Les jeunes à l’assaut des mairies
Dans l’histoire récente du Sénégal, lorsque les jeunes s’impliquent dans la gestion politique du pays, cela n’est jamais de tout repos. Après la contestation et les luttes démocratiques, de plus en plus ambitionnent d’intégrer les instances de décision. Et ce, en briguant les municipalités de leurs collectivités.
Ils sont dans toutes les bouches. Dans l’opposition politique ou au sein du pouvoir en place, toutes les stratégies sont mises en place pour les séduire. Eux, ce sont les jeunes. Depuis les évènements tragiques du 3 au 8 mars 2021, ils se sont fait entendre par l’élite dirigeante du pays. Si l’arrestation d’Ousmane Sonko a été l’étincelle qui a mis le feu aux frustrations tues par la jeunesse, une partie de cette composante sociale compte utiliser des moyens plus conventionnels pour s’offrir des perspectives plus reluisantes. A un peu plus de sept mois de la date officielle des élections locales (janvier 2022), beaucoup de jeunes se lancent à l’assaut des mairies. Après la manière forte, c’est désormais à travers les urnes qu’une jeunesse « consciente » tentera de faire bouger les lignes.
A 36, Willy Ndao, Mamadou à l’état civil, va tenter de séduire sa communauté. Golf-Sud, à Guédiawaye. Sa campagne communicationnelle a déjà commencé sur les réseaux sociaux. « Je me présenterai aux élections municipales de 2022 pour devenir le Maire de la commune de Golf-Sud. Et vous ? » peut-on lire sur une affiche de campagne, sur sa page Facebook. Ce graphiste et photographe de métier, directeur artistique dans une agence de communication, n’est pas un fin politicien, « au sens usuel du terme ».
A force de partager ses positions sur les faits marquants du pays, et d’engagements dans beaucoup d'associations à caractère social, les « fiascos politiques concernant la gestion du pays » ont poussé le formateur en arts graphiques à s’impliquer davantage. « Nous ne voulons plus être des spectateurs, laissant les autres décider à notre place. Partant de ce constant, il devient primordial d'avoir plus de jeunes qui participent à la vie politique, avec six valeurs essentielles : la citoyenneté, le patriotisme, l'écoute, la participation, la communication et l'action. Je suis persuadé que le développement de ce pays passera par une jeunesse engagée, courageuse et incorruptible », conscientise Willy.
« On doit s'intéresser à la gestion de la chose publique, nous présenter aux élections et convaincre les citoyens de voter pour nous ».
Pour le communiquant, il est temps que la jeunesse sénégalaise s’assume davantage, à travers différentes manières d’engagement civiques, sociaux et politiques. L’important, pour lui, est de ne plus se limiter à critiquer et/ou voter seulement. Mieux, « on doit s'intéresser à la gestion de la chose publique, nous présenter aux élections et convaincre les citoyens de voter pour nous. C'est bien possible, parce que les jeunes sont idéalistes et créatifs. Encourager les jeunes à s'engager et à contribuer au développement local ne serait que bénéfique », assure-t-il.
Charité bien ordonnée commençant par soi, le futur candidat à la mairie de Golf-Sud entend amorcer son apport à la gestion des affaires publiques par sa commune. Celle qui l’a vu grandir, faire ses humanités, dont il a arpenté chaque rue et ruelle : « je connais personnellement ses réalités, ses maux et ses aspirations ». Raison pour laquelle, informe-t-il, « je ne me présente pas pour être un maire de vaines promesses, mais pour être un maire de proximité capable de faire le discernement entre l'urgent et l'important, et d'apporter des solutions spécifiques. Étant plus jeune, dans mes nombreuses activités associatives pour le développement de Golf-Sud, j'ai toujours défendu l'idée qu'un maire est jugé sur ses réalisations et son bilan. Je reste donc convaincu qu'un maire n'a pas d'autres choix que de servir son lieu d'établissement, avec la plus grande efficacité. »
Jeunesse et politique : un mélange explosif
L’implication des jeunes dans la vie politique du Sénégal n’est pas un phénomène récent. L’histoire sociopolitique sénégalaise est parsemée d’épisodes de mobilisation des jeunes au cours desquels ils ont exprimé, par des formes violentes, par l’art ou par le discours des formes de défiance, de contestation et de dissidence vis-à-vis du pouvoir politique notamment. Dans un article publié en 2017, intitulé « De Bul Faale à y’en a marre: Continuités et dissonances dans les dynamiques de contestation sociopolitique et d’affirmation citoyenne chez les jeunes au Sénégal », le Pr Mamadou Dimé du Département de sociologie de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, l’explique : « C’est le cas du phénomène Bul Faale (en wolof, « t’en fais pas ») dans les années quatre-vingt-dix où la jeunesse urbaine a posé des actes de dissidence politique et sociale grâce au puissant instrument de dénonciation sociopolitique qu’est le rap. C’est aussi le cas à la fin des années 2000 où les jeunes ont violemment contesté le régime du président Abdoulaye Wade. Le mouvement Y’en a marre a joué un rôle crucial dans cette contestation, en cherchant notamment à susciter, à capter et à instrumentaliser la colère juvénile qui s’est extériorisée au cours des années 2011 et 2012 ».
