Des réussites africaines mises en avant
Des entrepreneurs culturels de la Guinée, du Sénégal et de la Tunisie ont partagé leurs expériences au cours d’un panel modéré par la journaliste Oumy Régina Sambou, à la 10e édition de Visa For Music.
Les industries culturelles et créatives en Afrique souffrent du manque de moyens. Elles ne bénéficient pas assez de soutiens de leur pays. Mais certaines arrivent tant bien que mal à s’en sortir. À la 10e édition de Visa For Music, d’aucuns de ces entrepreneurs culturels qui ont réussi ont été invités à partager leurs meilleures pratiques au cours d’une conférence tenue au musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain de Rabat.
Ainsi, le directeur général de La Muse/Les Studios Kirah, Bilia Bah, a parlé du succès de Musi’Shine. Il est un programme d’accompagnement dans le secteur de la musique et s'est déroulé en Guinée. Dans ce cadre, de jeunes artistes, six précisément, ont été sélectionnés et suivis par différents coaches pendant neuf mois. Ils sont formés dans diverses activités dont la prise de parole en public, la communication, la création, la production, l’accès au marché, etc. Bilia Bah assure que toute la chaîne de valeur est prise en compte durant leur participation à Musi’Shine. ‘’On a voulu offrir aux jeunes ce que nous n’avons pas pu avoir. On a mis ce projet en place en partant du constat que nos jeunes artistes sont très talentueux, mais manque d’un dispositif qui puisse les accompagner. Aujourd’hui, avoir seulement du talent ne suffit pas. L’écosystème de la musique a beaucoup changé. Il faut se professionnaliser. Or, on a des jeunes qui ne savent même pas c’est quoi l’industrie musicale’’, a déclaré M. Bah.
Lui et son équipe ont pu, à travers Musi’Shine, outiller ces jeunes. Mais mieux encore, ils ont pu leur offrir une visibilité à nulle autre pareille. En effet, le programme d’accompagnement a été diffusé en web téléréalité. Un épisode est diffusé toutes les semaines sur les pages des réseaux sociaux du projet. Ce qui a pu permettre aux participants d’être connus et mieux appréciés.
Général Manager à Akacia Productions, Mohamed Ben Saïd a lui un tout autre projet qu’il déroule chez lui en Tunisie. Ce jeune entrepreneur culturel a profité de la période de la Covid-19 pour sillonner les 24 gouvernorats de son pays. Il a, au cours de sa tournée, rencontré des directeurs de festival et des institutionnels. ‘’Je me suis rendu compte que ce ne sont pas des gens du métier qui dirigent les festivals. Je me suis également rendu compte qu’il y avait énormément de jeunes artistes talentueux qui voulaient performer dans les festivals, mais n’en avaient pas l’opportunité’’, a fait savoir M. Ben Saïd.
Selon lui, dans les festivals en Tunisie, on invite que les artistes tunisiens connus ou des étrangers. C’est pour cela d’ailleurs que presque toutes les programmations dans les festivals de musique se ressemblent puisqu’on invite les mêmes. En outre, lors de sa tournée des villes, il a repéré des entrepreneurs qui souhaitaient travailler dans la culture, mais n’avaient pas les outils requis. ‘’Après mon tour, j’ai essayé de faire une petite analyse. Cela a fini par donner naissance à une vision, une mission, des activités dans toute la Tunisie. On a commencé par un projet pilote avec le festival de Dougga. Dougga est une ville tunisienne qui existe depuis 2 400 ans.
On a élaboré un plan stratégique de cinq ans sur ce festival avec des axes prioritaires. On vise ainsi à développer les compétences des jeunes entrepreneurs et artistes de Dougga, donner de la visibilité aux entrepreneurs et aux artistes qui tournent sur toute la Tunisie, mais également leur permettre d’aller dans d’autres festivals dans le monde. On veut créer des synergies entre les entrepreneurs culturels et les différentes parties prenantes imaginables’’, a expliqué Mohamed Ben Saïd. Leur projet est en train de porter ses fruits. Aujourd’hui, le festival de Dougga est passé de zéro employé à près d’une vingtaine. Le budget de la rencontre également est à la hausse en passant de 30 mille euros à 250 mille euros. De trois partenaires au départ, il en est à 25. Mieux encore, pour la première fois, des artistes internationaux ont pu être programmés et ont pris part à la fête. Mohamed Ben Saïd s’est assuré de l’équilibre dans la programmation avec des artistes connus, peu connus et pas du tout connus, mais pas que cela. Ce sont 50 % d’artistes femmes et 50 % d’artistes hommes qui animent les plateaux.
L’on se demande si tout cela a pu se faire sans moyens. Non, disent Bilia Bah et Mohamed Ben Saïd. Il leur a fallu des moyens. Ils ont pu les trouver auprès de guichets… étrangers. Afrique Créative a soutenu Mohamed dans sa volonté de dérouler son projet pilote ; Enabel l’a fait pour Bilia Bah.
D’ailleurs, c’est à se demander si les acteurs culturels sur le continent ne doivent pas toute leur réussite à ces guichets étrangers. À écouter la présidente d’Optimiste Production, cela coule de source. Elle a affirmé que ‘’la vie des organisations repose sur les contributions extérieures’’. Et Afrique Créative a aidé beaucoup d’entrepreneurs culturels dont ceux qui dirigent Optimiste Productions du Sénégal. Sa présidente a partagé leur expérience. Elle a rappelé que leur structure tirait l’essentiel de ses ressources dans les subventions et les soutiens. Leurs programmes étaient essentiellement financés par les bailleurs. Face aux difficultés, à divers moments, pour réunir l’argent, ils ont dû penser à créer leurs propres ressources. ‘’Nous avons commencé par nous équiper. C’est en repensant Optimiste Production qu’Afrique Créative est arrivé. Nous avons reçu 100 mille euros. Ce qui nous a permis de nous équiper’’, a fait savoir Fatoumata Pindra.
Afrique Créative est un consortium qui regroupe 12 pays. Africalia fait partie de ce consortium et sa directrice générale, Dorine Rurashitse, était présente à la 10e édition de Visa For Music. Elle a présenté Africalia et ses actions. L’organisation intervient dans une dizaine de pays. Elle développe des programmes d’accompagnement, travaille sur le plaidoyer, mais surtout la structuration des organisations avec lesquelles elle travaille. ‘’Pour nous, c’est la structuration qui est importante’’, a d’ailleurs rappelé Dorine Rurashitse. Africalia est intervenu dans le projet Musi’Shine via Enabel. Des acteurs se désolent que l’organisation ne puisse intervenir dans leur pays. ‘’Nous intervenons à la taille de nos moyens et nos ressources humaines. Nous intervenons là où intervient l’agence belge de coopération. Il est bien que les acteurs culturels aillent voir le ministère de la Culture, mais ils doivent aussi aller voir le ministère des Affaires étrangères pour que la culture soit prise en compte dans les accords de coopération que signe l’État’’, a souligné Mme Rurashitse.
Mais pour la modératrice du jour, la journaliste sénégalaise et administratrice d’Africulturelle, il faut se battre pour que les États africains mettent plus de moyens au profit des acteurs culturels.
BIGUÉ BOB