Publié le 4 Aug 2023 - 23:37
LAC ROSE

Une longue et douloureuse agonie

 
Malgré les nombreux plaidoyers, le Lac Retba, plus connu sous le nom de Lac Rose, est devenu un bassin de rétention des eaux de pluie. De jour en jour, le lac se meurt, avec lui les activités économiques d’extraction de sel et touristiques. EnQuête s’y est promené pour constater les dégâts.
 
 
13h au Lac Rose. L’environnement est morose. Le lac ne connait plus son affluence d’antan. Pas d’ambiance, pas d’activités, pas de touristes…. Tout est calme. Les rares âmes en repos ne sont perturbés que par le gazouillement des oiseaux, le vent qui berce le paysage et fait flotter les drapeaux du Sénégal qui ornent les alentours. Jour après jour, le lac perd ainsi de son lustre. Et ses occupants, de plus en plus, plient bagage.
 
Assis à côté d’une vendeuse de bracelets, Cheikh Ndoye a du mal à cacher son désarroi. Pour lui, depuis l’année dernière, le lac a non seulement changé de couleur, mais aussi le taux de salinisation a drastiquement diminué. ‘’Avant, on pouvait avoir chaque année 24 000 tonnes de sel, mais ces temps-ci, on peine même à en avoir’’, fulmine-t-il avec un visage fermé. Selon lui, il y a un canal qui déverse dans le lac des eaux usées, avec l’ouverture d’une brèche en 2022, permettant d’évacuer les eaux de pluie des quartiers inondés. Ce qui a fait doubler le volume de l’eau du lac et rendu l’extraction quasi impossible.
 
Selon les explications de l’exploitant de sel, le lac Rose faisait 3 mètres de profondeur (1,5m de sel et 1,5m d’eau). De ce fait le taux de sel était normal, la production abondante.
 
Mais, le drainage des eaux pluviales à travers le canal vers le lac a fini de mettre en péril leur activité. Et les pertes sont incommensurables. ‘’Tant que le canal n’est pas bouché, rien ne va changer’’, assène-t-il. 
 
Embouchant la même trompette de dénonciation, le Président de la coopérative des exploitants de sel du Lac Rose, Maguette Ndiour, revient sur l’étendue des pertes, durant l’année écoulée. ‘’Elles s’élèvent à plus de sept mille tonnes de sel’’, selon ses estimations. Cette situation critique a poussé la coopérative à chercher une solution pour limiter les dégâts, en essayant d’évacuer les montagnes de sel vers d’autres endroits, renseigne-t-il.  
 
Un abandon des activités
 
Depuis le mois d’Aout de l’année dernière, les choses vont de mal en pis. L’activité de plus en plus en berne. Sur place, c’est la grande débrouillardise face à la montée du péril. Pourtant, souligne Amadou Latar Wane Dieng, un des conservateurs du Lac, cette situation n’est pas irréversible, même si cela requiert des moyens. Le problème, d’après son analyse, c’est juste l’eau de pluie drainée vers le lac. Monsieur Dieng souligne que les extracteurs de sel ne peuvent plus récolter le sel cristallisé au fond du lac, à cause de l’augmentation du niveau du lac. ‘’Durant quatre mois, on s’est porté garant pour trouver des solutions en essayant de diminuer l’eau. Hélas ça n’a pas porté ses fruits. On y a investi beaucoup d’argent, puis on s’est résigné’’, indique Amadou Dieng.  
 
Près du comité de gestion du lac Rose se trouvent des machines à ioder le sel qui prennent poussière, du fait de leur non utilisation. Ainsi, se meurent beaucoup d’activités : extraction de sel, casseurs des dunes de sel, l’iodation, l’emballage des produits, la location de cabanes pour se relaxer, la vente d’objets d’art et autres produits divers…. Aujourd’hui, tout a disparu.
 
La dégradation du lac a provoqué le chômage ou le quasi chômage de tout ce beau monde. ‘’Plus de trois mille extracteurs ont perdu leur travail, sans compter les emplois indirects comme ceux qui sont dans la transformation et la commercialisation du précieux or blanc’’, renchérit le sieur Dieng, qui précise que ces gens ne travaillent plus, depuis le mois de septembre.
 
Avec la raréfaction du produit, beaucoup ont, en effet, déserté les lieux. « Les conséquences sont désastreuses. Les travailleurs qui s’activaient autour du lac sont au chômage, ce sont des pères et mères de familles… et c’est vraiment difficile.  Ce chômage est dû à l’impossibilité d’extraire le sel, à cause de l’augmentation du niveau de l’eau. ‘’Certaines personnes ont essayé mais elles n’ont eu que des miettes’’, se désole Dieng. 
 
Le lac n’est plus une attraction touristique
 
Autrefois, le Lac Retba faisait partie des lieux les plus visités au Sénégal. Il attirait des touristes venant de partout dans le monde. Trouvé dans son abri qui accueille des touristes, Babacar Ndao, plus connu sous le nom de Babacar no stress, crache son amertume :  ‘’Plus personne ne vient, il n’y a plus rien à visiter ici. C’est la couleur rose qui attirait les touristes. Elle n’est plus là, comme vous pouvez le constater’’, lance-t-il, avant d’enchainer : ‘’Vous êtes ici depuis un moment et vous n’avez vu aucun touriste.’’
 
Tout comme la rareté du sel, celle des touristes inquiète également les occupants, les hôtels de la place et toutes autres activités qui tournent autour de ce secteur. Pour Babacar No stress, si rien n’est fait, la situation va devenir encore plus difficile pour eux. 
 
A côté de lui, son ami qui préfère garder l’anonymat, appuie ses propos : ‘’En cette période, beaucoup d’étrangers remplissaient les lieux. Il y avait beaucoup de bruit. Les activités battaient leur plein. Aujourd’hui, vous pouvez constater par vous-même. Aucun ombre d’un Blanc’’, tonne-t-il. 
 
‘’On sent nettement que les autorités veulent transformer le lac rose en bassin de rétention’’
 
De part et d’autre du lac, poussent des arbustes, ce qui ne manque pas d’attirer les chèvres qui viennent brouter. Pendant ce temps, les vendeurs d’objets d’art et les tenants des pirogues de plaisance se tournent les pouces.
 
Jusque-là, les acteurs ont réclamé des actions concrètes des autorités compétentes pour sauver ce patrimoine, mais leurs revendications restent vaines. ‘’Nous avons eu beaucoup de négociations avec les autorités, mais jusqu'à présent, c’est le statuquo ; rien n’a bougé. Aucune action faite par les autorités pour que cela ne se reproduise plus. Nous sommes en période hivernale et si jamais la situation de l’année dernière se répète, le lac va disparaitre pour toujours. On sent nettement que les autorités veulent transformer le lac rose en bassin de rétention’’, fulmine le Président de la Coopérative des exploitants, Maguette Ndiour.
 
Il est d’avis que le lac rose est un site à protéger, vu les activités économiques et sa vocation touristique. Le lac, confie-t-il, fournissait plus de 60 000 tonnes de sel pour l’approvisionnement des marchés local et sous régional. 
 
SOKHNA AMINATA DIOP (STAGIAIRE)
 
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