‘’Molière au miroir du théâtre arabe et africain’’
Molière est d'actualité et continue à nourrir les œuvres théâtrales et à inspirer les nouvelles générations. Lors de la 23e édition des Journées théâtrales de Carthage (JTC), un colloque a été organisé afin d'échanger des avis et recherches concernant l'influence et la présence du théâtre de Molière sur le théâtre arabe. Ce, à l'occasion de la célébration du 400e anniversaire de la naissance de l'écrivain et surtout du dramaturge français.
Le Théâtre de la Banque nationale agricole (BNA) de la Tunisie a reçu les actes du colloque international "Molière au miroir du théâtre arabe et africain", en marge des Journées théâtrales de Carthage (JTC). Il a été organisé en partenariat avec l'Association tunisienne des critiques du théâtre, et ce, à l'occasion de la célébration du 400e anniversaire de la naissance de l'écrivain et dramaturge français Molière. Il demeure d'actualité et continue à nourrir les oeuvres théâtrales et à inspirer les nouvelles générations, a d’entrée souligné la directrice de la 23e édition des JTC, lors de la première journée du colloque, en présence d'un bon nombre d'hommes de théâtre et d'universitaires.
Molière était écrivain, acteur, metteur en scène et directeur d'une troupe de théâtre. Il a créé la comédie sérieuse, qui a deux fonctions : le divertissement et l'éducation.
Ainsi, le coordinateur du colloque, le Pr Hamdi Hamaïdi, plaçant le colloque dans son contexte, a souligné que cette rencontre est une occasion pour échanger les avis et les recherches concernant l'influence et la présence du théâtre de Molière sur le théâtre arabe, qui est né en simulant le théâtre de Molière au niveau de la traduction comme au niveau de l'adaptation.
Ainsi, il s’agit de faire part des échos de l'impact de l'œuvre moliéresque sur le théâtre arabe et africain. L'universitaire tunisienne Ons Tarbelsi, spécialiste de Molière, a livré une lecture historique des débuts de l'intérêt arabe pour Molière. Elle a passé en revue les différentes œuvres maîtresses et dates clés. Ainsi, elle a mis l'accent sur l'adaptation de Maroun Naccahe de "l'Avare" de Molière qui constitue un point de départ et un repère dans le théâtre arabe, en passant par l'adaptation de la même œuvre quelques années après, en 1872, en Égypte, par Yaacoub Sannouâ et également l'apport d’Othman Jalel, un magistrat de son état, qui a signé l'adaptation de "Médecin malgré lui" et "Le Bourgeois gentilhomme", en les inscrivant dans le contexte égyptien. Cette même œuvre moliéresque a également trouvé de bons échos auprès des hommes de théâtre, faisant l'objet d'une première adaptation par la Troupe du théâtre de la ville de Tunis, sous le nom de "Maréchal". L'universitaire a noté aussi que ‘’L'école des femmes’’ a fait l'objet d'une création à Sidi Bou Said, dans un cercle restreint.
Le chercheur et universitaire marocain Omar Faltat a précisé que Molière est aujourd'hui un patrimoine universel et le début de l'intérêt à ses œuvres au Maroc remonte à 1920, et ce à travers les compagnies de théâtre d'Orient qui ont débarqué pour des représentations au Maroc. ’’Les Français ont été les premiers à présenter Molière au Maroc en langue française, mais la version arabe était connue, par les Marocains, grâce à des compagnies venues de l'Orient, comme la pièce ‘Le malade imaginaire’ et ‘Le médecin malgré lui’’, a-t-il précisé. Et d'ajouter : ‘’’Tartuffe’ est le premier texte traduit de Molière qui a été publié, sachant que la pièce de théâtre qui a connu un grand succès à l'époque a été censurée par les autorités coloniales françaises et c'était une étape décisive dans l'histoire du théâtre marocain.’’
Le chercheur marocain a mis l'accent sur le parcours de deux hommes de théâtre qui ont travaillé beaucoup sur les oeuvres de Molière, à savoir Tayeb Bellaaej et Tayeb Seddiqi qui ont été formés auprès d'André Voisin, artiste français. Ainsi, l'adaptation de ‘’Fourberies de Scapin’’ a connu un grand succès et a été applaudie par la presse française lors de sa présentation en France en 1956, alors qu'elle a été jouée en dialecte marocain. Nommé ‘’Le Molière du Maroc’’, Tayeb Bellaaej a adapté au total une quinzaine d'oeuvres de Molière, d'où la célèbre œuvre ‘’Waleyyou Allah’’, d'après ‘’Tartuffe’’, a expliqué le chercheur marocain.
