“Basta des sommets sur l’Afrique en dehors des villes et villages du Continent !’’
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En marge du Sommet Afrique-France, qui se tient aujourd’hui et demain à Montpellier, le Conseiller spécial du Collectif pour le renouveau africain (CORA), l’écrivain tchadien Koulsy Lamko, crache ses vérités, dans EnQuête, contre le Sommet, Emmanuel Macron et ceux qu’il considère comme des complices du Président français qui transigent sur le dos du Continent.
Qui est Koulsy Lamko ?
Un gose, héritier de la tradition des poètes chansonniers de mon village. Je suis écrivain dramaturge et universitaire. Je suis panafricain, kamit ou comme les mbay le disent de-kil C’est-à-dire, personnellement, l’adhésion à un mode de pensée et d’existence et d’action qui place l’Afrique au centre de mes préoccupations… D’aucuns préciseraient tout cela par le vocable afrocentricité. Je n’ai jamais travaillé en m’enfermant dans les chaînes définies de la spécialisation. Je chante, j’écris, je partage des cours avec les plus jeunes, j’écris ou joue du théâtre quand il me semble que c’est nécessaire pour transmettre, mais je travaille aussi dans des communautés, je participe aux débats politiques et intellectuels au-delà et sur le continent où j’ai vécu dans cinq pays différents et dont j’ai découvert une bonne vingtaine, lors de voyages documentés… Je suis directeur de Hankili So Africa, Mexique et membre de CORA (Collectif pour le Renouveau Africain).
La France organise le "nouveau sommet Afrique France", du 8 au 9 octobre, avec plusieurs innovations. N'est-ce pas là une volonté de rompre d'avec certaines vieilles pratiques décriées ?
France-Afrique, Afrique-France, c’est comme qui dirait blanc bonnet, bonnet blanc. A priori, ces messes où se construisent et se délivrent les injonctions les plus diverses, les traquenards à la longue si grossiers que seuls les bonnes gens dupes et crédules s’y laisseraient arracher un bout de peau de l’orteil, refusent désormais de faire sens. Tant les humiliations qu’y vivent les responsables d’états africains et nous les peuples, par ricochet, nous fragilisent davantage... Sankara y était allé une fois, pour leur dire qu’il n’y reviendrait plus jamais !
Pourquoi votre organisation n’a pas jugé utile de participer au sommet et comment comptez-vous marquer votre désaccord ?
CORA n’y a pas été invité. Pour ce que nous sommes ; pour ce que nous disons et faisons dans le quotidien de nos luttes ! Et puis si l’on nous y avait conviés, nous ne nous y serions pas précipités. Par pure logique. Ya basta ! des sommets sur l’Afrique, en dehors des villages et villes du continent : l’Afrique ! Ces hordes de responsables politiques africains que l’on voit de temps à autres, dans des processions hauts en couleurs, vestes-cravates et grands boubous amidonnés, à la queue leu leu comme des fourmis magnans migrants, se précipiter dans les sommets de France, les sommets de Chine, de Japon, de Russie, etc. insultent l’intelligence des peuples du continent et nient nos capacités quant à nous retrouver, entre nous pour discuter de nos problèmes nous-mêmes et proposer des solutions pour les résoudre. Il y a toujours dans ces rencontres quelque chose qui tient de l’imposture et du déjà vu, par notre histoire marquée par la forfaiture de Berlin où nous étions aux abonnés absents, quelque chose de troublant, parce que maintenant nous participons nous-mêmes à la forfaiture, quelque chose d’indécent et d’indigne quant à déconsidérer le génie de nos peuples et la capacité à inventer nos présents et nos futurs. L’on trompette que c’est pour aller tendre la sébile du continent mendiant ! L’on en revient avec force annonces de dettes qui nous attachent solidement aux poteaux de nos créanciers et pour les siècles des siècles !
‘’Nous y sommes, à Montpellier, mais contre le sommet pour dire notre désapprobation, notre indignation et notre colère.’’
Que l’on ne s’y méprenne pas cependant ! Nous y sommes, à Montpellier, mais contre le sommet pour dire notre désapprobation, notre indignation et notre colère. Quitte à nous inscrire dans un certain paradoxe, nous avons rassemblé dans le cadre d’un ouvrage collectif de chercheurs, écrivains, journalistes et militants, des gens dont l’engagement éprouvé jette un pavé lourd depuis le lointain sur les aqueducs. De Brazzaville à Montpellier, regards critiques sur le néocolonialisme français est paru le 2 septembre 2021 sous la direction de Amy Niang, Lionel Zevounou, Ndongo Samba Sylla et moi-même.
