Alioune Badara Diongue, la voix qui tente de convaincre
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Persuadé que le secteur de l’agriculture, au sens large, peut aider à fixer les jeunes sur leur terroir, Alioune Badara Diongue, titulaire d’un Master II en ressources humaines, monnaye son talent dans les champs et veut convaincre ses pairs à le rejoindre, mais aussi à surseoir à leur périple ‘’mortel’’ vers l’Espagne.
Le développement n’est pas une course olympique, disait le natif de Toma et historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, dans son ouvrage ‘’A quand l’Afrique ?’’. La réussite, également, n’est pas une course de vitesse, au risque de mettre en danger sa propre vie et anéantir l’espoir de ses parents. Cette assertion colle bien à la philosophie du jeune producteur Alioune Badara Diongue.
Il y a quelques années, ce jeune Rufisquois, qui venait fraichement d’être promu directeur des ressources humaines dans une entreprise de la place, avait démissionné de son poste. Par cet acte, le jeune cadre de l’Administration avait pris un risque majeur. Pour lui, il fallait partir, quel qu’en soit le prix. Prendre son destin en main ou encore travailler à son compte était son leitmotiv.
Aujourd’hui, il exploite 27 ha dont 10 à Gorom et 17 dans la commune de Diender. Des surfaces destinées aux exploitations familiales. Spécialisé dans la production avicole, laitière et maraîchère, l’ancien pensionnaire du lycée moderne de Rufisque où il obtint son Baccalauréat en 2009, dit gagner ‘’dignement et honnêtement sa vie, tout en restant au Sénégal’’. Il ne quitte le pays pour se rendre en Europe que dans le cadre de son boulot, dit-il. D’après le président du Collège des jeunes du CNCR, ses camarades n’ont pas besoin de gagner le vieux continent via les ‘’embarcations de la mort’’. Car, précise-t-il, l’Europe n’est plus ce continent qu’on enviait. L’eldorado, c’est son propre pays, mais pas celui de l’autre.
‘’Je me suis rendu dans ces pays. Je sais ce qui se passe là-bas. Je sais que demander aux jeunes de rester dans leur pays dans ce contexte si difficile, peut être mal interprété par mes pairs. Mais je prends mon engagement et mes responsabilités pour leur demander de rester ici. Il n’est pas question qu’on les laisse partir. Ils peuvent rester, travailler et réussir dans ce pays. C’est bien possible. Et je suis un exemple. Le pays compte sur sa jeunesse. Il faut que mes camarades le comprennent’’, insiste Alioune Badara Diongue, rappelant qu’il ne reste plus rien en Europe.
Il prenait part, hier, à un atelier national sur le thème ‘’Jeunesse rurale et opportunités d’insertion-installation dans le secteur sylvo-pastoral et halieutique’’. Cette rencontre de trois jours, à l’initiative du Collège des jeunes du CNCR, a vu la participation de plusieurs acteurs qui s’activent dans l’agriculture (élevage, producteurs maraîchers…) et venus de différentes régions du pays.
‘’Mon papa n’a jamais eu de bulletin de salaire’’
Né le 25 octobre 1988 à Gorom, en zone rurale, dans un univers paysan, le chargé de formation des jeunes au niveau du Réseau des producteurs ouest-africains (Ropa) a accepté d’abord de se faire former. Le jeune Alioune Badara, devenu aujourd’hui producteur, a toujours rêvé de créer son entreprise. Une volonté entrepreneuriale développée depuis sa tendre enfance. D’ailleurs, c’est ce qui explique son choix d’intégrer l’Institut de formation en administration et création d'entreprise (Iface), un démembrement de la faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Avec la résurgence du phénomène de l’émigration clandestine, il invite les jeunes à le rejoindre dans les champs. Car persuadé que l’agriculture reste la seule alternative pour une jeunesse désespérée.
‘’En tout cas moi, je suis du monde rural et je veux retourner dans le monde rural. C’est pour cette raison que j’ai décidé de partir des bureaux pour me lancer dans l’agriculture. J’ai fermé les yeux et pris le risque de partir. Mon papa n’a jamais eu de bulletin de salaire. Très tôt, j’ai été cadre. Je pouvais profiter de cette posture. Mais je sais que l’entrepreneuriat n’est pas comparable aux postes salariaux. Je demande tout simplement aux jeunes d’abandonner leur rêve et d’aller s’occuper des exploitations familiales pour assurer la relève et la sécurité alimentaire dans ce pays’’, poursuit-il.
De plus, Alioune Badara Diongue affirme que c’est bien possible de réussir dans son propre pays. Il appelle davantage les jeunes à s’investir dans les métiers agro-sylvo-pastoraux afin d’impulser une dynamique de réussite pour eux-mêmes et soulager les parents.
GAUSTIN DIATTA (THIES)