Publié le 2 Nov 2022 - 21:02
ABDOULAYE KOUNDOUL, EX DG SORANO

Le management gagnant

Il est réputé rigoureux et cash. Ce qui lui vaut bien de critiques, des fois. Mais il reste toujours droit dans ses bottes. L’éducation est passée par là. Fils de militaire, il ne replie pas devant la menace et ne se soucie que de l’intérêt général. Il a ainsi pu réussir, aux différents postes de responsabilités qu’il a eu à occuper au ministère de la Culture, des tours de force.

 

Nul n’est irremplaçable, dit-on. Mais, il est clair qu’il y a des hommes et des femmes fort précieux qu’on ne peut substituer. Abdoulaye Koundoul est de ceux-là. L’ex-directeur général du Théâtre national Daniel Sorano s’en va, mais laissera, à coup sûr, un vide qui se ressentira. Même si son  remplaçant a travaillé avec lui pendant les deux années qu’il a passées à Sorano.

En effet, Ousmane Barro Dione, le nouveau directeur, était jusque-là secrétaire général de l’institution. Il a la lourde tâche de continuer le remarquable travail entamé par son prédécesseur. Lequel a hérité, en 2020, d’une infrastructure flétrie, décrépie. Un théâtre moribond, une salle sans lumière, avec des fauteuils aux couleurs défraichies.

Ça a d’ailleurs était le premier grand chantier d’Abdoulaye Koundoul. En effet, en janvier 2021, Daniel Sorano a commencé à changer de visage. L’espace, alors réputé vétuste, est restauré par le nouveau DG à travers une grande opération de maintenance et/ou de rénovation du matériel, mais aussi de nettoiement des lieux. Tout a commencé avec une intervention des sapeurs-pompiers, avec qui M. Koundoul a noué un partenariat. Munis de leur engin d’incendie de 6 000 litres, ils ont nettoyé la poussière qui s’accumulait visiblement dans tous les coins et même sur la façade des murs de Daniel Sorano. 

‘’On s’est retrouvé dans l’esprit de la relance du théâtre. Ça commence par la visibilité, la perception que les gens ont du théâtre. Quand on passe par le boulevard de la République, en regardant le totem délabré, des choses qui s’inclinent, on a l’impression que ce théâtre n’existe plus. Donc, c’est dans le but de donner une nouvelle âme à ce lieu qu’on a entrepris ces choses’’, avait-il expliqué à l’époque. ‘’C’est aussi une question de sécurité sanitaire. Un matériel, il s'entretient. Une maison s'entretient, à plus forte raison un théâtre où l’on abrite des spectacles. Il n’est pas question que les gens viennent dans un établissement recevant du public (ERP) et que le dispositif sécuritaire ne soit pas mis en place. C’est pour cette raison que nous avons noué un partenariat avec les sapeurs-pompiers qui, non seulement nous aident à nettoyer ce bâtiment-là, mais nous conseille aussi concernant le dispositif sécuritaire à mettre en place dans ce théâtre’’, a ajouté M. Koundoul.

Ce qui était plus qu’essentiel, car une telle opération de maintenance de n’est jamais tenue dans le théâtre.  D’ailleurs, témoignait le régisseur de la salle de spectacles, Sidy Ndiaye, ’’je suis là depuis 2007. Donc, j’ai fait 13 ans ici. Je n’ai jamais vu ces genres d’opérations’’.

Tout ceci s’expliquait par une volonté de donner  une nouvelle âme à ces lieux. Dans ce cadre, la salle de spectacles a été relookée et peut aujourd’hui recevoir de grands événements. En outre, les travaux de réhabilitation du bâtiment sont réalisés à 55 %.

Hausse de 40 % des recettes du théâtre

Mais Abdoulaye Koundoul n’a pas fait que mettre à niveau l’infrastructure. Il a pu corriger des catégories pour les agents sous-catégorisés, augmenter les salaires de l’ensemble du personnel et a appliqué de nouvelles dispositions de la Convention collective du commerce relative à l’ancienneté.

Aussi, quelques semaines après sa prise de fonction, le directeur a pu diligenter le versement à l'Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) les montants prélevés sur les salaires des  travailleurs,  entre 1986 et 2009. Grâce à l'intervention du chef de l'État, 93,6 millions F CFA ont été mobilisés, expliquait d’ailleurs M. Koundoul.

Ainsi, 82 anciens pensionnaires du Théâtre national Daniel Sorano ont bénéficié de cette somme versée à l'Ipres. De plus, avec Abdoulaye Koundoul, le théâtre a retrouvé sa vitalité et les différentes compagnies leur dynamisme.

En effet, une exposition de photographies s’est tenue sur les lieux.  C’était en hommage à Harlem Renaissance. Cette exposition a été réalisée en partenariat avec le musée Quai Branly Jacques Chirac et le Théâtre noir de Paris. Il y a eu également le spectacle ‘’Indépendance Tey’’. Un spectacle chorégraphique, musical et théâtral de haute facture avec le ballet national La Linguère, l’Ensemble lyrique traditionnel et la Troupe nationale dramatique déroulé le 3 avril. Pour marquer la Journée mondiale de la danse, le DG a pensé à la tenue d’un panel sur l’avenir des ballets traditionnels face à la montée en puissance des ballets modernes.