N'était-ce pas plus judicieux d’y aller et de défendre ce que vous pensez être les véritables problèmes de l'Afrique ?
Vous savez, ce qui parfois nous bloque dans nos élans ; c’est d’être toujours appelés à réagir par rapport aux agendas que nous fixent les autres. On nous agit ; on nous distrait constamment ; on nous ballotte à tous les vents d’alizé et d’harmattan ; on nous fabrique les guerres les plus sordides, nous devons sans cesse nous défendre. Et jamais nous ne réussissons à passer à l’attaque ; les autres ayant toujours une longueur d’avance sur nous, parce jamais nous ne nous concertons dans un conciliabule secret entre nous-mêmes pour procéder ensemble à la définition et à l’exigence de notre monde d’africains libres, souverains et dignes. CORA s’inscrit dans la rupture comme préalable à l’autonomie et à la souveraineté, et non dans les révisions réformistes que prônent les démiurges illuminés et missionnaires qui prétendent relayer la lutte des peuples dont ils traitent les véritables porteurs de lumpen-radicalisme.
Pendant que vous avez choisi le boycott, d’autres personnalités de la société civile africaine et du monde universitaire, comme Achille Mbembe, Souleymane Bachir Diagne, se trouvent au cœur de l’organisation du sommet. Est-ce que cette division de l’élite ne va pas fragiliser davantage le mouvement panafricaniste et le développement du continent ?
Nous n’avons pas choisi le boycott. Nous avons d’autres chats à fouetter que de nous intéresser à un sommet de plus et dont nous savons en toute âme et conscience que la rencontre sera montagne à accoucher d’une souris. Nous nous serions tus simplement ! Et le Djoliba continuerait son chemin. Cependant, il y a des silences qui, dans l’épaisseur de leur tissu, racontent une maladroite bienveillance, une complicité sourde. Parfois le non-choix devient un choix, c’est pourquoi nous avons plié le voile et abandonné le timon pour refuser ouvertement la forfaiture. Parce que parfois, il n’y a que l’intransigeance qui rend digne, surtout lorsqu’il s’agit d’Afrique, celle-là qui a besoin de notre intransigeance ! Surtout quand tant d’autres transigent sur son dos ! Ce n’est pas que nous soyons partisans d’une bataille de silex contre de bonnes âmes d’érudits et de démiurges rassemblés autour de Macron. Et puis nous n’avons pas de dessein de tailler des croupières à quiconque.
Mais ce qui choque à propos de ce sommet c’est cette espèce de spectacularisation de l’obscène qui y bat son plein : une longue genèse, les reports dont on pensait qu’il déboucherait à la limite sur une annulation, la longue annonciation et l’épiphanie marquée tambour battant par des festivités artistiques et culturelles. Bref, quelque chose de bien performatif s’y imprime depuis un moment ; le casting des protagonistes que l’on prend le soin de choisir et de revêtir de chasubles de missionnaires, la note d’intention du spectacle déclinée à tous les vents des radios et télé ; l’évangile de l’amour et de la paix proclamée, et cet élan prosélyte qui parcourt veines et artères de nos capitales, avec ses ateliers et cliniques de réajustement de la pensée, ses colloques et mini-sommets, ses rapports inédits, et rapports sur les inédits… Un spectacle son et lumière pour vendre le continent aux enchères du mondialisme néolibéral !
Quel enseignement tiré de la mise à l’écart des chefs d’Etat dans le cadre du nouveau sommet ?
On leur a trouvé des bouffons de substitution, des marionnettes intelligentes, celles de l’ère des NTIC et de l’intelligence artificielle ! Il faut varier les spectacles, surtout lorsque les acteurs habituels n’amusent plus vraiment la galerie ! Imaginons un instant, que les fils Bongo ou Eyadema ou Deby organisent à Lambaréné à Aneho ou Sarh, un sommet France-Afrique où les gilets jaunes présenteraient un plan de restructuration de la France décadente. On se tâterait bien les tripes de rires ! Mais ce serait là la véritable révolution des peuples opprimés en lutte contre le système-monde !
Pouvez-vous revenir sur les grands axes de votre livre et le message principal véhiculé ?
