Publié le 1 Sep 2023 - 06:58
ÉPIDÉMIE DES COUPS D’ÉTAT

Gabon “make noise”

 

Après plus de 50 ans de règne sans partage à la tête du Gabon, le clan Bongo s’effondre, à la suite des élections controversées du 26 août dernier.

 

Du grand bruit a jailli, hier, de Libreville, a transpercé les frontières gabonaises, entendu dans les différents coins du continent et jusqu’en Chine. Seulement, ce n’est pas pour porter secours au président déchu Ali Bongo Ondimba, mais bien en l’honneur de ses bourreaux, les membres du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), à la tête de laquelle il y a le général  Oligui Nguema Brice. Placé en résidence surveillée, le désormais ex-homme fort de Libreville pourrait toutefois remercier l’ancien responsable de sa sécurité qui l’a succédé à la tête du pays.

Dans la foulée de sa nomination à la tête du CTRI, le général Oligui a, en effet, décidé de restaurer l’Internet coupé par Ali lui-même à la veille des élections générales du 26 août. Laquelle décision a permis au désormais ex-chef d’État de passer son message. Vêtu d’une tenue traditionnelle bleue, l’air hagard, Ali, en anglais, implore de faire du bruit. ‘’Je suis le président du Gabon, Ali Bongo, et j’envoie un message à tous mes amis à travers le monde. Je ne sais pas ce qui se passe. Je vous demande de faire du bruit, de faire du bruit, de vraiment faire du bruit... Mon fils est quelque part, ma femme est à un autre endroit et je suis à ma résidence’’, supplie-t-il assis dans un salon feutré.

Quelques instants plus tôt, sur la chaine Gabon 24, les militaires annonçaient la prise du pouvoir et prenaient une série de décisions. Parmi les premières, il y a l’annulation des élections générales du 26 août ainsi que des résultats, la fermeture des frontières, la dissolution des institutions, entre autres. Dans un autre communiqué, le porte-parole du CTRI informe également de la nomination, à l’unanimité, du général Oligui Nguema Brice et revient sur les premières décisions prises par ce dernier. ‘’Le général Oligui Nguema ordonne la reconnexion de la fibre optique et le rétablissement des signaux des chaines radios et télévisions internationales sur les différents bouquets de diffusion existant au Gabon. De plus, le président insiste sur la nécessité de maintenir le calme et la sérénité dans notre beau pays. Il prend l’engagement de préserver l’outil économique, garant d’une prospérité sociale’’, a affirmé le porte-parole de la junte.

Ali, qui avait coupé Internet, l’utilise pour appeler à faire du bruit

Si en Afrique de l’Ouest les coups d’État sont souvent expliqués par des problèmes sécuritaires et économiques, dans ce pays de l’Afrique centrale, le motif invoqué par les militaires, c’est les dysfonctionnements dans l’organisation des élections générales, mais aussi la nécessité de préserver la paix dans le pays. Selon la voix du nouveau régime, ‘’force est d’admettre que l’organisation des élections générales du 26 août n’a pas rempli les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonais’’.

En conséquence, les militaires proclament : ‘’Nous, forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place.’’

Mais pourquoi maintenant ? En fait, depuis 2009, avec feu André Mba Obame, les élections au Gabon ont souvent été accompagnées de vives contestations. Depuis 2016, l’opposant Jean Ping réclame la victoire qui lui aurait été volée par le clan Bongo. En 2009 comme en 2016, Ali et son régime se sont imposés aux Gabonais, malgré de sérieuses remises en cause de la crédibilité des scrutins, parfois par les observateurs internationaux.

D’ailleurs, pour les dernières élections, les observateurs ont tout simplement été déclarés indésirables, tout comme certaines chaines françaises comme France 24, RFI et TV5, dont les signaux ont été coupés par le défunt régime. Ces dernières doivent également leur salut aux mesures prises par le nouvel homme fort, qui leur permet d’émettre à nouveau.

