Les vices congénitaux de la ‘’loi Mimi’’
Frustrée par son éviction de la présidence de l’Assemblée nationale, Aminata Touré n’arrête plus dans sa lutte à mort contre le président de la République Macky Sall. Sa dernière trouvaille, c’est sa proposition de loi destinée à exclure la famille présidentielle de certains postes de responsabilité. Même si le projet et jugé salutaire, la démarche pose problème, selon la plupart des acteurs.
Elle aura réussi, ces derniers jours, à éclipser même l’opposant radical Ousmane Sonko dans le positionnement contre le régime du Président Macky Sall qu’elle a servi avec beaucoup de dévouement pendant 10 ans. Elle, c’est Aminata Touré. Il ne se passe plus une semaine sans la voir au-devant de l’actualité, décochant des flèches destinées directement à son ex-mentor. Quand elle ne s’insurge pas contre le mandat (sur cette question, il faut quand même lui reconnaitre une certaine constance), Mimi dénonce une discrimination contre les femmes dans les médias internationaux ou cible la famille présidentielle pour déverser toute sa bile. Sa dernière trouvaille, c’est la loi sur le conflit d’intérêt diversement apprécié par l’opinion.
A entendre Elimane Haby Kane, président du think tank Legs Africa, c’est comme si la proposition de Mimi a un goût d’inachevé, amer et presque sans saveur, en raison de la démarche inappropriée qui a été adoptée par l’auteure. ‘’La proposition aurait pu être salutaire. Mais, nous avons un sérieux problème avec la démarche, la manière dont la présentation a été faite, tout comme le moment choisi. Des lois, on les fait pour faire progresser une société à travers notamment l’amélioration du cadre juridique de la Gouvernance. On ne saurait dire que c’est le cas avec cette proposition de Mme Aminata Touré. La démarche est plutôt politicienne, crypto-personnelle, découlant d’une frustration qui, me semble-t-il, est mal gérée’’, regrette Monsieur Kane.
Selon Elimane Haby Kane, du fait de cette tare congénitale, la proposition présente pas mal de manquements, aussi bien dans le fond que dans la forme. Le président de Legs Africa d’ajouter : ‘’Quand on lit le texte, on a l’impression qu’il a été fait dans la précipitation. Dans cette précipitation, elle omet même de viser la Constitution qui a érigé la bonne gouvernance comme principe, la loi portant Code de transparence qui est un texte central en la matière… En revanche, elle nous cite la loi de 1981 sur l’enrichissement illicite qui a été désavouée à maintes reprises et certains points posent de sérieux problèmes d’inconstitutionnalité. Même l’objet pose problème, dans la mesure où, on ne vise que des personnes bien spécifiques, alors que la loi doit être générale et impersonnelle. Tout cela conforte simplement le fait qu’elle est plus dans une opposition crypto personnelle qu’autre chose. Et c’est vraiment dommage, parce qu’il y a une vraie nécessité de légiférer dans ce domaine sans excès et sans esprit de vengeance.’’
Une démarche viciée
Alors que les choses sont présentées comme si la dissidente de l’APR en est un précurseur, certains attirent l’attention sur le fait que d’autres acteurs ont eu à faire des propositions beaucoup plus réfléchies, beaucoup plus pertinentes et recevables d’un point de vue purement juridique. Parmi ces acteurs, il y a le Forum civil qui a eu même à faire un avant-projet dans ce sens. Mais leur initiative nettement plus salvatrice n’a pas trouvé grâce auprès des décideurs.
En effet, l'avant-projet de loi sur les conflits d'intérêts que le forum civil avait élaboré vise tous les cas relatifs aux personnes qui occupent des fonctions publiques, tout en étant propriétaire ou actionnaire dans une entreprise privée. Selon certains acteurs, il aurait fallu partir de cet existant pour l’enrichir au besoin, au lieu de se lancer dans des entreprises ‘’politiciennes et crypto-personnelles’’.
A côté de cette proposition du Forum Civil resté en l’état, il y a d’autres textes un peu disparates qui comportent des dispositions relatives au conflit d’intérêt ou situation semblables. Il en est ainsi de la loi sur la fonction publique qui traite des cas d'incompatibilité. Mais, affirme un autre interlocuteur, ‘’ni le projet du forum civil ni la loi sur la fonction publique ne parlent forcément des cas visés par la proposition d’Aminata Touré. Ils pouvaient en revanche constituer des réceptacles à la proposition de Mme Aminata Touré. En tout état de cause, cela mérite un débat national, parce que c’est un vrai problème dans nos pays.’’
Présentement, il n'y a aucune loi qui interdit à ce que le Président puisse nommer ses parents (ascendants comme descendants) frères et sœurs. De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, tous ont eu à impliquer des proches dans la gestion des affaires publiques. Même si cela semble avoir pris davantage d’ampleur sous le règne des deux derniers présidents.
Si la nécessité de légiférer sur la question semble faire l’unanimité, certains estiment qu’il faudra en même temps éviter de piétiner les droits des personnes visées qui sont des citoyens au même titre que les autres Sénégalais. Pour ce faire, il faudrait éviter que l’interdiction soit systématique, veiller également à ce que la loi soit bien encadrée, en cernant les contours de l’interdiction.
‘’Il faut privilégier les compétences sur des considérations subjectives’’
Il résulte des témoignages d’autres acteurs que certains se trompent de combat. Le véritable combat, à leurs yeux, c’est de faire en sorte que le mérite soit le seul critère pour recruter à des fonctions publiques. Interpellé, le directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, déclare : ‘’Il faut surtout mettre en avant les critères comme le mérite et la compétence, pour tout recrutement à des fonctions publiques. Pour moi, c’est l’approche qu’il faut mettre en avant.
Maintenant, si on doit exclure des membres de la famille présidentielle de certains postes, il faut qu’ils aient liens directs avec le Président. On ne peut pas priver à des Sénégalais de compétir à certains postes, s’ils ont les compétences, simplement, parce qu’ils ont des liens de parenté avec le Président. Ce serait injuste.’’ Sur la RFM, le président du Forum du justiciable Babacar Ba, lui, soulevait surtout les obstacles juridiques à la proposition de Mimi. ‘’C’est une proposition qui viole les dispositions de l’article 25 de la Constitution. Celle-ci dit clairement que : ‘chaque citoyen a le droit de travailler et de prétendre à un emploi. Nul ne peut être lésé dans droit au travail en raison de son sexe, de ses origines, de ses choix politiques ou de ses croyances. Je pense que ce serait un précédent dangereux.’’
Mor AMAR