Vous me voyez ravi par le nombre de participants et la qualité des articles. Cet effort est à la mesure de la vitalité politique et intellectuelle de l'Afrique et nous raconte une fois de plus que nous ne sommes pas, et nous n'avons jamais été, un peuple socialement mort et condamné par la nécropolitique françafricaine, comme certains veulent nous le faire croire. Vous devinez aisément que nous ne nous sommes pas contentés de stigmatiser la tenue de ce sommet et d’en rechercher les tenants et aboutissants a priori louches compte tenu de la spectacularisation qui l’accompagne. Nous avons voulu également rappeler les faits saillants de la mémoire du continent pour nous enraciner dans la conscience historique qu’ils peuvent véhiculer, les faits concrets et têtus. Et justifier ou légitimer nos réactions et analyses. Nous autres n’avons pas déclaré la caducité de l’oiseau Sankofa. Il aurait été très court d’en demeurer aux analyses richement et rigoureusement conduits, sans cette incursion dans des projections vers nos futurs à construire… des propositions d’organisation collectives concertées et de lutte véritable pour l’autonomie, etc.
‘’Un malaise profond s’est emparé de l’Empire’’
Cinq axes agglomèrent les articles. Le premier regroupe les textes qui évoquent directement le sommet. Et disent le malaise profond qui s’est emparé de l’Empire qui ne s’encombre plus de retenue. Le second traite de la continuité de l’Empire, sa permanence, ses métamorphoses, le continuum idéologique qui le caractérise avec ses discours les mêmes et différents à la fois… De là vient Brazzaville. Ensuite le chapitre sur l’actualité de la Françafrique rappelle et démontre, à partir des points importants de notre souveraineté, la prégnance de leur actualité et l’effet sur les peuples aujourd’hui : le difficile requiem du colonialisme monétaire, les accords militaires et leur effet néfaste sur notre souveraineté, l’invariance des modèles néocoloniaux qui se transposent ou se reproduisent ad vitam aeternam. La quatrième partie touche aux problématiques liées à la diplomatie et aux relations internationales et questions relatives à l’écostratégie et la géopolitique, au cœur desquels se plante le continent. Et enfin, l’ouvrage rassemble dans son dernier chapitre des textes sous la forme du dialogue ou de l’interview et qui disent sans gants la nécessité des ruptures avec le néocolonialisme.
L’actualité reste dominée par les crises dans la sous-région ouest-africaine et au-delà, avec les coups d’Etat au Mali, en Guinée et au Tchad, le péril djihadiste… Quel est le rôle de la France dans ces crises ?
Vous pourriez juste me demander quel n’est pas son rôle, sa responsabilité dans la crise ? Parlons-en ! La civilisation de criquets pèlerins et sauterelles ! L’Empire n’a jamais eu ni état d’âme, ni éthique ; sinon il n’en serait pas un. A priori, la France continue de reproduire à grande échelle sa forme d’organisation médiévale, la seule d’ailleurs qu’elle connaît, avec ses violences conquérantes, ses razzias militaires, ses rapines et stratégies de spoliation, ses autodafés, ses duchés, ses marquis, ses axes de bien et du mal… Le féodalisme est la forme supérieure d’organisation politique qu’elle connaît. L’État jacobin centralisateur assimilationniste n'en est qu’une certaine traduction. Nous sommes parties de l’Empire hélas.
Quid de la responsabilité des gouvernants africains ?
Je voudrais juste considérer le cas d’Idriss Deby pour ne pas tomber dans une généralisation outrancière. Chaque cas est un spécimen, même si la majorité est issue de la même farine. Après toutes les spéculations sur sa mort violente… La première responsabilité incombe à Idriss Deby lui-même. Quoi que l’on dise, la mort n’absout pas le tyran qui a maintenu son peuple pendant trente ans dans la misère violente et le dénuement complet. A mon avis, tout s’inscrit dans la motivation originelle qui conduit un individu à la prise du pouvoir et aux alliances que l’on noue pour y arriver. Seule la volonté authentique des peuples devrait légitimer le fait que l’on s’y maintienne aussi longtemps. Nous vivons une époque où le politique est émasculé, castré ou excisé ; ce sont les pouvoirs de la finance qui adoubent et installent la plupart des dirigeants et leaders politiques. L’incartade, la désobéissance par rapport aux ordres et injonctions des pouvoirs occultes qui ont installé et légitimé l’occupant du palais (même par des mascarades d’élections) vient signer soit même son arrêt de mort. Jus d’orange pressé, peau d’orange jetée. A se référer aux discours d’Idriss Déby peu avant sa mort, il y avait un ton prémonitoire. L’on tombe des nues lorsque l’on peut entendre un chef d’Etat dire sur une chaîne télé, ‘’moi je suis fatigué d’exercer cette charge ; je voulais partir il y a plusieurs années ; c’est la France qui m’a obligé à rester au pouvoir !’’
