Publié le 2 Apr 2023 - 00:56
JULES ROMAIN DJIHOUNOUCK (ARTISTE, DANSEUR-CHOREGRAPHE)

‘’ La variété fait la force de l'artiste qui doit être hétérogène’’

 

Jules Romain Djihounouck est un danseur-chorégraphe professionnel qui sort du lot. Il  maîtrise  toutes les danses traditionnelles de son pays. Et il ne cesse de sortir de sa zone de confort pour apprendre et se réinventer, afin de repousser les limites. Entretien avec cet artiste danseur qui ressemble à un intellectuel !

 

Jules Romain Djihounouck, vous êtes danseur, mais vous avez eu à faire des études supérieures. Parlez-nous de votre parcours universitaire.

 J'ai fait  le collège Didier Marie. J'ai eu mon Bac à Samba Linguère de Saint-Louis, région où je suis né et grandi (à Richard Toll). Mes parents sont de la Casamance. Puis, je suis parti à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar où j'ai fait deux ans de droit. J'ai arrêté pour me consacrer à ma carrière artistique en tant que danseur-chorégraphe.

 Pourquoi avez-vous arrêté les études de droit ?

J'ai commencé à danser depuis tout petit avec les danseurs traditionnels, en compagnie des amis de mon grand frère. En 2008, j'ai découvert la danse hip-hop à Saint-Louis, à travers des CD de Michael Jackson. Mes amis et moi, nous nous retrouvions une fois par semaine pour danser de gauche à droite.

J'ai eu mon Bac en 2013. Et suis resté deux ans sans être orienté. Entretemps, je faisais des formations en danse. En 2014, j'ai été sélectionné parmi les seize meilleurs au Sénégal. En 2015, je suis devenu champion. Par la suite, j'ai intégré l'école des Sables où j'ai fait des formations. Vu qu'il y avait un retard au niveau des études, j'étais plus inspiré par la danse que de continuer les études. Donc, je n'ai pas voulu gâcher mon talent. J'ai décidé de devenir danseur et ma famille m'a soutenu en payant les formations. Après, j'ai poursuivi cela en allant au Burkina et à Paris. C'est là où j'ai décidé de ne plus combiner les deux. Parce que ça demande beaucoup de temps de travail. Être artiste, c'est un emploi à temps plein. Le matin, tu travailles sur ton physique et la nuit sur tes projets.

 Qu'est-ce que vous avez appris exactement au Burkina et en France ?

Au Burkina, j'ai appris le waraba, la danse traditionnelle burkinabé, mais aussi la danse contemporaine. En France aussi, j'ai appris la danse contemporaine. Il y avait surtout des échanges. Je suis un danseur qui aime les échanges et la découverte. J'aime combiner beaucoup de danses. D'ailleurs, c'est ce qui m'a poussé à maîtriser toutes les danses traditionnelles au niveau du Sénégal et de faire du break danse, les danses de salon (kizomba, par exemple) et la salsa.

 Est-ce pour un besoin de diversification ?

La variété fait la force de l'artiste qui ne doit être homogène, mais hétérogène. L'artiste doit être prêt et apte à interpréter les événements de la vie. Il doit s'adapter selon les situations. Ce qui est intéressant et magnifique, c'est de voir comment, avec cette diversité, il peut s'identifier. Le 1 % de tout un chacun peut te donner 100 %. C'est ça que j'aime dans l'art. C'est pour cela que je ne me fixe pas de limites. Je préfère diversifier un peu mes horizons en allant regarder des spectacles de slam, de théâtre, de musique, etc. Ça m'inspire en tant que danseur, chorégraphe et créateur.

 Quelles sont les danses traditionnelles que vous maîtrisez ?

Sabar, koumpo, ékongo, wango, et les danses des Peuls, des Diolas, etc., sont un peu innées en moi. En général, on n'apprend pas ça dans des écoles. A l'école des Sables, j'ai appris les douze autres danses traditionnelles du Mali, de la Côte d’Ivoire et du Congo. Ça m'aide dans la création.

Qu'en est-il de la danse sacrée ?

En Casamance, c’est un peu spécifique. Il faut être initié pour pouvoir le faire. Je me suis renseigné. C'est des personnes spécialisées pour la guérison qui ont le droit de danser ça, mais pas un chorégraphe comme moi qui n'est pas dans ce secteur.

Si vous deviez être initié, que se passerait-il ?

Si je décide de danser la danse sacrée, pour la guérison, je vais devenir docteur, par exemple, ou le gardien des bois sacrés. C'est ça la différence avec le Ndeup (danse traditionnelle des Lébous) que tout le monde peut imiter, mais sans connaître le secret de cette danse permettant de pouvoir soigner. Dans les deux cas, c’est ça qui fait la différence entre un guérisseur à travers la danse sacrée et un danseur tout court.

 Pour votre cas, avez-vous appris à danser le Ndeup ?

 À travers la télévision et les documents, on peut parvenir à identifier la danse sacrée, la danse pour les morts et la danse qui soigne. Et en tant que danseur, on se met à l'apprendre. Cela ne veut pas dire qu'à partir de ce moment-là on peut soigner. On peut maîtriser les techniques de la danse, mais sans avoir les mêmes objectifs que celui qui l'utilise pour soigner.

 Vous êtes différent des autres danseurs. Vous avez l'air d'un intellectuel…

(Rire) On me le dit toujours. Surtout quand je porte mes lunettes et que je vais quelque part, les gens sont étonnés lorsque je me présente en tant que danseur. On pense souvent que je suis un étudiant. Mais c'est ça qui fait aussi ma force. Par exemple, je ''trompe'' toujours les gens (créer la surprise [NDLR]). Quand j'enlève mes lunettes et monte sur scène, c'est autre chose.

D'ailleurs, mon slogan c'est : ‘’Le talent ne suffit plus, il faut aussi avoir la tête.’’ Je suis un danseur, mais il ne faut pas que je reste dans mon coin. Il faut aussi que je creuse pour véritablement connaître l'historique de la danse, savoir comment et pourquoi ça se fait. Parce que la danse, c'est créer des faits sociaux. Par exemple, le Kumpo est une danse née avec l'abattage  du riz après la récolte. La danse Thiébou Dieune, c'était pour régler des conflits. Dans une famille, quand il y avait une personne qui avait une dent contre quelqu’un, on rassemblait tout le monde au ''penc'' pour danser le Thiébou Dieune. Dès que tu danses, on comprend que tu as une dent contre quelqu'un. Un autre fait de même. Et la querelle restait là-bas, au ‘’penc’’. Et le problème est réglé.

Au Mali, il y a une danse pour les mariés. On forme une ligne pour les garçons et une autre pour les filles. Quand un garçon entre sur scène et danse, si une fille le rejoint, le mariage est scellé. Les danses sont tellement importantes. Pour un danseur, ça doit être une obligation de savoir toutes ces choses-là. C'est très important.

BABACAR SY SEYE

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