Le Sénégal, nouveau cœur de cible du djihadisme au Sahel ?
Le Sénégal vit de plus en plus sous la menace de groupes armés terroristes (GAT) présents au Mali voisin. Ce péril persistant menace la sécurité de la partie orientale du pays qui connaît diverses fragilités liées à l’enclavement, à l’activité de l’orpaillage clandestin, à la coupe illégale de bois et à la porosité des frontières, entre autres. Cette situation a poussé l’État du Sénégal à déployer divers moyens sécuritaires et économiques dans le but d’annihiler cette menace en provenance du Mali.
C’est une menace sournoise, mais tout aussi persistante qui se présente à la frontière de notre pays. L’hydre djihadiste qui s’est manifestée depuis 2012 au Sahel par l’émergence de divers groupes armés affiliés au groupe de l’État islamique au Sahel (EIS) et Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) fait peser une grande menace d’infiltrations djihadistes en provenance du Mali. Les groupes armés terroristes, qui sont dans une logique d’expansion, entendent menacer de plus en plus les pays côtiers riverains du Golfe de Guinée (Bénin, Togo et Côte d’Ivoire) et de l’océan Atlantique (Sénégal, Mauritanie). Depuis plus d’une année et demie, les attaques dans le nord du Togo (Kpendjal), Bénin (Atakora) et Côte d’Ivoire (Kafolo) s’inscrivent dans cette volonté d’atteindre les côtes pour accroître leur emprise sur le trafic de drogue, de contrebande et de trafic d'êtres humains.
Pour le Sénégal, cette menace est d’autant plus persistante que les Gat ont étendu leur champ opérationnel dans la région de Kayes située à l’ouest du Mali. Dans cette région frontalière avec le Sénégal, des embuscades, explosions et kidnappings sont régulièrement signalés depuis plus d’une année. En janvier 2023, au moins un gendarme a été tué et trois autres ont été blessés dans une embuscade tendue par des hommes armés non identifiés à un poste de contrôle de sécurité le long de la RN24 près de Sebekoro, dans la région de Kayes.
Failles sécuritaires à la frontière malienne, accentuation de la menace terroriste
Cette région peut constituer une base de projection vers la rive gauche de la Falémé qui délimite la frontière entre les deux pays. Cette rive gauche du principal affluent du fleuve Sénégal couvre les régions administratives de Tambacounda et de Kédougou. Ces deux régions souffrent de nombreuses vulnérabilités. Plusieurs études, dont celle de l'Institut d'études de sécurité (ISS) réalisée conjointement avec le Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) parue en 2021, ont pointé du doigt ces faiblesses structurelles dans ces deux régions : enclavement, absence criante d’infrastructures de base, rivalités entre communautés d’agriculteurs et éleveurs pour l’accès aux ressources, les activités illégales d’orpaillage à Kédougou. Ces difficultés peuvent constituer des terreaux fertiles pour l’expansion du terrorisme dans notre pays. Les réseaux de trafic de bois illégal, de drogue et d’or peuvent aussi ouvrir la voie à l’arrivée de groupes extrémistes qui, à travers leur truchement, permettent de décupler la propagation du phénomène terroriste.
La mise en place de projets de développement comme le Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma) et le Programme d'urgence de développement communautaire du Sénégal (PUDC) n’ont pas réussi à gommer ce déficit sur le plan infrastructurel et en matière d’emplois. L'absence de perspective d’emplois pour les jeunes qui constituent plus de 70 % de la population à Kédougou peut devenir un terreau pour le recrutement dans les katibas djihadistes.
‘’Du fait que l’État du Sénégal n’a pas totalement le contrôle sur la production de l’or dans la zone, mais aussi du circuit de commercialisation, on sent que ce sont des failles que pourraient exploiter ces groupes pour se doter en moyens financiers, mais aussi infiltrer le secteur pour se doter en moyens opérationnels, comme ils le font dans certains pays au Sahel’’, explique Paulin Maurice Toupane, chercheur principal à l’ISS.
Un autre document beaucoup plus alarmant publié par les Nations Unies en février 2021, souligne que ‘’des éléments du GSIM, soutenus par des influenceurs islamistes radicaux, se sont implantés au Sénégal’’, notamment sur l'axe Bamako - Dakar et dans l'est du pays. La prochaine étape de cette infiltration serait la constitution de cellules dormantes capables de soutenir des opérations armées dans cette partie du pays.
La politique sécuritaire de l’État dans les régions de Tambacounda et de Kédougou
Ce risque accru a poussé les autorités sénégalaises à réagir. Ainsi, le Sénégal, soutenu par l'Union européenne, a créé le Groupe d'action rapide de surveillance et d'intervention (Garsi), de petites unités très mobiles patrouillant le long de la frontière malienne. Pour compléter ce dispositif, le président Macky Sall a rappelé, lors de sa dernière interview accordée à la chaine privée RFM, le 22 avril 2023, que le terrorisme est à nos portes et qu’il est plus urgent de construire de nouvelles bases militaires pour tenter de neutraliser cette menace. De ce fait, l’inauguration en décembre dernier d’un nouveau camp militaire à Goudiry (Tambacounda) et celle dans la fenêtre de Kénieba devrait participer à la sécurisation de cette zone militaire couvrant près du tiers de la superficie nationale, a assuré le chef de l’État sénégalais. Les services de douane, de la police et de la gendarmerie ont été aussi renforcés avec de nouveaux équipements (véhicules 4x4, radars, drones) afin de contribuer plus efficacement dans la lutte antiterroriste.
Néanmoins, selon plusieurs spécialistes, ce renforcement du dispositif dans la partie orientale du pays ne pourra être complet qu’avec la résolution du conflit casamançais. Cette région mobilise plus du tiers des effectifs de l’armée sénégalaise empêchant les forces de sécurité d’assurer une projection complète vers la frontière malienne. Les attaques contre les bases rebelles à la frontière bissau-guinéenne (février 2021) et à la frontière gambienne (mars 2022) visent à réduire les capacités opérationnelles du MFDC afin de se concentrer sur la sécurisation de la frontière orientale avec le Mali. Les opérations de sécurisation ont profondément affaibli le mouvement indépendantiste, selon Jean-Claude Marut, chercheur associé au CNRS qui, pour survivre, se livre à des activités criminelles. Une situation qui, à terme, pourrait aboutir à un plus grand redéploiement de l’armée vers les zones frontalières avec le Mali.
AMADOU FALL