Un dramaturge qui a traversé des chemins difficiles
S'agissant de Tayeb Sadiqi, il a présenté une série de pièces de théâtre dont la plus célèbre est "Mahjouba", basée sur ‘’L'école des femmes’’, qui ressemble à la pièce ‘’Al-Harraz’’, qui l'a signée après, a précisé Omar Faltat. ‘’Molière était toujours présent dans le parcours et la démarche de Tayeb Sadiqi, d'où la pièce ‘’Molière pour l'amour de l'humanité’’, qui s'inspire de la pièce ‘’Tartuffe’’ et qui a été dédiée à Abdelkader Alloula, victime d'un assassinat terroriste.
La première séance s'est clôturée par une intervention de l'homme de théâtre tunisien Anouar Chaâfi, intitulée ‘’Molière, contemporain et expérimental’’, qui a été une occasion pour rafraîchir les mémoires à travers quelques dates clés. ‘’Lorsque Molière mourut après avoir présenté ‘Le malade imaginaire’, les prêtres ont refusé son enterrement’’, dit-il.
La deuxième séance a été présidée par l'universitaire Hichem Ben Aïssa et le la a été donné par Mohamed El May qui a présenté des informations sur la relation du dramaturge tunisien avec Molière, sur la base de quelques articles et documents. Mohamed El May a souligné que les pièces de Shakespeare étaient connues du public à partir de l'année 1908, y compris la pièce ‘’Othello’’. Shakespeare est arrivé avant Molière en Tunisie et Mohammed Ben Othman et Mohammed Zarrouk ont été les premiers à traduire Molière.
Ainsi, la Tunisie a connu Molière dans les années 1920, selon un article de Hédi Laabidi dans le magazine ‘’Le Monde littéraire’’ et ce, contrairement à ce qu'a dit et écrit Mohammed Al-Saqangi. Et parmi ceux qui ont adopté Molière, Mohamed El-May a mentionné Ameur Tounsi, Noureddine Kasbaoui, Abdelaziz Agrebi, Ahmed Bouliman, Mohamed Zorgati.
L'intervenant a également rappelé qu'un comité a été formé en 1973 pour préparer un festival et ce, à l'initiative de la Fédération tunisienne du théâtre. À cette occasion, l'ambassade de France a décerné un prix à la meilleure œuvre.
L'homme de théâtre tunisien Mohamed Kouka a partagé avec l'assistance quelques fragments de son expérience avec Molière. ‘’J'ai connu Molière au lycée de Khaznadar et il y avait dans le programme un chapitre sur l'histoire de la littérature française et Molière était parmi les écrivains du XVIIe siècle que nous avons découverts et j'ai vu après quelque temps les aventures de Scapin au Théâtre municipal de Tunis’’, dit-il.
À cette époque, le théâtre tunisien tentait d'adapter les œuvres de Molière sans grande connaissance et savoir-faire. Par exemple, ‘’Le médecin malgré lui’’ a été adaptée par Agrebi, avec comme titre ‘’El Koullou min aychoucha’’ et Aly Ben Ayed s'est inspiré du théâtre John Vilar et du théâtre populaire français, et la troupe municipale du théâtre qui, à cette époque, traversait des difficultés, a pu bénéficier de l'intervention directe de Bourguiba, suite à la demande de Wassila Bourguiba. L'intervenant a également noté que ‘’Le Maréchal’ est une œuvre exceptionnelle et un phénomène unique dans le théâtre tunisien’’. Et que le traitement des œuvres de Molière dans le théâtre tunisien est ‘’très superficiel qui s'est contenté de l'aspect comique sans se soucier de sa profondeur intellectuelle’’.
Le chercheur libanais Hicham Zaidan a considéré qu'il y avait plus d'une raison pour que les dramaturges célèbrent la naissance de Molière. ‘’Il est un dramaturge qui a traversé des chemins difficiles et a souffert pour présenter un théâtre qui s'inscrivait dans des préoccupations humaines et n'était pas une glorification de pouvoir, mais une glorification de l'homme tel qu'il était rationnel et éclairant, comme les pièces ‘Tartuffe’ et ‘Don Juan’, que je considère comme l'apogée de ce que Molière a présenté pour mettre à nu l'autorité religieuse et défendre les valeurs de la lumière, la rationalité et la libre pensée, qui font de Molière un écrivain contemporain et un écrivain vivant, des siècles après sa mort, un écrivain universel, intemporel’’, a soutenu Hicham Zaidan.
BABACAR SY SEYE