Le procès des indépendances
En Afrique, la corruption endémique et la mauvaise gouvernance minent la confiance du public et alimentent les tensions sociales. Les élections y sont souvent entachées de fraude et de violence, et le respect des Droits de l'homme et des libertés fondamentales reste précaire. L'URF des sciences juridiques et politiques de l'Université Gaston Berger (UGB) a organisé, samedi dernier, une conférence internationale autour du thème ‘’Les défis de la démocratisation et de la protection des droits humains en Afrique’’. D'éminents universitaires sénégalais, de l'Afrique du Sud et du Bénin ont pris part à la conférence animée par le président d’Afrikajom Center, Alioune Tine.
Au cours des dernières décennies, de nombreux pays africains ont entrepris des efforts de démocratisation afin de garantir la protection des droits humains. Cependant, ces initiatives ont été confrontées à de nombreux défis. Il est important de souligner que de nombreux pays africains ont été ravagés par des conflits politiques et ethniques. Ces conflits, souvent motivés par des rivalités de pouvoir et de ressources, ont eu un impact dévastateur sur les droits humains, avec des violations massives telles que les crimes contre l'humanité et le génocide.
Pour le conférencier Alioune Tine, la démocratisation dans ces pays est un défi majeur, car les institutions étatiques sont souvent faibles et corrompues, ce qui limite la protection des droits humains.
De plus, l'Afrique fait face également à des défis économiques et sociaux considérables. Le chômage élevé, la pauvreté et l'inégalité sont des problèmes persistants dans de nombreux pays africains. Une situation qui crée une frustration et un mécontentement parmi la population, ce qui peut conduire à des mouvements de contestation et à des violations des droits humains.
À en croire toujours l'expert indépendant et conférencier, la démocratisation doit être soutenue par des politiques économiques inclusives et des réformes sociales, afin de garantir une amélioration des conditions de vie pour tous. Avant de rappeler que l'autre défi de la démocratisation en Afrique est la faiblesse des institutions démocratiques.
Pour lui, de nombreux pays ont des gouvernements autoritaires qui restreignent la liberté d'expression, la liberté de la presse et les droits politiques. La limitation de ces libertés fondamentales, a soutenu M. Tine, empêche le peuple de participer pleinement au processus politique et de tenir les dirigeants responsables de leurs actions.
Alors que la mise en place de systèmes de gouvernance transparents, responsables et équitables est essentielle pour garantir la protection des droits humains.
Pourtant, depuis les années 1990, l'Afrique a connu une vague de démocratisation sans précédent. Les anciens régimes autoritaires ont cédé la place à des systèmes politiques plus ouverts et pluralistes. Cependant, malgré les progrès réalisés, l'essoufflement et la fatigue de la démocratisation commencent à se faire sentir sur le continent.
En Afrique, la démocratisation s'est souvent faite de manière superficielle. Les élites politiques ont adopté les règles et institutions démocratiques, mais ont souvent manqué de volonté politique pour les mettre en œuvre de manière effective. Les élections sont souvent entachées de fraude et de violence, et le respect des Droits de l'homme et des libertés fondamentales reste précaire.
Les gouvernements continuent également de concentrer le pouvoir entre les mains d'une élite restreinte, laissant peu de place à la participation citoyenne et à l'inclusion politique.
L'essoufflement de la démocratisation
Pour Dr Papa Fara Diallo, enseignant-chercheur à l’UGB, l'essoufflement de la démocratisation est également dû à une série de défis économiques et sociaux auxquels sont confrontés de nombreux pays africains. "La démocratie est un idéal. D’ailleurs, le conférencier, de par son expérience, a parlé de déficit sécuritaire lié à la faiblesse de l’État ou de son effondrement qui peuvent être des sources d'insécurité des citoyens, en termes de violation des droits humains. Mais en dehors des questions sécuritaires, il y a les défis électoraux. Parce qu’on dit très souvent qu'en Afrique, les élections sont conflictogènes. Les processus électoraux ont précipité certains pays dans le chaos (Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, etc.). Au Sénégal, les processus électoraux ont été entachés de violences préélectorales, pendant les élections et après élections. Mais aujourd'hui, ce qui menace la démocratie au Sénégal et les droits humains, c'est la volonté des pouvoirs publics à obstruer l'espace civique et à restreindre les libertés publiques, la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté de manifester, entre autres’’.
Or, souligne Dr Diallo, ‘’ce sont des droits constitutionnels et qui sont intrinsèquement liés à la personne humaine et qui sont menacés actuellement dans notre pays".
Pour le coordonnateur du Master des droits humains et de la démocratisation en Afrique à l'UGB, ces restrictions et violations des droits humains sont souvent le lit de toute sorte de violence qui peut dégénérer et provoquer de graves troubles. "Ce qui s'est passé dernièrement au Sénégal en est une parfaite illustration. Les événements du début du mois de juin dernier et ceux de mars 2021 témoignent de l'essoufflement de nos systèmes démocratiques et témoignent aussi du désir de liberté des populations. En obstruant l’espace classique physique où les citoyens pourraient s'associer, se rassembler, s'exprimer, dénoncer, manifester leur mécontentement, ils n’ont d’autre alternative que de se retourner vers les réseaux sociaux pour se libérer. Malheureusement, ils sont poursuivis également sur ce terrain. Parfois, on traque des opposants, des activistes, des membres de la société civile, des défenseurs des Droits de l’homme et des journalistes jusque dans l'espace numérique simplement pour leur opinion. C'est ce qui crée ce sentiment de crise de démocratie, de crise politique et sociale, qui affecte les régulations routinières de la démocratie", explique Fara Diallo.
Corruption endémique et mauvaise gouvernance
De plus, la corruption endémique et la mauvaise gouvernance minent la confiance du public et alimentent les tensions sociales. Face à ces défis, de nombreux Africains se sentent frustrés et désabusés par les promesses non tenues de la démocratisation et se tournent vers des alternatives autoritaires ou populistes. L'ingérence étrangère et les interventions militaires dans certains pays exacerbent les tensions politiques et déstabilisent les processus démocratiques.
Pour certains intervenants, pour faire face à l'essoufflement de la démocratisation et garantir les droits humains, en Afrique, il est nécessaire de renforcer les institutions démocratiques, de promouvoir la responsabilité et la transparence, et de créer des opportunités économiques pour tous les citoyens. Il est également crucial de renforcer la participation citoyenne et l'inclusion politique, en donnant aux Africains une voix dans les processus de prise de décision.
Il faut signaler que la conférence a été une occasion pour les organisateurs de rendre un vibrant hommage au droit-de-l'hommiste ougandais, Julius Osega par la voix de la représentante du Center for Human Rights, University of Pretoria (South Africa), Michelle Mashiwisa. La rencontre entre dans le cadre de l'animation scientifique pour la promotion des droits humains des universités anglophones et francophones partenaires de l'UGB.
IBRAHIMA BOCAR SENE SAINT-LOUIS