Sorano avait également repris les rendez-vous, à la veille de fêtes religieuses comme la Tabaski, la Korité et la Saint-Sylvestre. Un plateau mémorable avec les anciennes chanteuses (divas) autour de l’Ensemble lyrique avec les danseuses du ballet national La Linguère et les comédiens de la Troupe nationale dramatique a été proposé. Il y a eu, dans la même veine, le lancement du programme ‘’Jaar-Jaar ak Jalore’’ qui entre dans le cadre de la célébration du 56e anniversaire de l’inauguration de Sorano et du 61e  anniversaire de la création du ballet national La Linguère’’. La compagnie théâtrale a pu présenter  la grande première de la pièce théâtrale "La mort et l'écuyer du roi" de Wolé Soyinka, Prix Nobel de littérature, et ‘’Raabi’’, une adaptation scénique du roman ‘’La malédiction de Raabi’’ de Moumar Guèye.

Cette reprise de la programmation a permis une hausse de 40 % des recettes du théâtre. Une belle prouesse, serait-on tenté de dire.

Revitalisation de tous les arts

Les artistes de Sorano qui se plaignent souvent de ne pas sortir du pays pour se produire ont pu, ces deux dernières années, participer au Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), au Fespaco au Burkina, au festival Surajkund en Inde.

Ce ne sont que les grandes lignes de ce qu’Abdoulaye Koundoul a pu réaliser à Sorano, entre décembre 2020 et octobre 2022. Ainsi, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, on se doit de lui reconnaître qu’il est compétent et est un travailleur hors pair. En atteste, avant son arrivée à Sorano, le travail abattu à la Direction des Arts.

Alors que certains ne connaissaient pas vraiment les missions de cette direction, il a su, par des actes, les promouvoir et les faire connaître. Ainsi, on a su qu’être directeur des Arts ne signifiait pas seulement représenter le ministre de la Culture à des manifestations ou distribuer des subventions.

En effet, depuis quelques années, les journées mondiales dédiées aux différents arts ont une tout autre allure dans leur organisation. La Journée internationale du théâtre est devenue un moment phare de l’agenda culturel national. Et les artistes sont au cœur de son organisation. ‘’C’est à eux d’organiser cela. Nous ne faisons que les orienter, les épauler et les soutenir financièrement’’, disait, en son temps, M. Koundoul. Un comité est mis en place à cet effet. Il est d’ailleurs devenu le Comité de suivi de la relance du théâtre dirigé par le comédien Kader Diarra. ‘’Abdoulaye Koundoul est un travailleur. Personnellement, j’ai des problèmes avec lui, parce qu’il était trop rigoureux et je lui disais qu’avec les artistes, il faut être souple. Mais après, j’ai compris le pourquoi. C’est vraiment quelqu’un de modeste, d’humble, de sérieux et de très généreux. Il mérite de se retrouver à Sorano. Cela fait 25, voire 30 ans qu’il est dans le milieu, et si toutefois le ministre m’avait demandé mon avis pour la direction de Sorano, je lui aurais suggéré de nommer M. Koundoul. C’est un grand diplomate’’, a d’ailleurs témoigné M. Diarra.

La Journée internationale de la danse est également devenue plus festive, avec un cachet institutionnel et une envergure nationale. Il en est de même de la Fête de la musique. Au cœur de toutes ces initiatives, sont placés les acteurs du secteur. Une démarche inclusive qui a payé à bien des moments. C’est le cas avec les acteurs des cultures urbaines. Après une demande de mise à leur disposition d’un fonds de financement, des rappeurs ont travaillé avec la Direction des Arts pour définir les orientations de ce dernier. Ensemble, ils ont, par conséquent, établi ce qu’on peut appeler des ‘’règles’’ pour une gestion sans ambiguïté des 300 milliards F CFA alloués par l’État. Dans ce cadre, il a été décidé que les acteurs devront présenter des projets sur la base desquels ils seront financés. Un comité de lecture, composé d’experts indépendants et de cadres du ministère de la Culture, était chargé de choisir les projets à soutenir. L’argent est logé au Trésor public et tous les bénéficiaires y vont pour récupérer leurs sous. Ce fonds est sans nul doute le plus verrouillé du ministère de la Culture.

Palmarès glorieux

C’est sous le magistère d’Abdoulaye Koundoul que le Sénégal a remis son premier rapport quadriennal de la Convention 2005 de l’Unesco ; une attente de 10 ans. C’était en 2016, suivi du second en 2020, soumis exactement le 20 juin. C’est sans compter les partenariats qu’il a eu à cœur de développer pour renforcer (ses) réalisations. Il s’agit de la reconduction de la convention avec le Québec, la conférence tenue au Grand Théâtre et qui a consacré le Sénégal comme pays invité d’honneur du Femua, mais aussi la réalisation des plans architecturaux et la signature d’une convention de partenariat avec l’ONG Osiwa, avec à la clé un appui financier de 300 000 dollars. Il y a aussi la réhabilitation de la galerie du Village des arts, en partenariat avec la fondation Sonatel, pour un montant de 60 millions F CFA.

 À ce palmarès glorieux, l’on peut ajouter le texte sur le statut de l’artiste. Le premier du genre dont l’écriture est entamée depuis presque une dizaine d’années. Il y a eu également la relance du Grand Prix du Chef de l’État pour les Arts et les Lettres qui a été une réussite.

Aujourd’hui, M. Koundoul s’en va, M. Dione s’installe. Il devra essayer de briller plus, même s’il ne vient pas du monde la culture, mais de la gestion, et devra s’appuyer sur un secrétaire général docteur ès lettres.

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