Comme un effet boomerang…
Le 23 juin, le M23 s’est livré à un ‘’sound test’’ sur la capacité de ses instruments à mobiliser comme au temps jadis. Il a dû se rendre à l’évidence : la sonorisation s’est encrassée et le son du militantisme mobilisateur qui fit reculer Abdoulaye Wade en 2011, ne traverse plus les murs.
Du M23 historique, il ne reste plus grand-chose, sinon que le souvenir d’une épopée héroïque et des querelles d’héritage.
Le 23 juin 2011, un certain Macky Sall et ses lieutenants d’hier, étaient sur les barricades, s’opposant à une réforme constitutionnelle qui eût permis à son mentor de naguère de briguer un troisième mandat. Aujourd’hui, le ‘’Che’’ des tribunes de la contestation est au pouvoir et ses nouveaux adversaires, dont beaucoup furent de la foule de 2011, lui contestent l’héritage de l’idéal démocratique et de la vertu d’alternance dont il fut le parangon.
Normal : ses velléités de troisième mandat, exprimées dans l’ambiguïté d’un silence trop assourdissant, juste troublé par les ballons d’essai subtilement lancés pour prendre le pouls de l’opinion, le mettent, dans l’imaginaire national, en porte-à-faux avec les principes qu’il prétendait incarner en privant, dix ans plus tôt, le ‘’Gorgui’’ national de l’ultime mandat dont il caressait ses rêves déraisonnables de patriarche gâteux.
Et donc, deux manifestations, ce 23 juin, pour illustrer, d’un côté, la virginité du M23 historique dans la continuité de ses valeurs originelles, de l’autre, la mue de ce mouvement historique en force de rejet d’un courant d’imposture dont la réalité actuelle n’a plus rien à voir avec la source matricielle qui fit sa réputation.
D’un côté, la place de la Nation avec ses cacophonies comiques ; de l’autre, les HLM Grand-Yoff, choisis par le M2D, avec ses espaces populeux de bal poussière politique. D’un côté, le passé avec ses illusions nostalgiques et chimériques de réincarnation ; de l’autre, le présent ambitieux d’une transfiguration qui pourrait refaire l’histoire.
Pour les uns, la célébration du dixième anniversaire d’un mouvement dont l’esprit est resté ‘’intact’’ et qui a ‘’consolidé la démocratie’’ ; pour les autres, l’occasion idéale pour conspuer ceux qui ont ‘’dévoyé l’esprit du 23 juin’’.
Deux manifestations pour une date. Ce qui illustre bien le Sénégal d’aujourd’hui ; divisé jusqu’aux racines de ce qui l’unit : le principe démocratique. Défendu hier, jusque dans l’exaltation, par des slogans définitivement inscrits dans les mémoires ; ’’Touche pas à ma Constitution !’’, ‘’Libérez le peuple !’’.
Aujourd’hui il n’en reste plus rien, hormis les velléités de rempiler plus ou moins exprimées par ceux qui, aujourd’hui, ont quitté les barricades et les tonneaux pour les bureaux feutrés de la République, et l’opportunisme des opposants nouveaux qui voudraient jouer aujourd’hui le rôle que les précédents jouèrent naguère.
Alors, aux HLM Grand-Yoff, le M2D, que l’opposant Ousmane Sonko voudrait bien récupérer pour en faire sa rampe de lancement pour 2024, a entonné le ‘’la’’ du ‘’non à un troisième mandat’’ pour Macky Sall et garanti, le cas échéant, une foule plus nombreuse encore dans la rue qu’en 2011. Tout un programme…
Mais le Mouvement de défense de la démocratie (M2D) né en mars dernier, à la faveur des affaires de culotte ayant donné lieu à l’enclenchement d’une procédure judiciaire visant Ousmane Sonko, a du plomb dans l’aile. S’il a conservé son pouvoir de mobilisation, sa rhétorique s’est attiédie dans les lieux communs, ce qui donne la lassante impression d’une conviction éteinte, d’un affaissement programmé. Ousmane Sonko, qui a compris qu’il court en 2024 une chance historique de conquête du pouvoir, ne se lasse pas d’en alimenter l’argumentaire par des substrats nouveaux, mais qui deviennent trop vite routiniers. Mais sa décision est ferme d’opérer une OPA sur ce mouvement et de rééditer en 2024, l’épopée glorieuse de 2011, dans la même configuration.
En amont de toute cette orchestration préélectorale, Macky Sall, qui entretien ‘’jouissivement’’ le flou sur ses ambitions, semble goûter le spectacle et reçoit ces signaux comme autant de baromètres d’une popularité que l’on disait évaporée dans la fièvre des colères de mars qui faillirent lui coûter son trône.
Aussi, affûte-t-il ses armes dans le silence et conjure, dans la stratégie du guet, la réédition annoncée de la liesse déstabilisatrice de 2011 qui le viserait cette fois-ci. Comme un effet boomerang.
Mais il n’a pas la science infuse ; son pouvoir dont l’omnipotence a des limites, est aussi loin d’être omniscient. Et même si le M2D n’apparait de plus en plus que comme une étoile filante à l’instar de celui qui s’est résolu à en convoiter la direction, la probabilité est là d’un mouvement populaire dont on ne connait peut-être pas tout à fait les contours, mais dont la puissance peut être telle, à la veille des consultations de 2024, que l’idée même d’un troisième mandat lui paraitrait à lui-même aussi folle que suicidaire. Et ce mouvement est peut-être déjà en gestation, à la périphérie de ces mouvements épars qui s’étiolent dans des mobilisations déstructurées et qui peinent à se donner du contenu.