Les éclairages du professeur de droit Ibrahima Ndiaye
Les inondations continuent de sévir dans la banlieue dakaroise. À Médina Fass Mbao, une localité de la commune de Mbao, les locataires d'une maison envahie ont décidé de ne plus payer le loyer, face à l’inertie du bailleur. Ibrahima Ndiaye, Professeur de droit, tranche la question, en exposant les prérogatives et devoirs de chacune des parties.
À Médina Fass Mbao, un quartier situé dans la banlieue dakaroise, le torchon brûle entre un bailleur et ses locataires, depuis que l’hivernage s’est installé. Dès les premières pluies, les eaux ont envahi la maison. Aujourd’hui, une odeur nauséabonde empeste la demeure et empêche toute respiration. Les eaux stagnent partout dans la maison, même sous les lits. D’où le désarroi de la maisonnée. Les locataires font tous leurs besoins dans les eaux.
Dès la première forte pluie, ils ont contacté le propriétaire qui vit à l'étranger, pour lui faire part de la situation. Mais depuis lors, rien n’a été fait pour évacuer l'eau. Ainsi, certains d’entre eux ont décidé de ne pas payer le loyer, tant que les eaux continueront de stagner dans leurs chambres.
Mais Ibrahima Badji, plombier de formation et locataire dans cette maison, à qui le bailleur a confié la garde de la demeure, ne veut rien entendre. Il prévient qu’il ne dira rien à celui qui ne paiera pas le loyer, mais une fois qu’il aura consommé ses deux mois de caution, il sera invité à s’en aller. "Je ne demande à personne de rester. Tous ceux qui le veulent n'ont qu'à partir ailleurs’’, martèle-t-il. Avant de souligner que les inondations sont un phénomène naturel dont personne ne peut rien et que personne ne souhaite que sa maison soit inondée. ‘’C'est une volonté divine. Donc, nous devons l'accepter. Même moi, à qui on a confié la maison, je paie le loyer. Quand il y a un problème, j'essaie de le résoudre. J'ai même contacté le bailleur et il m'a qu'il va acheter une motopompe, même si, depuis lors, rien n’a été fait".
‘’Il y a des événements qui sont maintenant incontrôlables, comme la pluie, les inondations’’
Interpellé sur la question, Ibrahima Ndiaye, Professeur de droit, apporte quelques précisions. Selon lui, il convient de préciser que, dans ce type de relation, le bailleur met une maison dans de bonnes conditions à la disposition d'un locataire qui accepte de payer le montant convenu, comme étant le loyer. Qu’il est, très souvent, stipulé dans les contrats de location que le locataire n'a pas le droit de transformer sans l'autorisation du bailleur. Ce qui fait que, dans le contrat, on met d'abord la nature des transformations qui peuvent être faites. ‘’Ça, c'est pour permettre au bailleur de retrouver son bien immobilier, une fois que le locataire le lui remettra, dans des conditions dans lesquelles le bien a été transmis au locataire", indique M. Ndiaye.
Toutefois, poursuit-il, il y a des clauses de transformation et de remise en état qui peuvent être convenues pour permettre à chacune des parties de tirer le profit maximum du bien immobilier mis en location, sans toutefois porter atteinte aux droits du bailleur et de ceux du locataire de pouvoir jouir comme cela se doit. ‘’L'essentiel, c'est qu'on doit discuter de tout. Le principe, c'est que le bailleur mette à la disposition du locataire un bien immobilier qui est apte à jouissance. Toutefois, il y a des événements qui sont maintenant incontrôlables. Par exemple, la pluie, les inondations, entre autres, qui constituent d'abord des événements qui sont imprévisibles, ensuite imparables et irrésistibles. Ça veut dire que : vous voyez au niveau des Almadies des maisons qui ont coûté des milliards qui sont carrément inondées’’.
Le professeur Ibrahima Ndiaye explique : ‘’Quand cela arrive, on considère que ce sont des événements qui se sont produits, malgré la volonté du bailleur et du locataire. Il faudra, quand cela arrive, que les deux parties se rapprochent et que le bailleur fasse tout son possible pour remettre la maison en état, dans la mesure où l'inondation n'est pas due au locataire. Et que, très certainement, si la maison avait été bâtie d'une certaine manière, il n'y aurait pas une possibilité d'inondation, parce qu'il y a des quartiers où vous voyez une maison qui est inondée et une autre maison, à 10 ou 15 m, qui ne l'est pas. Ça dépend tout simplement de la façon dont la construction a été faite.’’
Toutefois, dit-il, cela ne doit pas amener le locataire à dire qu'il ne paie pas le loyer de ce mois-là, parce qu'il y a eu une inondation dans la maison. "Le contrat de location est signé et dans tout contrat signé, il y a des obligations qui sont réciproques pour les différentes parties signataires. L'obligation principale pour le bailleur, c'est de mettre à la disposition du locataire une maison qui est prête à être habitée. L'obligation du locataire, c'est de verser au bailleur le loyer. Si maintenant, il y a, par exemple, des murs qui se sont fissurés, une inondation ou une installation électrique qui pose des problèmes, il appartient au bailleur de remettre tout ça en état, pour sécuriser le locataire. Mais ça n'a rien avoir avec le paiement du loyer", précise-t-il.
‘’Le locataire ne doit pas bloquer le loyer, il doit aller au tribunal…’’
Par contre, ajoute le professeur de droit, "si vous sentez que le bailleur ne fait rien pour la maison qui est inondée, qui est construite dans un lieu choisi par le bailleur qui, aussi, a décidé de mettre cette maison à la disposition d’un locataire au lieu d'y habiter, on peut comprendre qu’il y a une certaine volonté du bailleur de faire de cette maison-là de ce qu'elle est et ensuite de l'exploiter. Ce qui fait que, quand il y a inondation, il appartiendra au bailleur de remettre la maison en état et de tout faire pour que la maison ne souffre plus de cela et que les locataires, en conséquence, ne puissent plus subséquemment souffrir de cela".
Ainsi, si tout cela n'est pas fait par le bailleur, le Pr. Ndiaye est d’avis que le locataire ne doit pas bloquer le loyer. Il doit verser le loyer, mais, en contrepartie, il doit aller au tribunal pour obliger le bailleur à remettre la maison en état.
Car, d'après ses explications, il faut comprendre que les obligations du bailleur, une fois non respectées, en cas de défaut ou bien d'inondation, n'ont rien à voir avec le loyer qui doit être payé. Parce que, affirme-t-il, le loyer doit être payé, tant que les clés sont entre les mains du locataire. "Mais avant d'aller au tribunal, il lui faut aller chercher un huissier de justice qui se rend sur les lieux et qui constate tout cela et le consigne dans un exploit d’huissier qui pourra lui servir de preuves, une fois au niveau du tribunal", renseigne M. Ndiaye.
Fatima Zahra Diallo (stagiaire)