Quelle est la position du CORA sur les accords de défense qui lient généralement la France à beaucoup d’Etats africains francophones ?
De qui et de quoi donc la France a-t-elle vocation de nous défendre ? De nous-mêmes ? En fait, la présence de toutes ces bases militaires, ces dispositifs sécuritaires spéciaux, ces armées étrangères qui encerclent le continent comme aux temps des comptoirs de la maafa et du yovoda, qu’ils soient français, américains, chinois, japonais, russes ou autres, nous rappelle simplement que nous sommes des territoires colonisés et sous occupation militaire. On pourrait se demander pourquoi les autres nous aimeraient tant comme si nous étions des galettes et au point de risquer autant d’armement et de soldats sur nos terres pour nous défendre ! Nous sommes juste un champ de bataille, un territoire sécuritaire pour les autres et où se déroule une compétition géostratégique et économique féroce d’anciennes et nouvelles puissances.
La réciprocité serait que nous ayons des bases africaines à Nantes et Bordeaux pour éviter de nouveaux départs de bateaux négriers, chez les inuits en Alaska, à Wuhan en Chine, sur la mer d’Aral ou à Sotchi, à Koweit ou à Oklahoma city. CORA milite pour la libération totale de l’Afrique. Cela passe par le combat pour les souverainetés militaire, territoriale, monétaire, alimentaire, économique ; l’autonomie de la pensée, d’action et d’organisation, bref tout ce qui garantirait de la dignité dans nos prises de décisions par rapport au continent. Le Manifeste est éloquent à ce sujet : ‘’le collectif se fait l’écho du désir profond et inébranlable de millions d’Africains du continent et de la diaspora de rompre avec les orthodoxies dominantes, un préalable en vue de repenser le continent sous un jour différent et d’oser un nouvel avenir commun’’.
L’Afrique pourrait-elle sortir de ce guêpier du néocolonialisme ? Comment ?
Il me sera prétentieux d’essayer d’épiloguer sur un programme de Renaissance de l’Afrique en l’espace de notre entretien… L’ouvrage que nous présentons regorge de propositions réfléchies, argumentées, audacieuses. Ce dont j’ai l’intime conviction c’est que pour que nous nous en sortions, et cela à l’instar du credo de Ngugi wa Thiong’o, de Boubacar Boris Diop et de bien des membres actifs de CORA, nous devons retrouver le sens de nos conciliables secrets. Cela passe par la reconquête de nos langues et territoires de pensées.
C’est quoi le panafricanisme selon vous ?
Croire en l’Afrique. Nous savons que les héritages linguistiques coloniaux nous ont divisés en anglophones, francophones, lusophones, avec des contradictions structurelles difficiles mais pas impossible à surmonter. Cependant, nous savons aussi que Cheikh Anta Diop a démontré l’unité culturelle. Pour les panafricains, que nous sommes, l’Afrique est une ; l’unité de l’Afrique est devant elle, elle fait partie de l’utopie réalisable et de la construction idéologique que nous impose la maat. Le kamit ou de-kil dans mon cas, inclut toujours et doit chercher l’équilibre dans l’ordre du monde. Ce qui implique l’idéal de justice, de vérité, de dignité, de solidarité, l’éthique à rechercher, même si l’on n’y parvient pas toujours. Nous n’acceptons pas que les frontières artificielles des pays d’Afrique définies et construites par les Européens en trois nuits sur une table ronde, depuis la conférence de Berlin, nous séparent par l’éternité. Et qu’en outre, l’on nous impose toujours au niveau politique ou géostratégique le ‘’diviser pour mieux régner’’. Nous devons refuser la fatalité coloniale pour résister, construire cette « Afrique une » et conquérir collectivement nos souverainetés.
Je conclurais avec ces mots inspirés du jeune frère Yann Gwet. ‘’Beaucoup réduisent le panafricanisme à sa nécessaire dimension pratique (liberté de circulation entre pays...) Or celui-ci devrait d’abord être une fraternité. Le panafricanisme affirme que les frontières sont un artifice historique. Elles délimitent des territoires mais ne définissent pas les peuples. Ce qui nous définit, c’est l’appartenance à la terre d’Afrique. Partant de là, s’il y a des histoires particulières, il y a d’abord une Histoire ; s’il y a des mémoires particulières, il y a d’abord une Mémoire ; s’il y a des émotions particulières, il y a d’abord une Emotion. Et donc être panafricain, c’est avant tout s’approprier toute l’histoire du continent. C’est être rwandais chaque année au mois d’avril.’’