Général Oligui Nguema Brice, ancien chef de la garde républicaine, le nouvel homme fort

Alors qu’Ali Bongo Ondimba est en résidence surveillée, séparé des membres de sa famille, plusieurs dignitaires du régime, dont son fils Nourredine Bongo Valentin, ont été arrêtés pour divers chefs, notamment haute trahison, détournement de deniers publics, faux et usage de faux, falsification de la signature du président, corruption active, trafic de stupéfiants…

Dans la foulée de ce nouveau coup d’État, les réactions de la communauté internationale, en particulier de la France, ont été très molles. Pour sa part, la Chine a plaidé pour la garantie de la sécurité de l’ancien président. Dans un communiqué, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères déclare : ‘’La Chine suit de près l’évolution de la situation au Gabon et appelle les parties à agir dans l’intérêt du peuple gabonais et du pays, à résoudre les différends par le dialogue, au retour immédiat à l’ordre moral et à garantir la sécurité personnelle d’Ali Bongo afin de préserver la paix et la stabilité nationale.’’

Souvent désignée comme bouc émissaire, la France a, elle, fait une condamnation de principe et appelé au respect des résultats des élections.

Ce coup d’État met un terme au règne sans partage du clan Bongo, depuis plus de 50 ans. Bongo père avait, en effet, pris le pouvoir en 1967, avant qu’il ne soit cédé à son fils en 2009.

Toutefois, l’opposant Albert Ondo Ossa, qui réclamait également la victoire, risque d’être le grand perdant.

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INVESTISSEMENT DIRECTS ÉTRANGER

La France en net recul depuis quelques années

Ces dernières années, la France a perdu beaucoup de terrain au profit de pays comme la Chine et le Maroc.

Comme souvent, les ruptures brutales de régimes sont souvent accompagnées de grands bouleversements dans le positionnement géostratégique. Le Gabon ne fait pas exception, d’autant plus que le pays constitue un grand enjeu sur le plan géopolitique. Autrefois pilier de la France dans ce qui était considéré comme son pré-carré, le Gabon est depuis quelques années dans une dynamique de diversification de ses partenaires.

Dans un article publié par le Trésor français en juin dernier, il est fait état d’une baisse des investissements français dans le pays. ‘’Jusqu’en 2007, le Gabon représentait le principal destinataire des IDE français dans la zone, grâce aux importants investissements des groupes pétroliers. Aujourd’hui, la part apparente des IDE français au Gabon ne cesse de décliner, pour atteindre 8 % du total en 2019.

Selon le portail, le Gabon représente la 8e destination des investissements français, en nombre d’implantations, sur le continent. ‘’Fin 2020, 85 filiales d’entreprises françaises étaient implantées au Gabon, pour un chiffre d’affaires cumulé de près de 3 Mds €, 12 500 salariés, un stock d’investissements de 750 M€. À l’exception notable du secteur bancaire, tous les secteurs de l’économie gabonaise comptent un acteur français (filiale ou entreprise détenue par un Français installé au Gabon)’’.

C’est dans un contexte où les investissements français commençaient à monter que survient ce coup d’État, avec d’importants investissements de Perenco dans le pétrole, Eramet dans les mines et Meridiam dans les infrastructures routières, hydrauliques et portuaires.

Pendant ce temps, les Chinois font leur entrée en force. Le stock des investissements chinois au Gabon, informe le Trésor français, a dépassé le milliard de dollars. ‘’Environ 60 entreprises chinoises sont installées sur place, dont une trentaine de grandes entreprises publiques. Les principaux investissements chinois sont ciblés dans l’exploitation pétrolière (Addax (Sinopec), le secteur du bois (les entreprises chinoises exploitent 55 % de la forêt gabonaise) et les mines, avec la Compagnie industrielle et commerciale des mines de Huazhou qui extrait 9  % du minerai de manganèse gabonais’’, souligne le site qui ajoute : ‘’La Chine est devenue, en quelques années, le premier partenaire commercial du Gabon, concentrant 63 % des exportations et 45 % des échanges internationaux du Gabon en 2019.’’    

À côté des géants français et chinois, il y a également parmi les partenaires privilégiés le Maroc, dont les entreprises ont investi dans de nombreux secteurs, mais surtout dans les services (banques, télécoms, assurances, les transports), mais aussi dans les mines, les infrastructures et les BTP.

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