L’effet Magal ?
A trois jours de la célébration du grand Magal de Touba, des signes d’une décrispation des tensions entre pouvoir et opposition radicale ont été notés, avec la libération de quelques détenus jugés ‘’politiques’’.
Le Sénégal célèbre, ce lundi, le grand Magal de Touba. Un moment incontournable de l’année lors duquel des millions de disciples du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, convergent vers Touba pour un pèlerinage annuel qui mobilise tout le pays. Tout au long de la semaine, le ballet de personnalités n’a pas cessé dans la ville sainte. Les politiques n’ont pas fait défaut.
Des leaders de l’opposition au président de la République, Macky Sall, tous ont été reçus par le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké, afin de s’entretenir, entre autres sujets, sur la marche du pays. Ces discussions ont-elles porté des fruits pour une décrispation de la tension politique que vit le Sénégal depuis 2021 ? A trois jours de la célébration de l’édition 2023 du grand Magal, certains prisonniers, membres du parti ou proches du leader de l’opposition, ont été libérés. Ce à quoi le procureur de la République s’était opposé à plusieurs reprises, dans un passé récent.
Un des derniers à bénéficier d’une liberté provisoire est Serigne Assane Mbacké. Le président du mouvement Appel 221, membre de la famille maraboutique, était écroué depuis février 2023, en marge de manifestations violentes dans la ville sainte, alors qu’un meeting de Pastef y était en préparation. Dénonçant les agissements du régime en place sur les réseaux sociaux, le marabout politicien a été arrêté et une information judiciaire a été ouverte, impliquant sa ‘’responsabilité’’ et celle d’autres personnes arrêtées lors de violences qui ont accompagné l’interdiction de ce meeting.
Si le procureur de la République près du Tribunal de Grande Instance de Diourbel avait chargé le marabout proche d’Ousmane Sonko pour obtenir son placement sous mandat de dépôt, il ne s’est pas opposé à ce qu’il bénéficie d’une liberté provisoire. Ainsi, Serigne Assane Mbacké a quitté la prison de Diourbel pour célébrer le Magal avec sa famille.
Un jour avant lui, un autre soutien de l’opposant a lui aussi été remis en liberté. Le chroniqueur Cheikh Bara Ndiaye a vu les autorités judiciaires changer d’avis sur sa détention depuis le 9 juin 2023. Poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’État, actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique, il avait entamé une grève de la faim pour dénoncer une détention arbitraire. Il a même piqué une crise, interné en réanimation avant d'arrêter sa grève sur instruction du khalife général des mourides.
Sa libération peut être considérée comme un pas vers une possible décrispation de l’atmosphère politico sociale, puisqu’il y a un mois, le Parquet a interjeté appel suite à une décision du juge d’instruction du deuxième cabinet d’accorder une liberté provisoire à cette voix très critique à l’encontre du régime du président Macky Sall.
En marge de ces libertés provisoires accordées à des proches de la famille religieuse de Touba, certains militants du parti d’Ousmane Sonko ont été libérés. C’est le cas de Pascaline Diatta et Aïssatou Sané, arrêtées depuis mars 2023.
Ces libérations interviennent après que la coalition Yewwi Askan Wi, principale coalition de l’opposition politique, ait rendu visite au khalife général des mourides, il y a deux semaines. Le marabout leur avait remis des dattes (symboles de coupure du jeun chez les musulmans) à remettre à Ousmane Sonko, qui observe une grève de la faim depuis son arrestation, le 28 juillet 2023. Malgré la dégradation de son état de santé, jugée très critique par ses avocats et sa famille, il est toujours maintenu en prison.
Hier, un nouveau communiqué du Collectif des Avocats pour la Défense de Monsieur Ousmane Sonko a alerté l’Etat du Sénégal, les autorités administratives sanitaires, les autorités judiciaires, ainsi que l’opinion publique nationale et internationale sur l’état de santé préoccupant de leur client et appelle à ‘’éviter la survenance d’un drame.’’
Ousmane Sonko est admis en réanimation à l’Hôpital Principal de Dakar, depuis le 17 Août 2023, suite à un malaise à la maison d’arrêt de Sébikotane. C’est ainsi que ses conseils ont rappelé aux autorités ‘’leur obligation légale de veiller à la santé de Monsieur Ousmane Sonko, de déployer tous les moyens à leur disposition afin de préserver sa vie, en attirant leur attention sur l’obligation qu’ils ont de faire parvenir au doyen des juges, chargé de l’instruction du dossier, toutes informations ayant trait à une menace ou risque susceptible de compromettre sa santé et ses chances de survie.’’
Cette semaine, le président de la République Macky Sall s’est rendu, à son tour, à Touba pour ce qui devrait être sa dernière visite officielle en tant que chef de l’Etat dans la ville sainte au cours d’un Magal. Un moment lors duquel l’opposant dont le sort tient en haleine tout le pays a certainement été évoqué. Si rien d’officiel n’a filtré de cette discussion, le président de la République a reçu des éloges de la famille religieuse de Touba pour le travail accompli sous son magistère.
Toujours en relation avec le Magal, la synergie des organisations de la société civile pour la paix (SOS /Paix) demande à l’Etat d’accorder la liberté provisoire aux détenus dits politiques. Cette vingtaine d’organisations a demandé au président Macky Sall ‘’d’accorder une grâce exceptionnelle à tous les citoyens arrêtés pour des délits mineurs et ayant déjà fait l’objet d’un jugement, accorder la liberté provisoire aux citoyens en détention préventive pour des délits mineurs liés aux manifestations, ou à l’expression de leur opinion’’.
Les demandes n’ont pas été faites qu’au régime en place. Ces organisations, qui disent entamer des médiations, invitent ‘’les citoyens en détention à cesser la grève de la faim, afin de permettre à la société civile de continuer ses actions de médiation pour leur libération’’.
Lamine Diouf