Publié le 8 Mar 2022 - 21:39
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Le maître des circonstances 

 

Au pas de charge, Macky Sall aura successivement bouclé, les lundi 27 et mercredi 29 décembre, l'inauguration du premier TER ouest-africain et la réception du deuxième appareil A330 Neo de la compagnie Air Sénégal SA. S'il ne peut être le maître du temps, il entend l'être des circonstances. Le temps n'est pas nécessairement contre lui, mais il va vite. Les élections locales ne sont plus que dans quelques jours et le maître des circonstances sait qu'il faut marquer les esprits par des symboliques fortes pour gagner la sympathie, fût-elle tardive, des citoyens ordinaires qui font l'électorat.

Ce sont des anonymes : le fonctionnaire qui ne perd plus des heures dans les embouteillages tentaculaires de l'enfer des transports publics classiques ; le parent qui, à moindres frais, fait revenir en famille sa progéniture de Washington à Dakar dans un aéronef confortable aux couleurs d'un Sénégal qui fleure bon le Niokolo-Koba. Et ces anonymes sont la multitude, contrairement à ce qu'essaye de distiller une opposition "rabat-joie" et des économistes encaqués dans la tyrannie technocratique de l'instant.  Ainsi, l'on a pu entendre que sur l'autel du TER et de l'Airbus, l'on a sacrifié le mieux-être des populations en 2022 : les denrées alimentaires vont flamber et les factures aussi. Le mantra de la faillite de l'Etat, ressort inexorablement : celui-ci serait si endetté qu'il ne peut plus emprunter. Cataclysme.

Alors, oui, ces splendeurs de la mégalomanie présidentielle n'auraient été créées que pour les riches ; la vendeuse de poissons qui fait le parcours Dakar - Thiaroye et vice-versa, n'y a pas sa place, pas plus d'ailleurs que le désespéré qui ne connait de l'avion que le bruit que fait son moteur quand il fend le ciel et qui se jette à la mer dans des embarcations de mort, pour rejoindre un Occident impossible.

Le TER n'a-t-il pas mis en colère des milliers d'expropriés qui réclament plusieurs millions d'euros d'indemnisations à l'Etat sénégalais, qui dit avoir satisfait à ses obligations ?

"Investissements trop lourds", a-t-on entendu, n’impactent pas la vie des "pauvres" qui d'ailleurs, n'utiliseraient pas ces transports...

Mais le maitre des circonstances sait l'impact de ces symboliques et du nombre de souffrances ou d'inconforts qu'elles allègent. 2022 est là et au-delà, 2024. Il ne trompe plus personne par ses silences. Le rythme qu'il imprime à son action, parle pour lui. Entre deux inaugurations de chrysanthèmes, il passe la serpillière pour aseptiser son bilan et afficher le QR code moral de son autorité : Cheikh Amadou Tidiane Sal est balayé du Service du protocole présidentiel, sans qu'aucune raison officielle ait été prononcée. Mais l'on subodore des remugles peu protocolaires...

Dans quelques semaines maintenant, il nommera un Premier ministre, sans doute issu de sa coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) qu'il veut victorieuse au soir des consultations du 23 janvier 2022, pour se redonner une légitimité de gouvernance. Car il sait à quel point ces consultations locales en constituent le test majeur. De leur issue, dépendra sa décision finale. Il ne poursuivra pas la gestion d'un pouvoir en goguette, d'une majorité qui, de fait, ne le serait plus en cas de débâcle.

Mais pour l'heure, il croit en la victoire des siens. Il a décidé de réinvestir tous les maires sortants de la coalition BBY aux élections locales, quoi qu'il en coûte pour éviter les frustrations et maximiser les chances sur les réussites acquises et la cohérence des stratégies.

Alors, oui, il nommera un Premier ministre qui, en cas de victoire aux Locales, devra donner du relief à la victoire en organisant une politique de dernière ligne droite dont la mission essentielle sera de positiver le bilan au maximum, et quoi qu'il en coûte à l'État, et d'arrimer cette mécanique de séduction basée sur les résultats, au moteur de conquête de 2024.

C'est si limpide que ça en devient banal. La doxa présidentielle pèche peut-être par trop de clarté, mais elle est efficace. On sent, ces derniers jours, l'opposition moins offensive, se limitant à ses traditionnels anathèmes si récurrents qu'ils en deviennent inaudibles. Une opposition morne et triste, enlisée dans ses propres déboires, souvent judiciaires. Dans ses contradictions aussi.

Pendant ce temps, Macky Sall, reprenant du poil de la bête après une saison chaude où il a failli tout perdre,  plane comme jamais. Il prend la présidence de l'Union africaine "à bras-le-corps", bientôt et semble s'élever des trivialités de la politique politicienne où il a quelquefois porté des coups, mais où il en a souvent bien reçu, parfois jusqu’à la dérision. Désormais, un Premier ministre les prendra pour lui et aura à charge d'organiser une victoire qu'il sait désormais possible, contrairement à ce qu'affichent des indicateurs souvent biaisés.

Le maître des circonstances prend du champ. Les heures, elles, s'égrènent, au bruit du moteur Rolls-Royce de l'Airbus 300. Trop audibles, sans doute. Rassurantes pour lui. Assurément.

 

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