Publié le 27 Apr 2023 - 16:44
MORT DU PR. MALICK NDIAYE

Un intellectuel massif

 

Le professeur Malick Ndiaye repose depuis hier à Touba. Il y avait foule lors de la prière mortuaire à la mosquée de Mermoz. La communauté universitaire, les organisations de la société civile, la classe politique, ses parents du Djolof tenant à lui rendre un dernier hommage. Le sociologue est décédé la veille à Dakar, à l’âge de 70 ans.

 

Depuis l’annonce de sa mort, les témoignages sur sa contribution à l’animation de la vie intellectuelle foisonnent, en soulignant les deux idées-forces qui ont forgé sa notoriété : ‘’la société d’accaparement’’ et ‘’l’éthique Ceddo’’ résumées dans une dynamique de compréhension des ‘’conduites culturelles des Sénégalais d'aujourd'hui’’. La culture urbaine, les mouvements sociaux, la citoyenneté, la démocratie et les Droits de l’homme ont été ses sujets de prédilection.

Excellent lecteur de Max Weber et de son ‘’éthique protestante’’, le brasseur d’idées a puisé dans l’œuvre du penseur allemand, mais aussi s’est abreuvé à la source de la philosophie wolof pour proposer une explication en deux tomes du profil du Sénégalais à travers deux de ses représentants : ‘’Le Goorgi, type moyen de la société sénégalaise urbaine postindépendance’’ et ‘’Les Móodu Móodu ou l'éthos du développement au Sénégal’’.

Ancien chef du Département de sociologie de la faculté des Lettres et sciences humaines de l’Ucad, Malick Ndiaye était un chercheur accompli, à l’aise dans la confrontation des idées. Pour sortir le Sénégal de cette situation où ‘’les gens ne raisonnent plus en termes de culture, ni d’éthique’’, le sociologue préconisait un retour aux valeurs.

Ces dernières années, il s’était imprégné d’un halo de mystique ‘’mouride’’ en prônant la lecture des ‘’Qassidas’’ de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. C’était aussi un acteur politique à sa manière. Les nécrologies qui lui ont été consacrées mettent en exergue sa participation à la coalition Macky 2012, décisive lors de la victoire de Macky Sall à la Présidentielle de 2012, puis sa nomination comme ministre conseiller à la présidence de la République jusqu’en août 2014, avant que sa nature foncière d’intellectuel libre ne le fasse commettre un ouvrage dénonçant les travers de la deuxième alternance. ‘’Sénégal, où va la République : Approche critique, autocritique et prospective de la seconde alternance’’ compte parmi ses livres les plus emblématiques, mais conduit à son limogeage.

À l’époque, le philosophe El Hadj Kassé, lui aussi ministre conseiller au palais, avait réagi en publiant une tribune titrée ‘’L’éthique de l’intellectuel’’ dans laquelle il disait à Malick Ndiaye que ‘’nous avons un protocole éthique qui nous impose l’obligation de réserve, la retenue et la solidarité active qui, elle en particulier, garantit la cohérence, l’efficacité et la performance de l’action collective’’.

Selon El Hadj Kassé, ‘’l’éthique de l’intellectuel est inconsistante, si elle n’est pas adossée au principe de cohérence, porteuse de fidélité et de loyauté à ses choix’’, avant de lancer le principal reproche que le nouveau pouvoir faisait à Malick Ndiaye : ‘’Mettre en cause un groupe identitaire, les Haal Pulaar en particulier, et, sans aucune preuve tangible, parler de nominations fondées sur la parenté, l’ethnie ou la caste, voilà bien la limite qu’il ne fallait pas franchir.’’

Qu’à cela ne tienne, ce premier brûlot est suivi de la publication, en 2015, de ‘’La seconde alternance sénégalaise à l’épreuve de l’impunité, équations Karim Wade et Hissène Habré/Crei et CAE’’.

Un homme de gauche

Mais Malick Ndiaye, c’est surtout l’homme de gauche, trotskyste, d’abord membre fondateur d’AJ/PADS en tant que coordonnateur du Cercle des lecteurs de Suxuuba et ancien de l’Organisation socialiste des travailleurs (OST).

Mais le fait est que le défunt professeur d’université, conformément à la doctrine trotskyste de l’infiltration des organisations, a pris langue avec tous les pouvoirs et animé beaucoup de scissions, ne serait-ce que par sa théorisation de la différence, comme ce fut le cas lors de l’émergence de l’URD de Djibo Kâ en 1997. Il a aussi ‘’conseillé’’ les présidents Diouf et Wade, avant Macky Sall.

Passées les polémiques, son aura académique est restée intacte. Il a soutenu sous la direction de Pierre Fougeyrollas en 1987 une thèse intitulée ‘’Sénégal : pouvoir politique et forces sociales. De l'Assemblée constituante (novembre 1958 à décembre 62)’’. Malick Ndiaye y montre comment, selon lui, ‘’par un concours singulier de circonstance, le développement de cette conjoncture qui aurait pu déboucher sur un coup d'État militaire ou sur l'intervention des troupes françaises, ou sur une révolution ouvrière et paysanne, a abouti au présidentialisme bonapartiste senghorien’’.

À ses détracteurs à l’université, il disait faire la différence entre ‘’intellectuel’’ et ‘’diplômé’’, s’inscrivant lui-même bien sûr chez les premiers. Et pour expliquer son ancrage social, il disait : ‘’Nous Djolof-Djolof, historiquement, au Sénégal, nous recevons et donnons à tous les autres.’’ Ceci expliquait peut-être sa générosité intellectuelle…

Amadou FALL

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