Macky Sall, le Roi Soleil sénégalais

Le président Macky Sall a procédé à un lifting de son gouvernement. Avec le député Théodore Chérif Monteil, le responsable de la société civile analyse les contours du nouvel attelage gouvernemental, la propension du président de la République à briser tous ceux qui brillent dans son entourage. Décryptage !
Mercredi 28 octobre, lors du dernier Conseil des ministres du gouvernement sortant, il avait donné le ton. Montrant qu’au sein de la République, c’est lui la seule constance. Tous les autres ne sont que des variables. Sans aucun égard, il venait de lâcher sur la tête de ses pauvres collaborateurs la bombe du remaniement ministériel et qu’il se séparerait de quelques-uns de ses hommes. Voilà ce à quoi ressemble le président de la République Macky Sall : un leader froid, qui agit sans état d’âme.
Cette fois, ses victimes ont pour noms : Amadou Ba (ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur), Mouhamadou Makhtar Cissé (ministre du Pétrole et des Energies), Aly Ngouille Ndiaye (ministre de l’Intérieur), Oumar Youm (ministre des Transports terrestres, des Infrastructures et du Désenclavement), Aminata Touré (présidente du Conseil économique, social et environnemental)… Bref, tous ceux qui avaient la ‘’malchance’’ de briller autour du président, le tout-puissant.
Cependant, il s’est employé à respecter certains équilibres régionaux, confessionnels... Quand, il sort Makhtar Cissé, il introduit Oumar Sarr un autre responsable du Walo. Quand Amadou Ba saute, c’est une proche de la famille omarienne, Aissata Tall Sall, qui entre dans le gouvernement. A noter qu’aussi, il y a très peu de technocrates dans le nouvel attelage gouvernemental. Hormis la géologue Gladima Siby, on cherche.
Député à l’Assemblée nationale, membre de la majorité présidentielle, Théodore Chérif Monteil dissèque les contours du nouvel attelage gouvernemental : ‘’Du point de vue de l’avancement du Sénégal, je ne vois aucune pertinence dans ce remaniement. Rien n’a changé, en réalité. Ce sont les mêmes ministres qui reviennent. On a juste enlevé des ténors, dont le seul tort serait d’avoir des ambitions. Maintenant, au Sénégal, on a l’impression que personne n’a le droit d’avoir des ambitions. C’est comme si cette question relevait d’un tabou dans l’espace présidentiel…’’
Monteil d’ajouter : ‘’Je pense que, quand on a la trempe de Makhtar Cissé, d’Amadou Ba, d’Aminata Touré… c’est tout à fait naturel, après tout ce parcours, de faire face aux Sénégalais et d’être des forces de proposition. Où est le problème ? Il faudra que ces gens prennent leur destin entre leurs mains. S’ils ont le courage de s’affirmer, ils peuvent bâtir quelque chose. Reste à savoir qu’est-ce qu’ils ont à proposer.’’
‘’L’Etat, c’est moi’’
Ainsi, l’ambition présidentielle serait principalement de créer le désert aussi bien autour qu’en face de lui. Cassant quelques-uns de ses collaborateurs réputés être des plus brillants, cooptant certains responsables de l’opposition.
Au président de Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) Africa, Elimane Haby Kane, Macky Sall rappelle tout simplement Louis XIV, surnommé le ‘’Roi Soleil’’. Il explique : ‘’Ce dernier disait : ‘l’Etat, c’est moi.’ Macky Sall montre que l’Etat, c’est lui. Regardez le manque d’élégance avec lequel il s’est séparé de ses anciens collaborateurs. Il est le Roi Soleil. Pour lui, tout le reste, c’est du beurre. Et comme du beurre, sous le soleil, ils sont appelés à fondre. Il veut rester le seul maitre à bord, le président inamovible. C’est par ce même principe qu’il gère son parti. Après plus de sept ans au pouvoir, le parti n’est toujours pas structuré.’’
