la santé des personnes atteintes de Covid-19. Le  Dr Tedros indique avoir rencontré des groupes de patients souffrant de ce qui est maintenant décrit comme une "longue Covid" (Covid chronique) pour comprendre leur souffrance et leurs besoins afin de pouvoir faire avancer la recherche et la réhabilitation.

De l’avis de l’OMS, laisser la Covid-19 circuler sans contrôle signifie donc permettre des infections, des souffrances et des décès inutiles. Par exemple, l’immunité collective contre la rougeole exige qu’environ 95 % d’une population soit vaccinée. Les 5 % restants seront protégés par le fait que la rougeole ne se propagera pas parmi les personnes vaccinées. Pour la polio, l’OMS estime que le seuil est d’environ 80 %. De plus, les enquêtes de séroprévalence suggèrent que, dans la plupart des pays, moins de 10 % de la population a été infectée. Bien que les personnes et celles souffrant de maladies sous-jacentes soient les plus exposées au risque de maladie grave et de décès, elles ne sont pas les seules à être menacées. Car, précise le Dr Tedros, des personnes de tous âges sont mortes.

Cette mise en garde de l’agence onusienne intervient alors qu’il est constaté dans le monde une hausse du nombre de cas de Covid-19, en particulier en Europe et en Amérique, et une baisse en Afrique. Selon l’OMS, près de 70 % de tous les cas de Covi-19 signalés dans le monde, la semaine dernière, provenaient de 10 pays. Près de la moitié de tous les cas provenaient de trois pays seulement, relève l’OMS sans les citer. En même temps, ‘’nous devons nous rappeler qu’il s’agit d’une pandémie inégale. Les pays ont réagi différemment et ont été touchés différemment. Pour chaque pays qui connaît une augmentation, il y en a beaucoup d’autres qui ont réussi à prévenir ou à contrôler la transmission généralisée avec des mesures éprouvées’’, souligne le chef de l’OMS.

VIVIANE DIATTA

 

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