Que représente Thomas Sankara pour vous ?
C’est un kamit, un vrai avec tout ce que cela implique : le génie créateur libéré, l’exigence de la probité, du sens de la lutte juste et solidaire, cette éthique qui place le bon sens au-dessus de toutes considérations spéculatives, la solidarité active, le désir d’oser inventer l’avenir. Revisitez le discours d’Addis Abeba de Sankara en 1986. C’est un condensé incontournable du programme de la Renaissance de l'Afrique. Sankara construit en nous une pyramide géante qui inspirera des centaines de générations. J’ai eu le bonheur de consacrer à sa mémoire une pièce de théâtre en 1987, l’album musical Bir ki mbo en 1997 et une caravane coorganisée avec Odile Sankara et la famille en 2007. Vivement le procès de ses assassins qui s’ouvre enfin dans une petite semaine, ce 11 octobre à Ouagadougou ! Que justice soit rendue !
Comment voyez-vous l’avenir de votre pays, le Tchad avec la mort de Déby ?
La politique coloniale de la France au Tchad n’a presque pas varié depuis un siècle. Le Tchad est au cœur du dispositif militaire françafricain. Cet immense pays au centre du continent, au carrefour entre les populations de culture arabo islamique et négro-africaines, est une aubaine sur le plan géostratégique. Du Tchad, l’on surveille l’Afrique d’est en ouest, du nord au sud du Sahara. On en a fait un camp militaire de l’Hexagone. Le pays est placé sous le regard permanent du Ministère français de la Défense et des services secrets français de la DGSE, auxquels se sont récemment joints d’autres comme ceux du MOSSAD et de la CIA. Comme ses prédécesseurs à la tête de l’Etat Français, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité du système françafricain, avec un style plus jeune, plus décomplexé, mais certainement aussi cynique que les autres. Les décisions prises à ce niveau-là du pouvoir, ne le sont pas de manière légère et précipitée pour que se dédire aussitôt soit crédible. Elles ont été muries longuement et préalablement, dans diverses officines.
Macron a donné blanc-seing au Conseil Militaire de Transition, mais aussi apporté l’aide militaire et logistique pour décimer la colonne de rebelles et préserver ce qu’il appelle la stabilité et l’intégrité du Tchad. Il l’a promis pendant son discours de requiem de Deby. Appeler du bout des lèvres moins d’une semaine après à une transition pacifique, démocratique, inclusive, et non pour un plan de succession, ne trompe personne. On est habitué au double discours hypocrite et du “en même temps” des responsables français. En sous-mains, ses services diplomatiques travaillent pour morceler l’opposition et affaiblir les organisations qui refusent l’imposition du Conseil Militaire de Transition. Il faut dire que les libertés du peuple tchadien ont été confisquées très tôt, juste quelques années après les indépendances avec l’imposition et la promotion du parti unique. Tous les régimes qui se sont succédé ont régné par la terreur et le musèlement des masses populaires….
Mon pays, un peuple formidable qui a épuisé ses capacités de résilience et qui veut enfin commencer à vivre libre et digne. La nation n’est pas encore née, les manguiers et les dattiers sont en fleur ; il faudra la construire. Il faudra pour cela s’asseoir tous, asseoir la parole pour se dire la vérité sans peur, juger au besoin les voleurs et les criminels, s’inventer un nouveau modèle de gestion politique inspiré par les nécessités et l’envie de vivre ensemble, rompre avec les démons du colonialisme et de la Françafrique. Parfois l’on se prend à rêver que cela soit possible. Parfois, l’on voit planer comme une ombre lourde, le spectre de la résignation et du chaos dont on sent les prémices à travers les répressions violentes qu’exercent le Conseil Militaire de Transition et son gouvernement contre les manifestants pacifiques, les imprécisions ambiguës et conniventes que trainent les rapports de l’Union Africaine, les visites empressées des tentacules de la pieuvre néocoloniale.
La Françafrique a tout le temps de dérouler ses réseaux et l’on placera sans doute le Tchad sous le parrainage d’un autre pays françafricain comme le Niger ou le Togo qui aidera à conforter le régime du fils Déby. Ce ne sera pas la première ; déjà son père, pendant ses premières années de pouvoir avait été parrainé par les bons et loyaux services des missionnaires de Blaise Compaoré du Burkina Faso. En Françafrique, l’histoire souvent bafouille...
Mor AMAR