Le procureur obtient le silence de Hadjibou Soumaré
Déféré au parquet hier, l’ancien premier ministre a été placé sous contrôle judiciaire. S’il retrouve la liberté, il est désormais astreint au secret de l’instruction, inculpé pour ‘’diffamation et diffusion de fausses nouvelles’’.
‘’Je suis un citoyen respectueux des lois du pays. Je suis placé sous contrôle judiciaire. Le juge m’a demandé de ne pas me prononcer sur le dossier, donc je ne le ferai pas.’’ Par ces mots, Hadjibou Soumaré a quitté libre, vendredi, le tribunal de Dakar, après avoir passé une nuit en garde à vue et fait face au juge du 3e cabinet. L’ancien premier ministre sous le régime du président Abdoulaye Wade ne pourra plus se prononcer sur des questions qu’il a soulevées, il y a une semaine, sous peine de retourner dans les liens de la détention. Si son désir fut d’éclairer l’opinion sur un prétendu ‘’don’’ du président de la République à Marine Le Pen, cheffe de file du Rassemblement national (RN, France), le leader du mouvement politique Démocratie et République va désormais se taire sur une polémique qui n’est encore loin de s’éteindre.
Placé en garde à vue, jeudi, après son audition par la brigade de la Sûreté urbaine, sur instruction du procureur de la République, Hadjibou Soumaré sait désormais ce qui lui est reproché. En effet, selon son avocat, Me Adama Gueye, l’ancien président de la commission de l’UEMOA (union économique monétaire ouest africaine) est inculpé pour ‘’diffamation’’ et ‘’diffusion de fausses nouvelles’’.
D’ailleurs, on en sait un peu sur le teneur de son audition. Selon des sources judiciaires, Hadjibou Soumaré s’est réfugié dans des hypothèses, relevant des ‘’questionnements’’, sans verser dans ‘’l'affirmation’’, ni ‘’cité le nom de la présidente du Rassemblement Nationale’’, Marine Le Pen. Interpellé sur le montant qu'il a avancé (7,9 milliards de FCFA) et comment une personnalité politiquement exposée pourrait disposer de ce montant et se soustraire aux procédures douanières et bancaires, le leader de Démocratie et République s’est réfugié derrière ce qu'il appelle des questions.
Ainsi, il rejoint ainsi la longue liste de Sénégalais en disgrâce avec la justice pour des délits d’opinion, comme le journaliste Pape Alé Niang. Son confrère, Pape Ndiaye, encore sous les liens de la détention.
‘’Diffusion de fausses nouvelles’’
Mais c’est sur le champ politique que se développe cette affaire qui n’en a jamais été loin. A l’origine, le leader du mouvement Démocratie et République a posé une série de questions dans une lettre ouverte au président de la République, Macky Sall, dont les sous-entendus font polémique : ‘’Avez-vous donné récemment de l’argent à une personnalité politique française ? Dans l’affirmative, est-ce un montant de 12 millions d’euros, soit environ 7,9 milliards, argent d’un pays catalogué Pays Pauvre Très Endetté. Surtout quand on sait que la haine et le rejet de l’autre, ont toujours été utilisés par le parti, comme véhicule d’une ascension politique ? Lui avez-vous envoyé à l’issue de votre rencontre, une note revêtue de votre sceau ? Si par extraordinaire tout cela était avéré, éclairez le Peuple Sénégalais avoir agi ès qualité de Président de la République du Sénégal ou de Chef de Parti politique et avec quel ARGENT ?’’
Dans son communiqué, en réaction à la sortie de l’ancien premier ministre, le ministre porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofafa, a rejeté et condamné ‘’fermement de telles insinuations, lâches et sans fondement, qui témoignent manifestement d’une volonté maléfique de jeter le discrédit sur la personne du Président de la République, porter atteinte à l’Institution qu’il incarne et nuire aux relations entre le Sénégal et une puissance étrangère’’. Une version désormais confirmée par une proche de l’opposition française. Interrogée hier par RFI, un conseiller de Marine Le Pen dément ‘’formellement’’ le moindre versement du chef d’Etat sénégalais à la responsable du RN et assure, selon le média français, que l’entretien du 18 janvier avec Macky Sall était ‘’exclusivement politique’’.
Un conseiller de Marine Le Pen dément Hadjibou Soumaré
Autour de l’ancien Premier ministre, ses partisans dénoncent de graves reculs démocratiques au Sénégal. Lors d’un point de presse au siège du mouvement politique, Fallou Blaise Diouf a soutenu qu’’on est dans une dictature, alors que le Sénégal n’en est pas une.’’ Le cadre de Démocratie et République ajoute que les accusations visant Hadjibou Soumaré sont légères.
En effet, assure-t-il, ‘’Il a simplement posé des questions concernant la gestion de l’argent public, sans nommer qui que ce soit. En démocratie, c’est un droit. L’État utilise la justice pour régler ses propres comptes.’’
Revenant sur l’audition de l’ancien premier ministre, son camarade militant soutien que contrairement à des informations sur des supposées excuses de Hadjibou Soumaré face aux enquêteurs, ce dernier n’a pas reculé sur les questionnements qu’il a le droit d’avoir et que dans toute République qui se respecte, ‘’il aurait dû être libéré aussitôt après’’.
Une position que partagent de nombreux acteurs politiques et membres de la société civile sénégalaise. Si l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababcar Sall, estime ‘’qu’il est de coutume, dans une démocratie, qu’un citoyen interpelle ses dirigeants, au moyen d’une lettre ouverte’’, Seydi Gassama, directeur exécutif de la section d’Amnesty International (AI) Sénégal, assure que ‘’les charges de diffamation et de diffusion de fausses nouvelles retenues contre l'ancien PM, Cheikh Hadjibou Soumaré, doivent être abandonnées. La justice doit protéger le droit des citoyens d'interpeller leurs dirigeants sur des questions d'intérêt public et de recevoir des réponses.
Lamine Diouf