Les manifestations violentes de mars dernier ont-t-elles amorcé une répétition de l’histoire ? Le président de la République a vu le danger. Depuis, l’opération séduction a été lancée. 450 milliards de francs CFA ont été annoncés pour tenter de lutter contre le chômage des jeunes. Un conseil présidentiel pour l’emploi des jeunes a été tenu. Et le processus de recrutement de 6 500 enseignants a été enclenché par les pouvoirs publics. A moyen terme, c’est la création de plus de 200 000 emplois qui a été annoncée.
A la différence de 2012, la contestation de 2021 est arrivée trois années avant la date officielle d’organisation des prochaines élections présidentielles. Et avant même la tenue des élections locales et législatives. Deux raisons suffisantes pour amener les jeunes à explorer d’autres pistes ?
Du sang neuf, des idées nouvelles
A l’image de Willy, Pape Mouhamed Al amine Ciss a déclaré sa candidature à la mairie de Guinaw Rail (Pikine). De même que Mouhamed Moriba Cissokho, la trentaine, à l’assaut de la commune de Diamniadio. D’aucune organisation politique, sa conception de la chose politique est que « la place du jeune, c’est de participer à la construction de la collectivité, de la nation. Elle n’est pas à être utilisée pour faire le plein des salles ou des meetings, puis placé au banc de touche. Je m’engage à gérer la collectivité de Diamniadio, parce que j’estime qu’il est grand temps de rompre avec les anciennes pratiques qui consistent à laisser la pratique politique qu’aux adultes ou retraités. Je compte participer aux prises de décision, être la voix et la ferveur de la jeunesse dans l’espace municipal ».
Le jeune citoyen reste marqué par plusieurs difficultés que traverse sa commune : spoliations foncières, non prises en compte des politiques de jeunesse, manque d’infrastructures, absence de politiques entrepreneuriales, etc. « En étant candidat, assure-t-il, nous comptons impulser du sang neuf, des idées nouvelles dans l’élaboration et dans la mise en œuvre des décisions politiques et des suivis ». Mais d’ici le 23 janvier 2022, le temps est encore long. Et beaucoup de choses peuvent encore changer. Un temps que ces nouveaux « politiciens » comptent utiliser pour passer du virtuel au réel.
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3QUESTIONS AU DR OUSMANE BA, SOCIOLOGUE, ENSEIGNANT CHERCHEUR A L’UNIVERSITE CHEKH ANTA DIOP
L’intérêt politique des jeunes est en adéquation avec leur nombre dans la population
Ces derniers temps, nous constatons un intérêt plus prononcé des jeunes pour les postes électifs. Après l’annonce de la date officielle des élections locales (23 janvier 2022), quelques-uns commencent à annoncer leur candidature dans leurs communes ? Comment analyser cette situation ?
On assiste, actuellement, à un renouvellement de la classe politique sénégalaise. Depuis 2012, nous remarquons un rajeunissement des acteurs politiques. Et c’est une adéquation avec l’évolution de la population sénégalaise qui est composée de jeunes à près de 70 %. En second lieu, les élections locales sont des joutes communautaires. On peut être investi par un parti politique. Mais également par un mouvement, une coalition quelconque, une organisation de la société civile, etc. L’avènement d’Ousmane Sonko dans le champ politique, avec les résultats qu’il a obtenus, lors de la dernière élection présidentielle (Troisième avec 14 % des suffrages exprimés), fait miroiter une partie de la jeunesse qui s’est rendu compte qu’il était possible de bousculer les hiérarchies et d’occuper les postes électifs.
Beaucoup de ces jeunes n’ont aucune expérience politique. La plupart n’appartiennent à aucun parti. Peuvent-ils avoir des chances d’atteindre leurs objectifs, si l’on connaît la complexité de gagner des élections locales ?
On ne naît pas avec l’expérience. Et dans les partis politiques, il n’y a pas eu cet accompagnement des jeunes par les « anciens » pour occuper les appareils d’Etat. Mais aujourd’hui, les jeunes qui s’intéressent à la chose politique sont de plus en plus formés. Ils ont des qualifications, des compétences qu’ils intègrent dans les partis politiques. L’on peut prendre l’exemple d’un Malick Noel Seck que feu Ousmane Tanor Dieng avait intégré au parti socialiste, sans qu’il n’ait fait ses gammes en politique. Aujourd’hui, il y a des jeunes qui trainent avec des Doctorats, des Masters en poche. Ils se rendent comptent que leur insertion professionnelle serait plus facile, en intégrant les partis politiques. Ces jeunes sont faciles à accompagner. Il suffit d’un petit apprentissage pour qu’ils s’imprègnent de la chose politique.
Souvent, ces jeunes disposent d’une notoriété sur les réseaux sociaux. Mais dans la réalité du terrain politique, cela peut-il les servir ?
Il faut connaître les réceptacles sur lesquels les Sénégalais votent. Ce n’est qu’une question de catégorie sociale. Certains votent par affinité, par appartenance géographique, etc. On se rappelle même du phénomène « Djibo Ka peul bou rafète » (Djibo Ka, le beau peul) dans les années 98, lors duquel des gens ont voté pour lui, parce qu’il était simplement beau. Des gens ont voté par une appartenance genre. Donc, les hommes politiques ont toujours besoin d’un appareil d’appartenance. Les jeunes ont compris que les réseaux sociaux constituent une porte ouverte à la mobilisation. L’on sait que les sondages politiques sont interdits. Mais, avec les réseaux sociaux, l’on peut avoir un baromètre avec le nombre de vues et les appréciations dans les commentaires.
Lamine Diouf