Publié le 27 May 2024 - 18:38
MODE DE GOUVERNANCE DES TENANTS DU NOUVEAU RÉGIM

La politique du ‘’tout terrain’’

 

Le duo Diomaye-Sonko semble vouloir inaugurer une nouvelle mode de gouvernance basée sur la proximité et la recherche permanente d’aller sur terrain. Néanmoins, cette omniprésence sur le terrain peut aussi avoir un effet boomerang, si les résultats tardent à se matérialiser sur le terrain avec comme conséquence l’émergence d’une image de gouvernement inefficace.

 

C’est une méthode de management qui peut décoiffer. Le duo Sonko Diomaye, dans ses premières semaines de gouvernance, a opté pour le contact direct avec la base et le terrain, au détriment des bureaux feutrés du palais présidentiel et de celui du petit palais. Sur ce, c’est bien connu, on gouverne mieux qu’avec des symboles qu’avec des mots. Ainsi le Premier ministre a arpenté ce week-end les allées de la Foire internationale de l'agriculture et des ressources animales (FIARA), le chef du gouvernement avait déjà effectué des visites surprises au building administratif.

Lors de ce déplacement, selon plusieurs sources, le Premier ministre Ousmane Sonko était allé s’enquérir de l’état des lieux, avant de soumettre l’entrepreneur Bamba Ndiaye à un feu roulant de questions concernant le coût de réhabilitation du bâtiment, les multiples avenants associés au projet et l’origine de l’incendie qui a dévasté une partie de l’édifice. L’ex maire de Ziguinchor a aussi effectué, dit-on, une visite surprise dans une structure hospitalière de la place.

De son côté, Bassirou Diomaye Faye le chef de l’Etat n’a pas hésité à se rendre sur le terrain pour constater la « prédation foncière » dans la zone de Mbour 4. A l’issue de cette visite, le nouveau chef de l’Etat a décidé de suspendre les opérations dans cette zone, dans la foulée de l’arrêt des travaux sur le littoral. Sans oublier les déplacements au niveau des différentes familles religieuses.

Pour Amadou Moctar ANN, chercheur en science politique. L'approche de la gouvernance, prônée par le tandem Diomaye-Sonko semble effectivement marquer une rupture avec les méthodes des régimes précédents. « Cette stratégie que certains opposants du nouveau régime pourraient texter de « populiste » n'est pas nouvelle en soi. Elle a souvent été utilisée par des mouvements politiques cherchant à se démarquer d'une classe dirigeante perçue comme élitiste. À titre d'exemple, on peut citer le Premier ministre Narendra Modi du Bharatiya Janata Party, au pouvoir en Inde depuis 2014, ou encore le président tunisien Kaïs Saïed. Leurs visites inopinées dans les structures de l'État et leur représentation en tant qu’« hommes du peuple » leur confèrent une certaine légitimité auprès d'une partie de la population », affirme-t-il.  

Le duo Sonko Diomaye veut susciter une nouvelle forme de gouvernance basée sur cette quête permanente de proximité et de terrain, dans le but d’afficher un certain dynamisme et l’idée de mouvement dans leurs programmes de réformes.

Ce mode de gouvernance semble suivre les traces de l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, connu pour sa présence fréquente dans les allées du Building administratif et à côté des fonctionnaires de l’Etat. Un symbolisme qui se veut aussi une rupture avec une gouvernance de Macky Sall jugée trop élitiste. Malgré les initiatives de conseil des ministres décentralisés ou des tournées économiques, le défunt régime n’aura jamais gommé cette image de pouvoir loin des préoccupations des Sénégalais.

Cette volonté de faire de la proximité vise aussi à mettre la pression sur les services administratifs qui souvent pour se protéger se cachent derrière des rapports très optimistes sur l’état réel des projets et programmes publics. 

Dans cette optique, le duo Sonko-Diomaye entend renforcer cette politique avec les ministres qui multiplient les déplacements sur le terrain. Ainsi, on a pu voir les ministres Balla Moussa Fofana (collectivités territoriales), Mabouba Diagne (agriculture et élevage), Daouda Ngom (Environnement) se rendre récemment rendus sur le terrain pour faire une sorte d’état des lieux dans leur domaine. Ce week-end, les ministres Birame Diop, Moustapha Guirrasy, Daouda Ngom et Birame Souleye Diop et le directeur général de la SOMISEN, Ngagne Demba Touré, ont visité les sites d’exploitation de la FALÉMA et Sansamba situés dans le département de Kédougou.

Le nouveau régime entend ainsi se donner une image de gouvernement en mouvement proche des difficultés des sénégalais.

Les risques d’un effet boomerang, en cas de non obtention de résultats

Néanmoins, ce choix de proximité peut aussi avoir un effet boomerang, si les résultats tardent à se matérialiser sur le terrain. En effet, cette omniprésence des nouveaux dirigeants peut rapidement aboutir à un renversement d’image et projeter celle d’une gouvernance inefficace. Par ailleurs, qu’en est-il de l’efficacité de cette mesure au regard des réformes attendues par les populations ?  Pour Amadou Fall, directeur de publication du magazine la Gazette, cette présence sur le terrain des ministres peut garantir une certaine efficacité dans la prise de décision ministérielle, mais ne doit pas faire oublier le travail d’informations nécessaires à la bonne conduite de l’action gouvernementale.

« Au regard des exigences des populations, en tant que ministre, vous ne pouvez plus vous contenter de rester dans votre bureau pour essayer de s’enquérir des réalités des terroirs. Néanmoins, chaque ministre doit travailler dans la remontée d’informations et avoir le plein contrôle dans son domaine de compétences. Ainsi, il doit faire preuve de perspicacité et de vigilance dans sa manière de collaborer avec les chefs de village et les représentants de l’Etat (Préfets et Gouverneurs), pour obtenir des informations fiables sur l’évolution de la situation de son domaine de compétence, dans l’optique de mieux diriger l’action gouvernementale’ », déclare le journaliste qui s’empresse de soutenir que l’idée de rupture et de correction des errements du régime précédent laisse peu de marges de manœuvre au nouveau gouvernement qui doit mettre en œuvre des politiques efficientes. 

Ainsi, cette stratégie comporte des risques, si les attentes soulevées ne sont pas rapidement satisfaites, indique Amadou Moctar ANN. « L’expérience sur ce style de gouvernance souligne que l'enthousiasme initial peut vite se muer en désillusion, si les promesses ne se concrétisent pas. L'image de gouvernants inefficaces peut alors s'installer durablement, comme ce fut le cas pour le président vénézuélien Hugo Chavez, dans ses dernières années au pouvoir. Pour éviter cet écueil, un équilibre doit être trouvé entre la proximité de terrain indispensable et la mise en œuvre effective de réformes structurelles. Une communication transparente sur les délais d’exécution et les difficultés rencontrées est également importante pour maintenir la confiance des populations », conclut-il. 

MAMADOU MAKHFOUSE NGOM 

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