Pendant qu’il se séparait de ses collaborateurs des premières ou de la dernière heure, le président de la République faisait les yeux doux à certaines franges de l’opposition, notamment le Rewmi et l’aile dissidente du parti démocratique sénégalais. Selon Monteil, c’était une suite prévisible du dialogue politique qui n’est rien d’autre qu’un complot contre le peuple sénégalais. ‘’Le dialogue politique, dit-il, c’est un complot politique. C’est un certain nombre de formations qui s’enferment pour comploter sur le dos du peuple. Outre la volonté de ne pas organiser des élections avant 2024, nous constatons que le deal dont on a toujours parlé est là (deal entre Macky et Idy). Mais bon… Le peuple sénégalais sera là, toujours mature et debout pour dire non à tous les complots’’.
En effet, alors que certains observateurs voient en l’alliance Idy-Macky une volonté de casser de l’opposant politique en le discréditant, Monteil pense le contraire. ‘’Quand on veut anéantir un adversaire politique, on ne le nomme pas. Surtout un adversaire de la trempe d’Idrissa Seck. C’est quand même la quatrième personnalité de l’Etat. Ce n’est pas n’importe quoi. C’est pour en faire un allié de taille qui, demain, pourrait le défendre’’..
Quand Macky s’entoure d’ex du PDS
Ce qui est sûr, c’est que l’un des partis qui ont le plus perdu de ces nouveaux jeux d’alliance, c’est l’Alliance pour la République. Outre Aminata Touré et Oumar Youm (militants de la première heure), Aly Ngouille Ndiaye (allié de la première heure), Mahammad Boun Abdallah Dionne, Makhtar Cissé et Amadou Ba (responsables de premier rang), Macky Sall avait déjà écarté d’autres responsables comme Mbaye Ndiaye, Cissé Lo, Alioune Badara Cissé, pour ne citer que ceux-là. En leurs lieux et places, on note plutôt une entrée en force des libéraux sauf le PDS.
Ce qui est fort dommage, selon le président de l’Union citoyenne Bunt Bi. Il en veut pour exemple : ‘’Prendre une institution aussi importante que le Cese (Conseil économique, social et environnemental) et en faire l’objet de négociations politiques, pour moi, c’est extrêmement dangereux. Le Cese, il faut le dire, avait pris une pente très intéressante, avec la production de rapports, notamment sur le pétrole, la gestion de la Covid, la santé, l’éducation… Il y a beaucoup de rapports qui ont été produits et déposés sur la table du président et qui auraient pu servir de sujets à réflexion et d’impulsion de prise de décision. Mettre un allié qui permet d’ouvrir des perspectives qui ne sont que politiciennes, c’est manquer de respect aux Sénégalais’’.
En ce qui concerne ses anciens collaborateurs, Macky n’a pas fait que s’en débarrasser après usage. Il leur colle un homme de main qui aura eu le mérite d’avoir réalisé son rêve contre ses opposants les plus sérieux jusqu’alors, en l’occurrence Karim Wade et Khalifa Sall. C’est du moins la conviction d’Elimane H. Kane qui revient sur la nomination de Félix Antoine Diome.
‘’Cette nomination n’est pas fortuite. C’est lui qui gérait les biens mal acquis. Il a des dossiers sur tous les acteurs. Et récemment, quand Macky imposait les déclarations de patrimoine, il avait déjà fait des enquêtes. Il sait ce que valent ses collaborateurs. Il les connait bien. Le gars va veiller au grain pour les tenir en respect’’, analyse le responsable de la société civile.
Le peuple, le grand oublié
Mais où sont donc les préoccupations des Sénégalais dans tout ça ? Pour le leader de Legs Africa, il ne faut pas se leurrer. Le président Sall n’est là que pour ses intérêts individuels. ‘’Il a montré que ce qui l’intéresse, c’est moins le peuple que lui-même, sa carrière et comment s’éterniser au pouvoir. Regardez combien le contexte est dramatique, avec tous ces jeunes qui meurent dans des conditions atroces, qui laissent derrière des familles dans la précarité absolue… Aucune once de compassion du président de la République. Même pas une déclaration. Il se contente de posts que lui font ses community managers sur les réseaux sociaux. Comment on peut être aussi insensible à un drame de cette nature ?’’.
Et d’ajouter : ‘’Ce qui intéresse le président de la République, c’est comment perdurer au pouvoir. Il veut concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Non seulement la Constitution le lui permet, mais il utilise aussi sa tactique politique pour faire des coups de force sur la démocratie, imposer sa propre volonté à tout un peuple, écraser tous ses adversaires, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur. Le cap est fixé pour 2024. La manière avec laquelle il traite ceux qui ont des ambitions, montre qu’il ne veut pas être gêné.’’
A en croire M. Kane, le président Sall a raté une belle occasion de montrer qu’il a entendu les cris de détresse de son peuple, de sa jeunesse en désespérance. ‘’Il faut savoir que 70 % de la population a moins de 35 ans. Si ces jeunes sont dans le désespoir total au point d’envisager des aventures aussi dangereuses et que le président ne peut même pas compatir, c’est dramatique. Au contraire, c’est le moment qu’il choisit pour faire de la diversion. C’est regrettable’’.
Ainsi, estime-t-il, Macky Sall donne l’air d’un président qui n’écoute pas son peuple. Il en veut pour preuve le maintien de certains profils que d’aucuns mettaient sur le départ. ‘’Cela montre que le président est insensible aux doléances et préoccupations de son peuple. Voilà des gens qui ont soulevé le tollé à cause de la mauvaise gestion des secteurs qui leur sont confiés. C’est le cas du ministre de l’Environnement, de la Justice qui a créé une situation de crise sans précédent dans le système judiciaire sénégalais… Cela veut dire que le président veux signifier : ‘Je fais ce que je veux. Peu importe ce qu’en pense le peuple’. C’est regrettable’’.
LAMINE BA, PRESIDENT DES CADRES LIBERAUX ‘’Les lignes sont claires maintenant’’ Interpellé sur le nouvel attelage gouvernemental, le président de la Fédération nationale des cadres libéraux estime que le PDS n’a aucun commentaire particulier à faire. ‘’Je ne suis ni satisfait ni surpris. Je ne m’attendais à rien du tout par rapport à la formation de ce gouvernement. Je fais partie de ceux qui pensent que Macky Sall n’a plus de solutions pour le Sénégal et je m’évertue à le remplacer démocratiquement, pour apporter une alternative crédible face aux problèmes des Sénégalais’’. Pour lui, les choses ont au moins le mérite d’être claires maintenant. ‘’Ce qu’il faut retenir, c’est que les lignes sont claires. On sait qui est avec Macky Sall et qui n’est pas avec lui. Maintenant, à ceux qui sont contre le régime en place de s’organiser pour constituer une alternative crédible à même de remettre le Sénégal sur la voie du développement et de la démocratie’’. Selon Lamine Ba, le régime actuel, en huit ans, a montré ses limites. ‘’Les problèmes s’amplifient, la misère est encore là. Il n’y a plus rien à faire. Qu’il termine son mandat et qu’il remette le pays sur la voie démocratique. C’est tout ce qu’on attend de lui’’, clame le patron des cadres libéraux. Par rapport à l’entrée de son ex-frère libéral Oumar Sarr dans le gouvernement, il déclare : ‘’Oumar Sarr a quitté le parti suite au refus du secrétaire général d’aller à un dialogue. Aujourd’hui, l’histoire montre qu’il était le seul à savoir pourquoi dialoguer.’’ Quant à l’entrée de Rewmi dans le gouvernement et le statut du chef de l’opposition, il affirme : ‘’On a jamais disputé avec Idrissa Seck quoi que ce soit. Qu’il rentre dans le gouvernement ou non, cela ne nous regarde pas. Pour ce qui est du statut de l’opposition, nous avons dit que cela ne nous intéresse pas, compte tenu de la situation difficile que traverse le pays. S’il y a des privilèges, que cela soit utilisé dans le cadre de la gestion de la pandémie.’’ |
MOR AMAR